Après l’arrêt de la cour d’appel de Nancy du 6 février 2023 (voir notre actualité du 23-3-2023), voici deux nouvelles décisions qui vont nourrir la jurisprudence naissante sur les accords de performance collective (APC). À quelques jours d’intervalle, le tribunal judiciaire de Paris et la cour d’appel de Toulouse se sont prononcés, l’un sur l’application à ces accords dérogatoires des dispositions régissant la validité des accords collectifs, et notamment de l’exigence générale de loyauté de toute négociation collective, l’autre sur les conséquences du non-respect du délai imparti à l’employeur pour engager, à la suite du refus du salarié de se voir appliquer l’accord, la procédure de licenciement sur le motif spécifique de ce dernier. Des positions qui constituent autant de points de vigilance à prendre en compte par les employeurs désireux de conclure de tels accords.
Pour mémoire, un APC peut être conclu pour répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ou en vue de préserver ou de développer l'emploi. Il peut aménager la durée du travail (modalités d’organisation et de répartition), la rémunération (dans le respect des minima hiérarchiques) ou déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique au sein de l’entreprise (C. trav. art. L 2254-2,I). Ses stipulations se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail des salariés qui en acceptent l’application. Les salariés qui la refusent peuvent être licenciés pour un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse et selon la procédure de licenciement pour motif personnel (C. trav. art. L 2254-2, III et V).
La possibilité d’invalider l’APC pour déloyauté des négociations
Des négociations au déroulement contesté
Dans la première espèce (TJ Paris), une société, spécialisée dans la fabrication de câbles électroniques et électriques, avait signé en 2020 un accord de méthode en vue notamment d’encadrer la négociation d’un APC, avec les deux syndicats représentatifs dans l’entreprise, la CGT et l’Unsa, cette dernière ayant obtenu plus de 50 % des suffrages aux élections professionnelles. En raison de la crise sanitaire, un avenant à l’accord de méthode avait été conclu en février 2021 fixant un nouveau calendrier échelonné jusqu’en novembre. Les négociations n’ayant pas abouti, elles s’étaient poursuivies en janvier 2022 avec les deux syndicats.
Le 28 janvier, la direction avait transmis à la CGT et à l’Unsa un projet d’accord leur demandant de s’engager sur celui-ci « sous réserve de quelques aménagements techniques du texte que nous pourrons encore réaliser ensemble » et les avait informés de l’achèvement des négociations. Le 4 février, elle avait adressé un mail aux délégués syndicaux de l’Unsa les invitant à finaliser l’accord, en indiquant connaître la position de la CGT. Puis elle avait envoyé à l’Unsa, trois jours plus tard, la dernière version de l’accord collectif, lequel avait été signé le 14 février, lors d’une dernière réunion, en présence uniquement de l’Unsa, la CGT n’en ayant été informée que lors de la réunion extraordinaire du CSE, le même jour. Le 17 février, la direction avait affiché une note interne dans l’entreprise afin d’informer les managers de la signature d’un APC le 14 février, entrant en vigueur le 1er janvier 2023, et de son contenu.
Invoquant la déloyauté des négociations, la CGT avait demandé à l’employeur l’annulation de l’APC, faisant valoir que l’accord avait été négocié dans le cadre de réunions séparées menées les 7 et 14 février entre la direction et l’Unsa sans y avoir été conviée. La société avait rouvert les négociations qui avaient abouti à une nouvelle signature du seul syndicat majoritaire. Maintenant sa position, la CGT avait saisi le tribunal judiciaire pour manquement à l’obligation de loyauté.
L’exigence de loyauté des négociations…
Le tribunal judiciaire de Paris a accédé à la demande de la CGT et annulé l’APC après avoir pris soin de rappeler les conditions de loyauté de la négociation définies par la jurisprudence, quel qu’en soit le stade (engagement, déroulement, conclusion).
A noter :
Au-delà de la bonne foi contractuelle énoncée à l’article 1104 du Code civil, le principe de loyauté est évoqué au seul article L 2222-3-1 du Code du travail qui dispose qu’une convention ou un accord collectif peut définir la méthode permettant à la négociation de s’accomplir dans des conditions de loyauté et de confiance mutuelle entre les parties. Toutefois, il n’est pas spécifiquement défini par les dispositions du Code du travail encadrant la négociation collective. C’est donc la jurisprudence qui en a progressivement défini les contours.
La nullité d'une convention ou d’un accord collectif est encourue si tous les syndicats représentatifs n'ont pas été convoqués à sa négociation, ou si l'existence de négociations séparées est établie, ou encore s'ils n'ont pas été mis à même de discuter les termes du projet soumis à la signature en demandant, le cas échéant, la réouverture des négociations jusqu'à la signature de l'accord (Cass. soc. 12-10-2006 n° 05-15.069 FS-PBRI : RJS 12/06 n° 1298 ; Cass. soc. 10-10-2007 n° 06-42.721 F-PB : RJS 12/07 n° 1315 ; Cass. soc. 8-3-2017 n° 15-18.080 FS-PB : RJS 5/17 n° 355). L'employeur commet, dans ce cas, un délit d'entrave (Cass. crim. 28-10-2008 n° 07-82.799 F-D : RJS 3/09 n° 264).
L'organisation d'échanges bilatéraux entre employeur et syndicats pendant une suspension de séance n'est en revanche pas déloyale si tous les syndicats sont invités à y participer et si un projet d'accord leur est soumis après reprise de la séance (Cass. soc. 8-3-2017 n° 15-18.080 FS-PB : RJS 5/17 n° 355).
… est appliqué aux APC avec vigilance
Selon le tribunal, il est établi en l’espèce que, à compter du 4 février, des négociations se sont tenues de manière séparée entre la direction et l’Unsa jusqu’à la signature de l’accord et qu’elles ont abouti à un projet d’accord modifié, sans que la CGT en soit destinataire ni ait été conviée aux dernières réunions de négociation et de signature, alors qu’il n’existait pas de calendrier de clôture des négociations. En outre, les juges ont retenu que la société ne pouvait pas justifier l’exclusion du syndicat de la fin des négociations par le fait qu’il l’avait informée qu’il n’entendait pas le signer, cette affirmation n’étant établie par aucune pièce du dossier.
Pour le tribunal judiciaire, ce procédé déloyal devait être apprécié avec une particulière vigilance par le juge au regard de la nature de l'APC, qui est dérogatoire au droit commun, puisqu'il permet de licencier les salariés qui refusent son application sans appliquer la législation sur le licenciement pour motif économique.
En conséquence, la société ne pouvait soutenir qu’en procédant à la réouverture des négociations lors de la réunion du 28 février 2022 avec les deux organisations syndicales, suivies de la signature aux côtés de l'Unsa d'un APC comportant quelques aménagements proposés par la CGT, elle a régularisé la situation au regard du principe de loyauté.
En effet, la déloyauté qui caractérise l'existence de négociations séparées invalide par elle-même l'ensemble du processus de négociation, et ce d'autant comme en l'espèce qu'il n'existait que deux syndicats représentatifs dans l'entreprise, que le syndicat CGT était minoritaire et que la seule signature du syndicat Unsa suffisait à conférer sa validité à l'accord collectif.
Il convient dès lors d’annuler les deux versions de l’accord, celle du 14 février et celle du 28 février 2022.
A noter :
C’est la nature même de l’APC, son caractère dérogatoire au droit commun, qui impose la particulière vigilance des juges au regard des conséquences que ce type d’accord emporte sur la rupture du contrat de travail, laquelle constitue un licenciement individuel pour motif personnel. À cet égard, la solution est logique et protectrice des salariés. De son côté, la jurisprudence administrative s’est prononcée, il y a quelques mois, sur les conditions de négociation d’un accord portant rupture conventionnelle collective (RCC). En l’espèce, les deux organisations syndicales représentatives au sein de l'établissement, l'une intercatégorielle, l'UTG, et l'autre catégorielle, la CFE-CGC, avaient été convoquées par l'employeur aux fins de négociation d'un accord de RCC, conformément aux dispositions de l'article L 2232-16 du Code du travail. Au terme de trois réunions de négociation, l'organisation syndicale intercatégorielle, avait refusé de signer le projet d'accord. Le périmètre du projet avait alors été modifié par l'employeur pour ne s'appliquer qu'aux seuls agents de maîtrise et cadres de l'établissement et proposé à la signature de la CFE-CGC. S’appuyant sur la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation relative à la loyauté de la négociation collective (ci-dessus), le syndicat requérant non signataire de l'accord soutenait que l'employeur ne pouvait pas transformer l'accord intercatégoriel en accord catégoriel sans relancer la procédure de négociation et l'inviter à signer ce nouvel accord. La CAA avait rejeté son argument. Pour elle, la tenue de trois réunions de négociation, le refus formel du syndicat intercatégoriel de signer l'accord puis la seule modification de son champ d'application pour le limiter aux catégories des agents de maîtrise et aux cadres ne constituaient pas un vice affectant la validité de l'accord (CAA Bordeaux 25-4-2023 n° 23BX00252).
Quelles conséquences du non-respect du délai pour engager la procédure de licenciement ?
Dans la seconde affaire (CA de Toulouse), les juges devaient se pencher sur les conséquences qui s’attachent au non-respect du délai de 2 mois imparti à l’employeur par l’article L 2254-2, V du Code du travail pour licencier un salarié ayant refusé de se voir appliquer un APC.
Le délai de 2 mois accordé à l'employeur pour engager la procédure de licenciement a été introduit par la loi 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant l'ordonnance 2017-1385 du 22 septembre 2017, afin de tenir compte de la réserve de constitutionnalité émise par le Conseil constitutionnel concernant le licenciement faisant suite au refus par le salarié d'un accord de préservation et de développement de l'emploi, instauré par la loi 2016-1088 du 8 août 2016, transposable aux APC. Les dispositions de la loi de 2018 ont été jugées conformes à la Constitution (Cons. const. 21-3-2018 n° 2018-761 DC).
Une procédure engagée hors délai
En vue de la fermeture prochaine du magasin dans lequel il était affecté, un salarié devait s’exprimer sur son souhait ou son refus de mobilité géographique, conformément aux dispositions de l’APC applicable dans l’entreprise. L’intéressé avait notifié son refus à son employeur le 2 novembre 2018. Convoqué à un entretien préalable au licenciement le 18 mars 2019, soit plus de 2 mois après la notification du salarié, il avait été licencié pour motif réel et sérieux. Contestant son licenciement, le salarié avait saisi la juridiction prud’homale, les parties s’opposant sur les conséquences du non-respect de ce délai.
L’employeur soutenait que le délai de 2 mois n'est pas assorti de sanction, qu'il n'est pas d'ordre public et qu'il peut y être dérogé par voie conventionnelle, l'essentiel étant que le licenciement intervienne dans un délai raisonnable, ce qui, selon lui, avait été le cas en l'espèce. Il arguait que l’APC ne prévoyait pas de délai pour engager la procédure de licenciement, les partenaires sociaux ayant entendu déroger au délai légal. Pour le salarié, au contraire, le délai de 2 mois s’entendait d’un délai maximal dont la méconnaissance privait le licenciement de cause réelle et sérieuse.
La cour d’appel lui donne raison, rappelant dans sa motivation la décision du Conseil constitutionnel (ci-dessus).
Le délai de 2 mois est d’ordre public…
Pour les juges du fond, si le contenu d'un APC est laissé à la libre appréciation des partenaires sociaux, c'est à la condition de respecter le cadre légal précisé dans l'article L 2254-2 du Code du travail en vertu duquel le salarié dispose d'un délai d'un mois pour se prononcer sur la mobilité proposée et l'employeur d'un délai de 2 mois à compter de la notification du refus du salarié pour engager une procédure de licenciement.
En l'espèce, l'absence de toute indication dans l'APC sur le délai pour licencier ne pouvait pas dispenser l'employeur de respecter les dispositions légales. Se prévaloir comme le fait l'employeur d'un délai raisonnable, pouvant excéder le délai de 2 mois, serait faire fi de l'encadrement de ce délai imposé par le législateur.
… son non-respect prive l’employeur de fonder la rupture sur le motif sui generis
L’article L 2254-2 du Code du travail ne prévoit pas de sanction en cas de non-respect du délai de 2 mois. Pour autant, estime la cour d’appel, le délai de 4 mois à l'issue duquel a été engagée la procédure de licenciement privait l'employeur de la possibilité de fonder la rupture sur le motif sui generis tiré du refus de mobilité du salarié, l'employeur conservant toutefois la possibilité de fonder le licenciement sur un autre motif.
Par suite, le motif spécifique énoncé dans la lettre de licenciement étant écarté, le licenciement qui n'est fondé sur aucun autre motif est privé de cause réelle et sérieuse.
Documents et liens associés
TJ Paris 20-6-2023 n° 22/04785, Syndicat CGT Acome c/ Sté Acome ; CA Toulouse 23-6-2023 n° 21/01577, B. c/ Sté Adidas France
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