1. L’associé unique d’une société par actions simplifiée unipersonnelle (Sasu) peut-il déléguer sa compétence pour décider une augmentation de capital réservée aux salariés ?
Cette question, à laquelle les tribunaux n’ont pas, à notre connaissance, eu l’occasion de répondre, a surgi à l’occasion d’augmentations de capital ou de « coups d’accordéon » (réduction de capital à zéro, suivie d’une augmentation) récemment réalisés dans des Sasu, certains commissaires aux comptes ayant évoqué l’impossibilité pour l’associé unique de déléguer au président le pouvoir de décider ou non une augmentation de capital réservée aux salariés, en l’état des textes.
2. Comme souvent en matière de société par actions simplifiée (SAS), les textes applicables renvoient au régime de la société anonyme (SA).
Dans la Sasu, l’associé unique exerce les pouvoirs dévolus aux associés pour les décisions collectives, lesquelles suivent les règles applicables aux sociétés anonymes (SA) en matière d’augmentation de capital dans la mesure où ces dispositions sont compatibles (C. com. art. L 227-1, al. 2 et 3 et L 227-9, al. 2). Pour la SA, l’article L 225-129-2 du Code de commerce, auquel renvoie l’article L 225-129-6 du même Code, prévoit expressément la possibilité pour l’assemblée générale extraordinaire de déléguer au conseil d’administration ou au directoire sa compétence pour décider une augmentation de capital. Dans une SAS, les attributions du conseil d’administration ou du directoire sont, rappelons-le, exercées par le président (C. com. art. L 227-1).
Par ailleurs, l’article L 227-9, al. 3 du Code de commerce, propre aux Sasu, est ainsi rédigé : « Dans les sociétés ne comprenant qu’un seul associé, le rapport de gestion, les comptes annuels et le cas échéant les comptes consolidés sont arrêtés par le président. L’associé unique approuve les comptes, après rapport du commissaire aux comptes s’il en existe un, dans le délai de six mois à compter de la clôture de l’exercice. L’associé unique ne peut déléguer ses pouvoirs (…). »
3. La plupart des commentaires doctrinaux sur le 3 e alinéa de l’article L 227-9 demeurent généraux et n’entrent pas dans le détail de l’articulation entre les textes applicables aux SA et ceux relevant des Sasu (voir cependant M. Germain et P.-L. Périn : La société par actions simplifiée Joly 2013 n os 468 s.). Quant aux débats parlementaires, ils sont muets sur la question.
4.Pour certains praticiens, en introduisant une disposition particulière pour les SAS n’ayant qu’un seul associé, le législateur a entendu imposer à celui-ci l’exercice direct des pouvoirs dévolus à la collectivité des associés dans les SAS pluripersonnelles, sans possibilité de délégation, que ce soit une délégation de compétence ou seulement une délégation de pouvoir.
A l’appui de cette analyse rigoriste, il est fait mention du parallélisme qui existe entre la Sasu et l’EURL, l’article L 223-31 du Code de commerce prévoyant en effet une règle identique pour l’associé unique d’une EURL.
5. Pour autant, il est à notre avis possible d’avoir un raisonnement différent permettant d’offrir plus de souplesse dans le fonctionnement des Sasu.
6. En première analyse, il pourrait être observé que la phrase qui pose difficulté fait partie d’un alinéa traitant exclusivement des comptes et de leur approbation. Il paraît cependant difficile d’en tirer la conclusion que cette interdiction de délégation est limitée à l’approbation des comptes. On ne voit effectivement pas quelle serait la logique qui conduirait à instaurer un principe général selon lequel l’associé unique exerce les pouvoirs conférés à la collectivité des associés dans les SAS et limiter l’interdiction de délégation à la seule approbation des comptes.
7. Il nous semble plus pertinent de rechercher un parallélisme entre les règles applicables aux SAS et Sasu avec celles concernant les SA.
Il résulte à notre sens de l’articulation des articles L 227-1, L 227-9, L 225-129-2 et L 225-129-6 du Code de commerce que, s’il n’est pas permis dans une Sasu qu’une décision relevant de la compétence d’une assemblée de SA (dans les domaines visés au 2e alinéa de l’article L 227-9, parmi lesquels figurent les opérations sur capital) soit directement prise par quelqu’un d’autre que l’associé unique, cette interdiction ne peut avoir pour conséquence de restreindre la faculté de déléguer au président la compétence de l’associé unique lorsque la loi sur les SA le permet.
En d’autres termes, ces textes ne nous paraissent pas incompatibles. Ils doivent en revanche être appliqués en respectant les règles d’attribution de compétences relevant des pouvoirs des assemblées de SA, lesquelles doivent obligatoirement être exercées par l’associé unique dans la Sasu et ce, dans les conditions prévues pour les SA, y compris lorsque ces règles autorisent ou prévoient une délégation.
Il est effectivement difficile de comprendre quel aurait pu être l’objectif de protéger un associé unique de SAS, en le contraignant à suivre des règles plus strictes que celles applicables aux associés et actionnaires de SAS et SA.
8. Enfin, il faut avoir conscience qu’une interprétation extensive de cette impossibilité de délégation reviendrait à empêcher un certain nombre d’opérations et notamment la mise en place d’actions gratuites ou de stock-options dans une Sasu, par voie de création d’actions nouvelles, puisque les deux textes applicables en la matière (les articles L 225-177 et L 225-197 du Code de commerce) prévoient le principe d’une délégation pour pouvoir mettre en œuvre ces programmes.
9. En conclusion, il existe à notre avis des arguments qui militent en faveur d’une possibilité pour l’associé unique de déléguer ses pouvoirs, quand les associés d’une SAS ou d’une SA peuvent le faire, ce qui est notamment le cas lors d’une augmentation de capital réservée aux salariés. Il n’en demeure pas moins que l’article L 227-9, al. 3 prête à interprétation et qu’un éclaircissement du législateur sur ce point serait le bienvenu.
Jean-Eric Cros, Avocat associé CMS Bureau Francis Lefebvre
Entré au Bureau Francis Lefebvre en 1989, J.-E. Cros intervient essentiellement en droit des sociétés, private equity et droit boursier.
Solenne Gilles, Avocat CMS Bureau Francis Lefebvre
Entrée au Bureau Francis Lefebvre en 2012, S. Gilles intervient essentiellement en droit des sociétés et fusions-acquisitions.