Les contrats de travail des cadres du secteur relevant de la convention collective Syntec contiennent souvent des clauses restreignant leur liberté de s’engager auprès de l’employeur de leur choix ou de développer une activité concurrente, sous la forme de clauses de non-concurrence ou de clauses de loyauté. Lorsque la clause de non-concurrence ne répond pas aux conditions de validité posées par la convention collective ou par la jurisprudence de la Cour de cassation, le salarié peut saisir le conseil de prud’hommes d’une demande de nullité et d’indemnisation du préjudice subi (Cass. soc. 25-5-2016 n° 14-20.578 F-PB). Il en est de même lorsque le salarié sollicite la requalification de la clause de loyauté en clause de non-concurrence illicite, comme en l’espèce.
Les affaires soumises à la Cour de cassation et ayant donné lieu à sa décision du 2 mars 2022, destinée à la publication au Bulletin des chambres civiles, lui permettent de préciser pour la première fois le point de départ de l’action indemnitaire du salarié fondée sur la nullité d’une clause de loyauté.
Le point de départ de l’action indemnitaire fondée sur la nullité d’une clause…
En l’espèce, deux salariés engagés en qualité d’ingénieurs consultants souscrivent une clause de non-concurrence assortie d’une contrepartie financière, ainsi qu’une clause de loyauté lors de la conclusion de leur contrat de travail. Estimant que la clause de loyauté s’apparente à une clause de non-concurrence illicite, ils saisissent le conseil de prud’hommes le 1er février 2016 de demandes de requalification et de nullité de la clause contractuelle de loyauté, et d’indemnisation du préjudice subi à ce titre, outre diverses demandes de rappel de salaire. Ils considéraient que l’employeur pouvait renoncer à la clause de non-concurrence, mais que la clause de loyauté subsisterait, sans contrepartie financière, alors qu’elle restreignait leur faculté d’exercer une activité conforme à leurs formation, connaissances et expérience professionnelle.
Le contrat de travail des intéressés sera rompu en cours d’instance, le 30 juillet 2017 pour l’un et le 15 décembre 2017 pour l’autre.
La cour d’appel déclare les demandes irrecevables après avoir retenu comme point de départ du délai de prescription la date de signature des contrats de travail. Selon elle, en application de l'article 2224 du Code civil, le point de départ du délai de prescription en matière de responsabilité civile est la date à laquelle le dommage se manifeste au titulaire du droit. Elle considère ensuite que le préjudice, consistant en la restriction des possibilités du salarié de rechercher du travail du fait de l'application d'une clause de loyauté qui serait nulle, s'est manifesté au titulaire du droit lors de la signature de son contrat de travail contenant ladite clause. Elle ajoute que le salarié peut être amené à rechercher un nouvel emploi, recherche limitée du fait de la clause litigieuse, à n'importe quel moment de l'exécution du contrat. En conséquence, elle déclare l’action irrecevable en retenant que les salariés avaient connaissance du préjudice à la date de signature de leur contrat de travail et que plus de 5 ans s’étaient écoulés entre cette date et la saisine de la juridiction prud’homale le 1er février 2016.
A notre avis :
À la date de saisine de la juridiction prud’homale, le délai de prescription applicable aux actions en exécution du contrat de travail était de 2 ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit, en application de l’article L 1471-1 du Code du travail. Toutefois à la date de conclusion du contrat de travail, c’est la prescription quinquennale prévue par l’article 2224 du Code civil qui s’appliquait. La décision du 2 mars 2022 ne se prononce toutefois pas sur le délai de prescription applicable à l’action indemnitaire des salariés, soit le délai de droit commun de 5 ans de l’article 2224 du Code civil, soit le délai de 2 ans de l’article L 1471-1 du Code du travail applicable aux actions en exécution du contrat de travail. À notre sens, c’est ce dernier délai qui s’applique, mais ce point mériterait confirmation.
… court à compter de la mise en œuvre de la clause litigieuse
La Cour de cassation censure cette décision. Elle rappelle les dispositions de l’article 2224 du Code civil selon lequel les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, et ajoute que la prescription d'une action en responsabilité civile court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.
La chambre sociale applique ce principe aux stipulations du contrat en énonçant que le dommage causé par la stipulation d’une clause de loyauté illicite ne se réalise pas au moment de la stipulation de la clause, mais se révèle au moment de sa mise en œuvre. Elle écarte donc le point de départ constitué par la signature du contrat de travail. L’action indemnitaire fondée sur l’application de la clause de loyauté était donc en l’espèce recevable.
A notre avis :
1° La chambre sociale ne définit pas la notion de mise en œuvre d’une clause litigieuse. A notre sens, une clause de loyauté peut recevoir application tant au cours de l’exécution du contrat de travail qu’après la rupture de celui-ci lorsque le salarié se voit demander par son ancien employeur, bénéficiaire de la clause litigieuse, de cesser l’activité nouvelle exercée en méconnaissance de cette clause.
2° La solution retenue ici par la Cour de cassation est à rapprocher des décisions fixant le point de départ du délai de l’action en requalification de CDD en CDI en fonction de l’irrégularité soulevée. En cas d'absence d'une mention au contrat susceptible d'entraîner sa requalification, le délai court à compter de la conclusion de ce contrat (Cass. soc. 3-5-2018 n° 16-26.437 FS-PB), tandis que l’action fondée sur le motif de recours court à compter du terme du contrat ou, en cas de succession de CDD, du terme du dernier contrat (Cass. soc. 29-1-2020 n° 18-15.359 FS-PBI).
Documents et liens associés