Comptabilités socio-environnementales : la DFCG et le CSOEC dressent leur inventaire
DFCG - CSOEC, « Livre blanc - Intégration financière et comptabilités socio-environnementales », mars 2021
L'ESSENTIEL :
La DFCG et le CSOEC se sont attachés à recenser les principales méthodes de reporting RSE et de comptabilités socio-environnementales.
Certaines méthodes relèvent d’une approche extra-financière (comme la DPEF). D’autres relèvent d’une approche financière pouvant aller jusqu’à la production d’états financiers totalement intégrés.
Dans tous les cas, choisir et appliquer une de ces méthodes est une opportunité pour connaître les valeurs de l’entreprise, ses risques éventuels et devenir un facteur de pérennité de son activité.
La DFCG et le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables ont publié, en mars dernier, un livre blanc intitulé « Intégration financière et comptabilités socio-environnementales ». Ce livre blanc, dont l’ambition est de guider le lecteur vers la démarche de comptabilité environnementale et sociale la mieux adaptée à son entreprise, recense, présente et compare onze méthodes de reporting RSE et de comptabilités socio-environnementales.
Nous avons demandé à Hervé Gbego, Président du comité normalisation extrafinancière et RSE au Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables de nous présenter ces différentes méthodes.
Pouvez-vous nous présenter les onze méthodes de reporting RSE et de comptabilités socio-environnementales retenues dans votre livre blanc ?
Hervé Gbego : Le nombre de méthodes de comptabilités socio-environnementales disponibles s’est accru au cours des dernières années pour prendre en compte l’évolution de la conception de l’entreprise, dont la responsabilité sociale et environnementale qui s’ajoute aujourd’hui à la responsabilité économique. La performance globale de l’entreprise, et plus seulement économique, doit pouvoir être appréciée par l’ensemble des parties prenantes. C’est pourquoi il nous a paru utile de présenter dans ce livre blanc les onze méthodes de reporting RSE et de comptabilités socio-environnementales les plus connues à ce jour, afin de guider les entreprises dans leur démarche d’intégration financière de la RSE. Nous avons classé ces méthodes en deux catégories :
les méthodes relevant d’une approche extra-financière ;
et celles relevant d’une approche financière.
Méthodes relevant d’une approche extra-financière
Hervé Gbego : Les méthodes relevant d’une approche extra-financière sont celles qui proposent une représentation extra-financière des indicateurs sociaux et environnementaux sous forme de reporting et/ou de tableaux de bord (annexés ou non aux états financiers), sans valorisation ou traduction monétaire des données extra-financières dans les états financiers.
Nous avons identifié cinq méthodes appartenant à cette catégorie :
ACV : Analyse de cycle de vie. Cette méthode analyse les activités de l’entreprise par cycle de vie sous l’angle environnemental (ACVE) ou social (ACVS) ;
COP : « Communication on progress » du Global Compact. Cette méthode de suivi d’indicateurs extra-financiers se rapporte à 10 principes internationaux issus notamment de l’Organisation mondiale du travail et des objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU ;
DPEF : Déclaration de performance extra-financière. Cette méthode propose un ensemble d’indicateurs extra-financiers (social-sociétal, environnement, lutte contre la corruption et droits de l’homme) permettant de rendre compte de l’engagement de l’entreprise dans la RSE, sous la forme d’un rapport obligatoire (la DPEF) intégré au rapport de gestion (voir MC 65010 et ci-après les sociétés concernées) ;
A noter :
Un projet de directive (CSRD) est en cours d’adoption par le Parlement européen pour harmoniser la publication des informations sur la durabilité par les entreprises au sein des États de l’Union européenne (voir FRC 6/21 inf. 6), complété de projets de normes européennes en cours d’élaboration par l’EFRAG (voir FRC 5/21 inf. 6).
Dès l’exercice 2021, la DPEF sera complétée pour les sociétés soumises à la directive NFRD de trois nouveaux indicateurs financiers portant sur les activités éligibles et non éligibles à la réglementation taxonomie verte (voir FRC 7/21 inf. 7 et notre prochain FRC 11/21).
GRI : Global Reporting Initiative. La GRI élabore et diffuse via un référentiel (liste d’indicateurs avec définitions) des lignes directrices, applicables mondialement en matière de développement durable, permettant de rendre compte des performances économiques, environnementales et sociales des sociétés ;
TCFD : Task Force on Climate-related Financial Disclosures. La TCFD a pour objectif d’élaborer un cadre de reporting volontaire sur les risques financiers liés au climat, à destination des entreprises, pour les aider à fournir des informations pertinentes aux investisseurs, aux prêteurs, aux assureurs et aux autres parties prenantes.
A noter :
Parmi ces cinq méthodes, seule la production d’une DPEF est obligatoire pour les grandes sociétés cotées ou non cotées au-dessus des seuils réglementaires (C. com. art. L 225-102-1). Les quatre autres méthodes sont facultatives. À noter toutefois que le bilan des émissions de gaz à effet de serre (GES) faisant partie des dispositifs de l’ACV est obligatoire pour toutes les entreprises privées de plus de 500 salariés (Loi Grenelle 2 de 2010 art. 75).
Méthodes relevant d’une approche financière
Hervé Gbego : Les méthodes relevant d’une approche financière ont quant à elles pour principe de valoriser des données extra-financières produites par l’entreprise et de les intégrer ensuite dans sa comptabilité :
soit par ajout d’informations aux états financiers, la méthode d’approche est alors considérée comme « libre » ;
soit par production d’états financiers restructurés.
Ces méthodes constituent selon nous une étape décisive pour l’intégration financière et extra-financière.
a. Méthodes proposant une évaluation au format « libre »
Hervé Gbego : Les méthodes d’approche financière considérées comme « libres » sont celles qui ne vont pas jusqu’à la production d’un jeu de bilan et d’un compte de résultat. Certaines proposent une évaluation d’ensemble type VAN ou DCF (Discounted Cash-Flow), d’autres s’orientent vers la seule présentation d’un compte de résultat.
Nous avons identifié quatre méthodes appartenant à la catégorie des méthodes d’approche financière « libre » :
Capital Immatériel – Thesaurus Bercy. Cette méthode permet de valoriser un goodwill élargi aux aspects humains, sociaux et environnementaux, par la mesure d’indicateurs non financiers via un questionnaire. Elle permet de calculer ensuite un DCF (« Discounted Cash-Flow ») ;
E P&L (« Environmental Profit & Loss »). Cette méthode d’analyse de la chaîne de valeur permet de montrer les externalités positives et négatives sous forme d’indicateurs agrégés, outils de gestion qui favorisent le pilotage de l’organisation. Cette méthode permet de dresser un compte de résultat environnemental ;
IIRC ou
: « International Integrated Reporting Council ». Cette méthode comptable intégrée permet de déterminer une valeur élargie de l’entreprise sur la base de six différents capitaux : financier, manufacturier, intellectuel, humain, social, sociétal et environnemental. L’vise ainsi à présenter la manière dont l’entreprise crée de la valeur à partir de ces six ressources désignées par « capitaux » ; SROI (« Social Return on Investment »). Il s’agit d’une méthode de calcul du retour sur investissement élargie aux enjeux environnementaux, sociaux et sociétaux. Elle est utilisée principalement dans le milieu associatif pour valoriser la rentabilité d’un projet par le calcul d’une valeur actualisée.
b. Méthodes proposant une évaluation normée au format des états financiers traditionnels
Hervé Gbego : Nous avons identifié deux méthodes appartenant à cette seconde catégorie d’approche permettant d’intégrer dans les comptes (bilan et compte de résultat) les éléments extra-financiers socio-environnementaux :
« CARE, Comprehensive Accounting in Respect of Ecology ». Ce système comptable, basé sur le principe du coût historique, intègre dans les comptes (bilan et compte de résultat) les capitaux humains et naturels aux côtés du capital financier ;
Comptabilité universelle. Cette méthode permet d’établir, en complément de la comptabilité financière, une comptabilité élargie principalement à quatre domaines : social, sociétal, environnemental et gouvernance. La comptabilité universelle admet le principe de valorisation d’externalités (type valeur d’un patrimoine naturel) et le principe d’un écart entre le bilan de clôture et d’ouverture.
Quels sont les avantages et les limites des deux classes de méthodes ?
Avantages et limites des méthodes relevant d’une approche extra-financière
Hervé Gbego : Les approches extra-financières présentent l’avantage d’être relativement souples à mettre en œuvre pour les directions financières, sans complexité de valorisation. Elles sont par ailleurs accessibles à des « non-financiers ». Elles permettent de représenter de multiples dimensions retenues par l’entreprise et de les suivre dans le temps, avec éventuellement une confrontation à des objectifs attestés (SBTi). Elles apportent un point de vue autre que financier sur l’activité de l’entreprise.
Pour les sociétés concernées par des évaluations externes, les indicateurs produits offrent l’opportunité d’enrichir l’analyse des agences de notation extra-financière en complément de la notation financière traditionnelle.
En contrepartie, l’une des principales limites de ces méthodes réside dans le manque de structure des démarches à mettre en œuvre, l’absence de référentiel sur lequel s’adosser et l’empilement de données disparates, même si la « tendance » en matière de reporting extra-financier (DPEF,
A noter :
Dans le cadre de la révision de la directive NFRD visant à harmoniser la publication des informations non financières par les entreprises au sein de l’Union européenne, l’Efrag (« European Financial Reporting Advisory Group ») est chargé d’élaborer un standard européen de reporting extra-financier.
Avantages et limites des méthodes relevant d’une approche financière
Hervé Gbego : Les approches financières sont quant à elles plus complexes à mettre en œuvre, car elles ajoutent à la collecte des données en lien avec les indicateurs retenus, la difficulté de leur « traduction monétaire », voire de leur intégration dans les états financiers.
Les difficultés des approches financières sont ainsi tout à la fois conceptuelles et organisationnelles :
conceptuelles tout d’abord, parce qu’elles nécessitent un cadrage des données et des informations produites pour les présenter selon des standards financiers (cash-flow, résultat, bilan) ;
organisationnelles ensuite, parce qu’elles imposent un travail transversal et la prise en compte de nombreux et parfois disparates « points de vue ».
L’harmonisation des méthodes d’évaluation (par exemple, le prix de l’empreinte carbone) est importante pour permettre de comparer la performance des entreprises sur la base de critères homogènes.
Les approches financières offrent l’avantage de parler un langage compris de la finance, à la fois par l’évaluation monétaire et le cadrage imposé aux informations.
La taxonomie européenne, prévue à l’horizon 2021, semble aller dans ce sens, notamment concernant la traçabilité des investissements portés sur la transition écologique (sur la réglementation taxonomie, voir notre prochain FRC 11/21).
Pourquoi adopter une méthode de comptabilité socio-environnementale ?
Hervé Gbego : La RSE, et en particulier la comptabilité socio-environnementale, est une véritable opportunité pour faire le point sur les valeurs de l’entreprise et leur adéquation avec ses actions.
Choisir une méthode de comptabilité socio-environnementale peut également devenir un facteur de pérennité de l’activité de l’entreprise. Elle permet d’améliorer sa connaissance des interactions avec l’ensemble de son écosystème et donc des risques éventuels, de clarifier et de rendre cohérente sa communication avec ses futurs employés, collaborateurs et clients. La transparence des actions réalisées pour chacun des engagements pris permettra aussi de faciliter l’accès à un éventail de financements plus diversifiés, et dédiés à chaque action.
Surtout, la comptabilité socio-environnementale est un moyen de s’interroger sur la notion de sa performance globale, de ses profits durables et de leur répartition entre les parties prenantes.
L’intégration financière de la RSE à travers la mise en œuvre d’une comptabilité socio-environnementale apparaît ainsi comme une opportunité pour les directions financières de se former, d’être accompagnées et de se positionner en tant qu’acteur pivot de la transformation responsable des entreprises.
Mais comme l’a révélé notre enquête (voir Livre blanc, partie 1), toute démarche RSE nécessite de s’imposer de nouvelles exigences :
la mise en place au sein des entreprises d’une instance permanente RSE ou développement durable ;
l’assignation d’objectifs contraignants avec l’évaluation des résultats obtenus, l’ensemble adossé à un système de données et d’indicateurs en cohérence avec les objectifs à même de fournir des mesures quantifiées pour une valorisation financière.
Tous ces éléments semblent être des passages obligés pour une intégration financière réussie.