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Construction illicite : la prescription du délit ne court qu'à l'achèvement de l'ensemble des travaux

La Cour de cassation rappelle que, lorsqu'un ensemble de travaux relève d'une entreprise unique, la prescription pénale pour construction sans permis ne commence à courir qu'à compter de l'achèvement de tous les travaux.

Cass. crim. 1-6-2021 n° 20-86.073 F-D


Par Brigitte BROM
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©iStock

Une société achète une parcelle à Saint-Denis de la Réunion et y réalise deux séries de 21 constructions d'une surface totale de plus de 4 000 m2 à compter de 2008. La première est destinée à la réception d'événements (accueil, loisirs et restauration de groupe), la seconde constitue des hébergements. La parcelle étant située dans une zone inconstructible en raison de risques d'inondations et aucun permis de construire n'ayant été demandé, le procureur est saisi en octobre 2013. Les travaux se poursuivent malgré le refus du maire de délivrer un permis de régularisation en 2014 et 2016 et un arrêté préfectoral d'interruption des travaux en 2016. 

Le tribunal correctionnel puis la cour d'appel condamnent la société et son dirigeant à une amende et à la démolition de toutes les constructions. L'exception de prescription est écartée par les juges, le délai n'ayant pas commencé à courir au jour de la saisine du tribunal puisque les travaux étaient encore en cours. En effet, si les travaux ont été réalisés par actes successifs, les constructions relèvent d'une entreprise unique et forment un tout indivisible, dont l'édification s'est poursuivie depuis l'acquisition de la parcelle en 2008 jusqu'au dernier procès-verbal de constatation de septembre 2017. 

Dans leur pourvoi, les prévenus font valoir un argument différent : les travaux ont été réalisés en deux phases successives, les installations destinées à la réception d'événements étant achevées bien avant la construction des hébergements. L'ensemble ne peut donc pas être qualifié de tout indivisible pour l'écoulement du délai de prescription pénale. 

En vain. La Cour de cassation décide que la qualification de tout indivisible relève du pouvoir souverain d'appréciation de la cour d'appel. Et rappelle qu'en matière d'urbanisme la prescription ne commence à courir qu'à compter de l'achèvement d'un ensemble de travaux relevant d'une entreprise unique

A noter :

Cette décision fournit une nouvelle illustration d'un principe déjà affirmé plusieurs fois par la Cour de cassation. Le délai de prescription du délit de construction sans permis commence à courir à compter de l'achèvement de l'ensemble des travaux constituant un tout indivisible, dont la qualification relève de l'appréciation souveraine des juges du fond.

Que faut-il entendre par « tout indivisible » ? Il s'agit de travaux indissociables entre eux, qui ne peuvent être accomplis les uns sans les autres pour des raisons matérielles ou fonctionnelles (C. de Jacobet de Nombel, « L'indivisibilité des travaux et le point de départ du délai de prescription » : RDI 2020 p. 147). La qualification a ainsi été écartée pour la construction de 5 immeubles de bureaux dans une ZAC (Cass. crim. 23-4-2013 n° 12-85.352 F-D) ou celle d'un mur de soutien et d'un mur de clôture extérieur destiné à parquer les animaux d'une bergerie qui, elle, était achevée (Cass. crim. 13-11-2013 n° 12-85.486 F-D). En revanche, constitue un tout indissociable la construction de plusieurs cabanons reliés entre eux par un auvent (Cass. crim. 18-5-2005 n° 04-86.697 F-D).

Pour les prévenus, l'enjeu est d'importance puisque les constructions couvertes par la prescription ne pourront pas faire l'objet d'une mesure de démolition. Le caractère indissociable ou non des constructions devrait par conséquent donner lieu à de nombreux recours. 

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne
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Construction irrégulière : quels délais de prescription ?

Lorsqu'une construction n'est pas conforme aux règles d'urbanisme, soit qu'elle ait été édifiée conformément à un permis de construire illégal, soit qu'elle n'ait pas respecté les prescriptions du permis, soit enfin qu'aucun permis n'ait été obtenu, plusieurs types d'actions contentieuses peuvent être menées, chacune obéissant à un régime de prescription différent. Ce tableau vous résume l'ensemble des délais applicables.


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©iStock

Contester une construction irrégulière :
actions et délais de prescription

 

Construction
conforme
à un permis de
construire illégal

Construction non
conforme
au permis
de construire

Construction
sans permis
de construire

Prescription administrative

 

Action en annulation du permis de construire
- 2 mois à compter de l'affichage du permis
(C. urb. art. R 600-2).
- 6 mois à compter de l'achèvement des travaux en l'absence d'affichage du permis (C. urb. art. R 600-3)

• Droit de contester la conformité des travaux au permis dans les 3 mois (ou 5 mois si récolement) à compter de la réception de la déclaration attestant l'achèvement des travaux (C. urb. art. R 462-6)

Obligation de régulariser la construction irrégulière à l'occasion de toute nouvelle demande de permis (sauf exceptions), sans limite de délai (CE 16-3-2015 no 369553 : BPIM 3/15 inf. 155)

• Obligation de régulariser la construction irrégulière à l'occasion de toute nouvelle demande de permis dans les 10 ans de l'achèvement de la construction (C. urb. art. L 421-9) sauf si le bénéficiaire du permis a déposé une déclaration attestant l'achèvement des travaux et que l'administration n'a pas contesté leur régularité dans les 3 ou 5 mois (CE 26-11-2018 no 411991)

 

 

La construction ne peut pas être raccordée définitivement aux réseaux urbains d'eau, d'électricité, de gaz ou de téléphone (C. urb. art. L 111-12), quelle que soit la date de la construction puisqu'il s'agit d'une mesure de police (CE 23-7-1993 no 125331 ; CE 7-10-1998 no 140759)

Prescription pénale

Condamnation pénale pour méconnaissance volontaire de la réglementation d'urbanisme (C. urb. art. L 480-4) : 6 ans à compter de l'achèvement des travaux (CPP art. 8). Sanctions : amende (prison en cas de récidive) + mesures de restitution sous astreinte (mise en conformité ou démolition).

 

Prescription civile

 

Action en responsabilité extracontractuelle (C. civ. art. 1240)

Action en dommages-intérêts : 5 ans à compter du jour où l'auteur du recours a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l'action (C. civ. art. 2224). Cette possibilité est toutefois discutée (H. Périnet-Marquet, Régularisation, contentieux et préemption : trois difficultés d'interprétation de la loi ENL : Constr.-urb. 2006 étude 9)

Action en démolition/dommages-intérêts : 5 ans à compter du jour où l'auteur du recours a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l'action (C. civ. art. 2224)

Action civile (C. urb. art. L 480-13)

• Action en démolition exercée par un tiers (en secteur protégé uniquement) : 2 ans à compter de la décision de la juridiction administrative annulant le permis de construire (C. urb. art. L 480-13, 1o)
• Action en démolition exercée par le préfet : 2 ans à compter de la décision de la juridiction administrative annulant le permis de construire (C. urb. art. L 480-13, 1o
et L 600-6C. urb.)
• Action en dommages-intérêts (contre le constructeur seulement) : 2 ans à compter à compter de l'achèvement des travaux à la condition que le permis ait été annulé ou « constaté illégal » par le juge administratif (C. urb. art. L 480-13, 2o)

 

 

Action civile réservée à la commune (ou à l'EPCI compétent)

 

Action en démolition/mise en conformité de la construction : 10 ans à compter de l'achèvement des travaux (C. urb. art. L 480-14)

Action en violation d'un droit réel (empiètement, violation d'une servitude, etc.)

Action en démolition/dommages-intérêts : 30 ans à compter du jour où l'auteur du recours a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l'action (C. civ. art. 2227)

Action en violation d'un trouble de voisinage

Action en démolition/dommages-intérêts : 5 ans à compter du jour où l'auteur du recours a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l'action (C. civ. art. 2224)

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne