Une société souscrit un contrat de licence et de distribution d'un progiciel de reconnaissance optique. Le contrat prévoit que la procédure de recette incombe à la société licenciée, qui dispose de 15 jours à compter de la livraison du progiciel pour dénoncer tout dysfonctionnement en remplissant une fiche de réclamation et qu'à défaut de réserves respectant ce formalisme le progiciel doit être considéré comme tacitement recetté.
Invoquant des dysfonctionnements bloquants du programme, plusieurs fois signalés à son cocontractant, la société licenciée finit par résilier unilatéralement le contrat. L'éditeur lui oppose alors la recette tacite du progiciel, faute pour la société d'avoir émis des réserves respectant le formalisme prévu au contrat dans les 15 jours de la livraison du programme.
La Cour de cassation écarte cet argument : si les contrats sur la preuve sont valables lorsqu'ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition, ils ne peuvent pas établir au profit de l'une des parties une présomption irréfragable. Par suite, en prouvant que l'éditeur ne lui avait pas livré un progiciel qui pouvait fonctionner et être commercialisé, la société licenciée avait renversé la présomption de recette tacite résultant de l'absence de réserve respectant le formalisme contractuellement prévu.
A noter : 1. L’acceptation sans réserve de la marchandise par l’acheteur lui interdit de se prévaloir des défauts de conformité apparents (Cass. com. 1-3-2005 n° 03-19.296 FS-PB : RJDA 6/05 n° 675 ; Cass. com. 3-5-2006 n° 04-14.323 F-D : RJDA 10/06 n° 1009). Mais l'obligation de délivrance du vendeur d'un bien complexe, tel que du matériel informatique ou un logiciel, ne se limite pas à la seule livraison du bien vendu ; elle comprend également la mise au point du matériel et son adaptation aux besoins de l'acheteur.
La vérification de la conformité implique ainsi parfois une utilisation d'une certaine durée, la réception sans réserve par l'acheteur ne pouvant pas, dans ce cas, être un obstacle à l'action en résolution (Cass. com. 26-11-2013 n° 12-25.191 F-D : BRDA 1/14 inf. 10). La nécessité de déterminer le moment de la réception conduit fréquemment les parties à un contrat informatique à prévoir une procédure de « recette », la recette correspondant à la phase de développement d'un programme au cours de laquelle les acteurs du projet vérifient que le produit est conforme aux attentes formulées. La recette faite par l'utilisateur marque alors sa réception du produit commandé et purge les défauts de conformité.
2. Au cas présent, les parties avaient prévu que, en l'absence de réserves émises suivant un formalisme précis dans les 15 jours suivant la livraison du progiciel, celui-ci serait considéré comme tacitement « recetté », et donc reçu.
La Cour de cassation analyse cette clause comme une convention sur la preuve : passé un certain délai sans que soient formulées des réserves suivant le formalisme prévu, l'acheteur est présumé avoir testé le progiciel et n'avoir relevé aucun défaut de conformité.
Les conventions instaurant une présomption sont valables (Cass. 1e civ. 8-11-1989 n° 86-16.196 : Bull. civ. I n° 342). Elles n'interdisent pas au juge d'apprécier la pertinence des éléments produits aux débats pour renverser la présomption conventionnelle (par exemple, en matière de droit bancaire, la présomption tirée de la réception des relevés de compte sans protestation ni réserve : Cass. com. 8-3-2005 n° 01-16.132 FS-PB : RJDA 7/05 n° 871). La décision commentée s'inscrit dans la droite ligne de ces solutions. Elle est justifiée au regard du fait qu'une présomption irréfragable, en édictant une vérité indépendante de l'exactitude matérielle du fait à prouver, constitue une règle de fond plus qu'une véritable règle de preuve. Reconnaître aux parties la possibilité de prévoir une telle présomption serait permettre à une partie de s'affranchir de la force obligation de la convention.
Ces solutions ont été reprises et généralisées par l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, réformant le droit des contrats. Le nouvel article 1356 du Code civil précise ainsi que « les contrats sur la preuve sont valables lorsqu'ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition (...). Ils ne peuvent (...) établir au profit de l'une des parties une présomption irréfragable ».
En reprenant ces termes à l'identique, dans le cadre d'un litige soumis au droit antérieur à la réforme, la Haute Juridiction marque une fois encore sa volonté d'appliquer par anticipation les nouvelles dispositions, même si elle ne les vise pas expressément.
Maya VANDEVELDE
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Droit commercial nos 26903 et 75503