Selon l’article L 1153-2 du Code du travail, aucune personne ayant subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel ou ayant, de bonne foi, témoigné de faits de harcèlement sexuel ou relaté de tels faits ne peut faire l'objet de mesures de représailles.
Par conséquent, lorsqu’un employeur licencie un salarié en lui reprochant d’avoir signalé des agissements constitutifs d’un harcèlement ou d’en avoir témoigné, la nullité de la rupture du contrat de travail est retenue de plein droit (Cass. soc. 19-10-2011 n° 10-16.444 FS-PB). Peu importe que d’autres motifs aient été énoncés dans la lettre de rupture (Cass. soc. 6-12-2011 n° 10-18.440 F-D). La seule porte de sortie de l’employeur pour échapper à la nullité est donc de démontrer que le salarié était de mauvaise foi, ce qui ne peut pas résulter uniquement de la circonstance que les faits ne sont pas établis. La mauvaise foi ne sera reconnue que si, au moment où le salarié les a signalés ou en a témoigné, il connaissait la fausseté de ses allégations (Cass. soc. 10-3-2009 n° 07-44.092 FP-PBR ; 7-2-2012 n° 10-18.035 FS-PBR). La mauvaise foi du salarié peut être invoquée devant le juge même si elle n'a pas été mentionnée dans la lettre de licenciement (Cass. soc. 16-9-2020 n° 18-26.696 F-PB).
Mais quid lorsque la lettre de licenciement ne fait pas mention de la dénonciation de faits de harcèlement intervenue antérieurement et reproche au salarié d’autres manquements ? C’était la question posée à la Cour de cassation dans cet arrêt du 18 octobre 2023.
La lettre de rupture ne mentionne pas la dénonciation d’un harcèlement, mais évoque d’autres griefs…
Dans cette espèce, la lettre de licenciement reprochait à la salariée divers manquements à ses obligations professionnelles (refus réitéré de la salariée d’accomplir certaines de ses tâches, abandons de postes et actes d’insubordination), qualifiés de faute grave, sans aucune référence à la dénonciation antérieure d’agissements constitutifs d’un harcèlement.
Pour la salariée, toutefois, c’était bien le fait d’avoir dénoncé un harcèlement sexuel qui était à l’origine de son licenciement.
Les juges du fond lui ont donné raison, considérant que le licenciement était nul. Pour la cour d’appel, les faits reprochés à la salariée dans la lettre de licenciement étaient concomitants à la date à laquelle elle avait déposé plainte pour harcèlement, et l’employeur ne démontrait pas sa mauvaise foi. Pour les magistrats, cette temporalité des faits démontrait que la dénonciation de harcèlement sexuel avait pesé sur la décision de licenciement.
… dont la légitimité doit être examinée par le juge
Mais la Cour de cassation écarte ce raisonnement. Dans la mesure où les juges du fond ont constaté que la lettre de licenciement ne faisait pas mention d'une dénonciation de faits de harcèlement sexuel, ils devaient rechercher si les motifs énoncés pour caractériser la faute grave étaient établis par l'employeur.
Autrement dit, la nullité du licenciement ne peut pas se déduire de la seule concomitance ou proximité temporelle entre la rupture et le signalement antérieur d’un harcèlement sexuel.
A noter :
La Cour de cassation a déjà retenu ce principe à propos d’un salarié licencié en raison de ses absences prolongées nécessitant son remplacement définitif, ce licenciement étant intervenu quelques mois après qu’il a dénoncé un harcèlement moral. Les juges ont refusé d’admettre que cette circonstance de temps puisse suffire à établir un lien entre le licenciement et cette dénonciation (Cass. soc. 24-6-2020 n° 19-12.403 F-D).
Il faut donc distinguer 2 régimes probatoires :
la lettre de licenciement mentionne la dénonciation du harcèlement : la nullité de la rupture s’applique de plein droit, même si d’autres motifs sont évoqués, sauf preuve par l’employeur de la mauvaise foi du salarié ;
la lettre de licenciement ne fait aucune allusion à la dénonciation du harcèlement et mentionne d’autres griefs à l’encontre du salarié : le juge saisi de la contestation de la décision de l’employeur doit se prononcer sur l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement. Si les griefs sont jugés légitimes, il appartiendra au salarié de démontrer que la rupture constitue une mesure de rétorsion à une plainte pour harcèlement moral ou sexuel. Ce n’est que dans la mesure où ces griefs sont écartés qu’il incombera à l’employeur de prouver que sa décision était sans lien avec la dénonciation d’un harcèlement et ne constituait donc pas une mesure de rétorsion. Sans cette preuve, le licenciement sera jugé nul.
A noter :
La même solution a déjà été retenue en cas de licenciement faisant suite à l’engagement par le salarié d’une action en justice contre son employeur. Si le licenciement n'est pas expressément motivé par l'action en justice du salarié et repose sur une cause réelle et sérieuse, le salarié doit prouver que la rupture constitue en réalité une mesure de rétorsion (Cass. soc. 9-10-2019 n° 17-24.773 FS-PB). La seule concomitance entre le licenciement et l'action en justice du salarié ne fait pas présumer une atteinte à une liberté fondamentale du salarié (Cass. soc. 4-11-2020 n° 19-12.367 FS-PBI ; 17-5-2023 n° 22-15.143 F-D).
À l’inverse, si le licenciement est jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse et fait suite au dépôt par le salarié d'une requête devant la juridiction prud'homale, il appartient à l'employeur d'établir que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l'exercice, par le salarié, de son droit d'agir en justice (Cass. soc. 5-12-2018 n° 17-17.687 F-D).
Un raisonnement similaire s’applique en matière de discrimination illicite (Cass. soc. 28-6-2023 n° 22-11.699 F-B).
Documents et liens associés
Cass. soc. 18-10-2023 n° 22-18.678 F-B, Sté Crocodile restaurants c/ D.