Après avoir pris une participation majoritaire dans le capital d'une société anonyme (SA), un actionnaire est nommé président du conseil d'administration de la société et il conclut un pacte d'actionnaires avec l'ancien dirigeant de la SA, qui demeure actionnaire et est nommé directeur général délégué. Le pacte prévoit, notamment, que le conseil d'administration doit être composé de façon paritaire entre les deux groupes d'actionnaires.
Le directeur général délégué est révoqué par le conseil d'administration de la société par deux voix contre une, l'un des quatre administrateurs ayant démissionné. Estimant que les modalités d'adoption de la décision portant sur sa révocation constituaient une violation du pacte d'actionnaires par l'actionnaire majoritaire, le directeur général délégué lui réclame des dommages-intérêts.
Sa demande est rejetée. Le principe de libre révocabilité des mandataires sociaux, qui s'applique au directeur général délégué, sans préjudice de la nécessité que leur révocation repose sur un juste motif, s'oppose à toute stipulation ayant pour objet ou pour effet d'entraver ou de restreindre l'exercice du droit de révocation. Tel était le cas de la clause du pacte selon laquelle le conseil d'administration devait être composé de façon paritaire entre les deux groupes d'actionnaires, qui était donc illicite.
A noter : Le dirigeant révoqué soutenait que le principe de libre révocabilité des dirigeants n'était pas applicable au directeur général délégué. Il n'en est rien. En effet, ce principe, qui commande que la société puisse toujours mettre fin aux fonctions de ses dirigeants, s'applique au directeur général délégué, comme aux autres mandataires sociaux (la seule exception à cette règle concerne les gérants des sociétés en commandite par actions et les dirigeants des sociétés par actions simplifiées, dont les conditions de révocation sont fixées par les statuts).
Il en résulte qu'est illicite toute clause statutaire ou toute convention tendant à supprimer, limiter ou entraver la liberté de révocation d'un dirigeant.
Ces stipulations visent fréquemment les administrateurs de SA qui, contrairement au directeur général délégué, peuvent être révoqués sans pouvoir prétendre à des dommages-intérêts si leur révocation est décidée sans juste motif. On les rencontre rarement dans les statuts mais plutôt dans des dispositions extrastatutaires (pacte d'actionnaires, accord entre la société et son dirigeant ou contrat de travail conclu entre eux). Elles prévoient souvent l'obligation pour la société de verser une indemnité au dirigeant d'un tel montant qu'il est de nature à dissuader de le révoquer (Cass. com. 4-6-1996 n° 94-15.238 P : RJDA 2/97 n° 224 ; Cass. com. 6-11-2012 n° 11-20.582 F-PB : RJDA 2/13 n° 135).
En l'espèce, la clause restreignait la possibilité de révoquer le directeur général délégué en ce qu'elle imposait une répartition égalitaire au sein du conseil d'administration entre les deux groupes d'actionnaires de la SA. Rappelons que le directeur général délégué peut être révoqué à tout moment, mais seulement par le conseil d'administration et sur la proposition du directeur général (C. com. art. L 225-55, al. 1), que les décisions du conseil d'administration sont prises à la majorité des membres présents ou représentés, à moins que les statuts ne prévoient une majorité plus forte (C. com. art. L 225-37, al. 2), et que, en cas de partage des voix, sauf disposition contraire des statuts, la voix du président de séance est prépondérante (C. com. art. L 225-37, al. 4).
Arnaud WURTZ
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Sociétés commerciales 2021 nos 12483 et 42683 et Mémento Transmission d'entreprise n° 22769