Qu’est ce que le droit à l’oubli ? Ce droit permet aux internautes de faire supprimer du moteur de recherche certaines informations les concernant, selon certaines conditions. Il s’agit des informations sensibles qui révèlent des opinions politiques, religieuses ou syndicales, une orientation sexuelle ou des informations relatives à des infractions et condamnations pénales. Ce droit est issu de la réglementation européenne, le RGPD (dans ce dossier plus précisement, de son ancêtre la directive du 24 octobre 1995), et permet à toute personne concernée de s’opposer au traitement de données sensibles. Or, quand un utilisateur demandait à Google de supprimer ces informations, Google n’appliquait ce principe qu’aux pays de l’UE, uniquement sur les extensions européennes (google.fr, google.be, etc.). Il était donc possible de retrouver ces informations sur les sites du moteur de recherche hors zone UE.
Quel est le contexte du dossier ? La CNIL avait condamné Google, le 24 mars 2016, alors cette société refusant d’appliquer le droit à l’oubli dans l’intégralité de ses résultats de recherche hors du territoire de l’Union européenne. Google avait contesté cette sanction de 100 000 € devant le Conseil d’Etat. En mai 2016, comme la question soulevée s’applique à l’interprétation du droit de l’Union européenne, le Conseil d’Etat a porté l’affaire devant le CJUE, début 2017.
Quels sont les arguments des protagonistes ? Les arguments majeurs de la CNIL reposaient sur l'idée que la protection des données personnelles est un principe absolu, quelle que soit la localisation de l’internaute. Considérant que le droit à l’oubli est menacé par les outils technologiques, comme l’utilisation d’un VPN (logiciel masquant le lieu de connexion), la CNIL demandait à la CJUE d’étendre la portée de ce droit au monde entier. Google, pour sa part, considérait que le respect de la vie privée doit être mis en balance avec la liberté d’expression. La CJUE lui a donné raison, en considérant que cet équilibre pouvait varier selon les régions du monde.
Quelles sont les conséquences de cette décision ? Le déréférencement demandé par les internautes situés dans les pays Membres de l’UE aux moteurs de recherche, sera limité au territoire européen. Cependant, la CJUE insiste formellement auprès de Google pour que ce droit soit réellement effectif dans l’espace européen. Elle exige du moteur de recherche que soient mises en oeuvre des mesures empêchant ou décourageant l’accès des internautes aux pages déréférencées. La question de la portée du droit à l’oubli reste ouverte. En effet, la Cour suprême du Canada a considéré dans un arrêt du 28 juin 2017 que le le droit à l’oubli a un périmètre mondial. L’articulation entre protection de la vie privée et liberté d’expression reste donc un débat d’actualité.
Par Sabine MARCELLIN, avocate fondatrice du cabinet Aurore Legal, experte en droit du numérique