La Quotidienne : Quelle différence entre les maisons de ventes en ligne et les maisons de ventes aux enchères physiques ?
Cécilia Chol : Le Code de Commerce consacre un titre entier aux ventes aux enchères publiques. L’article L 321-3 du Code de commerce distingue la vente aux enchères du courtage aux enchères. Dans la vente aux enchères, la personne qui acte la transaction est la maison de ventes. Elle agit en qualité de mandataire. Dans le courtage aux enchères, comme nous le pratiquons chez Catawiki, la personne qui vend est l’apporteur du lot (le vendeur) qui reste responsable de celui-ci, le courtier n’étant qu’un intermédiaire de vente dépourvu de mandat. C’est entre le vendeur et l’acheteur que s’opère la transaction.
Dans une maison de ventes classique, l’opérateur se substitue au vendeur. C’est la grande différence. On connaît le rôle joué par ces dernières. Le nôtre est plus un rôle de conseil, nous aidons le vendeur à décrire son lot, à choisir les photographies mises en ligne, nous veillons à écarter les faux et les contrefaçons et nous garantissons le bon déroulé de la transaction. Le vendeur reste maître de ses choix, de vendre ou ne pas vendre, après avoir été conseillé par nos experts.
Reste que cette différence entre maison de ventes classique et maisons de ventes en ligne s’amenuise avec le temps et que, de mon point de vue, le Code de commerce sera de nouveau réformé dans les années qui viennent. La loi du 20 juillet 2011 de libéralisation des ventes volontaires aux enchères publiques est intervenue avant le grand tsunami provoqué par le digital mais elle tendait déjà à introduire la révolution digitale dans le Code de commerce. Il faut achever le travail car, en réalité, la différence entre maison de ventes en ligne et maison de ventes physique n’a plus lieu d’être d’un point de vue pratique, 90 % des maisons de vente classiques opérant maintenant sur internet via Interencheres, Invaluable ou auction.fr.
La Quotidienne : Et la réforme que vous évoquez basculerait selon vous du côté de la généralisation du modèle de l’intermédiaire ?
C. C. : Je pense qu’il y aura un mélange des statuts d’intermédiaire et de mandataire. On demandera aux courtiers d’apporter plus de garanties. Ce qui sera compliqué sur le plan international : peut-on demander à un courtier en ligne aux enchères américain ou singapourien de se conformer au Code de commerce français ? Comme dans tous les secteurs où « l’ubérisation » a frappé, cela pose de vraies questions aux pouvoirs publics et au législateur. Les modes de consommation et les modèles économiques évoluent plus vite que la loi !
La Quotidienne : Pourquoi une telle évolution du marché vers le digital ?
C. C. : Plusieurs raisons l’expliquent. D’abord, les habitudes de consommation ont changé, l’achat sur internet s’est largement généralisé. Il y a dix ans, il ne concernait que des biens peu onéreux de consommation courante (vêtements, livres, CD…). Désormais, le consommateur accepte d’acheter en ligne des produits de luxe sans avoir vu ce qu’il acquiert.
Le basculement du marché de l’art aux enchères vers le digital s’explique également par la rapidité de la transaction en ligne. Dans une maison de ventes physique, il faut compter de 4 à 6 mois entre le dépôt et le paiement. Après le dépôt, l’objet est photographié, catalogué, il doit s’inscrire dans une vente qui lui correspond. Et lorsqu’il est vendu, la maison de ventes dispose de deux mois à compter de la vente pour en régler le prix (Code de commerce art. L321-14). Chez Catawiki, par exemple, l’objet est déposé le mercredi, il est mis en vente le vendredi, il reste une semaine en ligne et le paiement est effectué entre 10 et 15 jours après la vente.
Autre point important : pour le professionnel de la vente en ligne comme pour l’amateur aguerri, la possibilité de soumettre un lot tout en le gardant chez lui, sans avoir à le récupérer dans le cas où il ne le vendrait pas, n’est pas négligeable.
Enfin, je pense que le digital fonctionne, dans le marché de l’art notamment, parce que le consommateur fait désormais confiance au système. Ce n’était pas le cas il y a dix ans. Les courtiers aux enchères en ligne ont très bien compris qu’il est nécessaire de décrire précisément l’objet et qu’il est important d’avoir un taux de confiance très élevé. Chez Catawiki, tous les vendeurs sont notés, chaque lot est expertisé et nous avons mis en place un système d’échange avec les vendeurs et les acheteurs qui peuvent nous joindre par mail ou par téléphone. Instaurer la confiance est un travail de longue haleine, mais je crois que sur internet c’est en train de prendre.
La Quotidienne : Comme vous le disiez, l’acheteur ne voit pas les objets ou les œuvres, il ne les a pas entre les mains avant de les acheter. Quand un problème se produit, quelles sont les garanties pour lui sur ces plateformes de courtage en ligne ?
C. C. : Dans une maison de ventes physique, l’acheteur peut se déplacer et discuter. Revers de la médaille, ces maisons n’ont pas la surface financière des très gros groupes de courtage aux enchères en ligne parce qu’elles n’ont pas fait de levées de fonds semblables. Il est donc facile pour le vendeur ou l’acheteur insatisfait de s’engager sur le terrain de la transaction mais le plus souvent il est renvoyé au Conseil des ventes pour formuler une demande de règlement de litige. Cela prend du temps… et de l’argent ! Les plus importantes maisons de ventes en ligne ont fait de très grosses levées de fonds si bien qu’en cas d’insatisfaction manifestée par l’acheteur ou le vendeur, elles ont les moyens financiers de le rembourser. Il est donc rare qu’elles essuient des contentieux. C’est une vraie force. J’en profite pour rappeler que ces entreprises étant des plateformes de e-commerce, l’acheteur dispose de 15 jours pour dénoncer son achat sans en donner le motif, la réglementation européenne (Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, dite «directive sur le commerce électronique») obligeant l’opérateur de e-commerce à le rembourser. Dans ce cas, le vendeur peut se sentir lésé et il est important pour la plateforme d’avoir une politique assurancielle : bons d’achat, nouveau passage du lot en priorité, offre de compensation financière… Choses que les maisons de ventes classiques, contraintes par le Code de Commerce, ne peuvent pas faire aisément.
Propos recueillis par Laurent MONTANT
Cécilia Chol est commissaire-priseur depuis 2015. Titulaire d'un Master 2 en Droit et Fiscalité de l'Art et d'une Licence en Histoire de l'Art, elle commence sa carrière chez Artcurial, comme catalogueuse en Arts décoratifs du XXe puis comme responsable des ventes judiciaires auprès de Maître Francis Briest. En 2016, elle rejoint Catawiki, plateforme d'enchères en ligne où elle est désormais en charge des ventes d'Art moderne et contemporain. Parallèlement, elle enseigne le Droit du marché de l'Art à l'Ecole d'Art et de Culture (EAC) de Lyon.