La proposition de réforme de l’impôt sur la fortune (ISF) vise à restreindre son champ d’application aux seuls biens immobiliers. Cet impôt deviendrait de ce fait un impôt sur la fortune immobilière (IFI). Le seuil d’assujettissement (de 1,3 m€), le barème et les règles d’assiette (par exemple l’abattement de 30% sur la résidence principale) ne devraient pas être modifiés.
L’objectif affiché est d’orienter l’épargne des Français vers le financement des entreprises et l’investissement productif et de combattre la « rente immobilière ».
On ne peut que se féliciter d’une telle réforme. Il n’est plus besoin de démontrer la nocivité de cet impôt et pas seulement pour ceux qui l’acquittent mais aussi pour la collectivité dans son ensemble. Certains auraient bien entendu préféré une abrogation pure et simple de l’ISF. Outre les raisons politiques et budgétaires, le maintien d’un impôt sur la fortune pour les biens immobiliers peut se justifier comme un moyen de réduire sensiblement le fossé intergénérationnel qui s’est creusé depuis environ deux décennies en matière immobilière et que la fiscalité a contribué à amplifier.
En principe, tous les contribuables actuellement assujettis à l’ISF devraient donc être gagnants. Les contribuables détenant un patrimoine important devraient être les grands bénéficiaires de la réforme. En effet, en règle générale, plus le patrimoine d’un contribuable est important et moins les biens immobiliers représentent proportionnellement une part significative.
De prime abord, on pourrait penser que la réforme sera très simple à mettre en œuvre. Il suffirait de circonscrire le champ d’application du nouvel impôt sur la fortune aux seuls actifs immobiliers. Tel ne sera pas le cas.
La réforme envisagée nécessitera de préciser la nature des biens immobiliers qui seront assujettis à l’IFI, les règles d’assiette et le passif déductible.
Nature des biens immobiliers assujettis :
Il est, tout d’abord, à espérer que la réforme ne sera pas l’occasion d’inclure dans l’IFI des biens immobiliers qui, sous l’empire de l’ISF, ne l’étaient pas.
Tous les biens immobiliers sont en principe assujettis à l’ISF. Cependant, certains d’entre eux, en application d’une simple tolérance administrative, bénéficient d’une exonération d’ISF par « capillarité » avec la notion de biens professionnels. Ainsi, un bien immobilier, propriété d’un contribuable (ou détenu par une société dont le contribuable détient les titres), est exonéré d’ISF lorsque ce bien immobilier est utilisé soit pour les besoins d’une activité exercée par le contribuable qui bénéficie d’une exonération d’ISF au titre des biens professionnels soit par une société dont les titres sont détenus par le contribuable et qui bénéficient d’une telle exonération.
Les contraintes budgétaires pourraient-elles inciter le gouvernement à faire disparaître l’exonération qui s’applique actuellement à ces biens immobiliers ou à restreindre cette exonération à certains biens immobiliers (usines, entrepôts, murs de magasins ou de restaurants, etc) qui seraient vus comme ayant une nature plus « productive » que d’autres (par exemple des bureaux) ? A tout le moins et à n’en pas douter Bercy examinera de près l’ensemble des exonérations qui s’appliquent actuellement et certaines d’entre elles pourraient être plus sur la sellette que d’autres (par exemple l’exonération dont bénéficient les loueurs en meublé professionnels de biens à usage d’habitation).
Certains contribuables pourraient devenir redevables de l’IFI alors qu’ils ne l’étaient pas au titre de l’ISF (ou alternativement devraient acquitter un IFI d’un montant supérieur à l’ISF dont ils s’acquittent actuellement) si l’exonération mentionnée ci-dessus n’était pas maintenue (ou si elle était restreinte).
La réforme envisagée impliquera l’introduction en matière d’IFI d’une définition de société à prépondérance immobilière (SPI) permettant ainsi d’assujettir les titres de sociétés détenant principalement (plus de 50%), directement ou indirectement, des biens immobiliers non éligibles à une exonération au titre des biens professionnels. Les titres de ces sociétés sont actuellement assujettis à l’ISF en tant que droits sociaux ne qualifiant pas de biens professionnels. En l’absence d’une modification des dispositions applicables, les titres de ces sociétés deviendraient exonérés d’IFI. La notion de SPI existe actuellement pour l’ISF des personnes physiques non-résidentes (confer 885 L CGI). La définition qui sera retenue sera nécessairement différente de celle actuellement applicable aux personnes physiques non-résidentes. Elle inclura les biens immobiliers situés non seulement en France mais aussi à l’étranger (et pas seulement les biens immobiliers situés en France). Bercy devra également décider s’il entend assujettir les titres de foncières cotées (SIIC ou non SIIC) à l’IFI ou, au contraire, les exonérer en faisant primer le caractère mobilier de ces titres par rapport à leur sous-jacent immobilier. Si tel devait être le cas, une position identique devrait être retenue pour les titres de SCPI et d’OPCI (SPPICAV et FPI) afin que l’ensemble des véhicules « pierre papier » soient traités de façon identique. Rappelons qu’aujourd’hui, les titres de SIIC cotées, d’OPCI et de SCPI sont assujettis à l’ISF.
L’administration fiscale pourrait aller plus loin en introduisant des dispositions similaires (confer 750 ter 2° 2ème alinéa CGI) à celles qui existent ici encore pour les personnes physiques non-résidentes à savoir l’assujettissement à l’IFI des titres de sociétés détenant, directement ou indirectement, des biens immobiliers sans être pour autant des SPI sous réserve que le contribuable (avec son groupe familial) détienne plus de 50% des titres de la société (ci-après SPPIAI pour société pas à prépondérance immobilière détenant des actifs immobiliers). Rappelons que ces dernières dispositions ont été introduites pour les personnes physiques non-résidentes pour mettre un terme à certains montages ayant pour objectif de « désimmobiliariser » des SPI. Il est vraisemblable que le seuil de détention de 50% pourrait être abaissé dans l’hypothèse où le gouvernement déciderait d’assujettir à l’IFI les biens immobiliers qui bénéficient actuellement d’une exonération d’ISF au titre des biens professionnels.
L’assiette imposable :
Sur la base du programme du candidat En Marche, l’assiette de l’IFI ne devrait pas être modifiée. L’abattement de 30% sur la résidence principale devrait donc toujours s’appliquer.
Certaines règles devront cependant être modifiées.
Dans le cadre de l’IFI, les créances deviendraient des biens exonérés s’agissant de biens mobiliers. Pour éviter que certains contribuables réduisent artificiellement le montant de l’IFI dont ils sont redevables à raison de la détention de titres de SPI financées par des comptes courants, on peut anticiper que Bercy introduira une règle similaire à celle qui existe actuellement en matière d’ISF pour les personnes physiques non-résidentes (confer 885 T ter CGI) à savoir que les créances détenues directement ou indirectement par un contribuable sur une SPI dont il détient par ailleurs les titres ne sont pas déductibles de la valeur imposable desdits titres.
Il serait opportun que l’administration fiscale profite de la réforme pour clarifier la base imposable des titres de SPI et de SPPIAI ; la qualité rédactionnelle des dispositions actuellement applicables est très perfectible s’agissant notamment du calcul de la base imposable en cas de multitude de sociétés interposées détenant chacune des actifs (immobiliers ou non) et des passifs.
Le passif déductible :
Sur la base du programme Macron, l’assujettissement des biens immobiliers à l’IFI sur une base nette de dettes ne devrait pas être remis en cause.
La notion de passif déductible devra, toutefois, être ajustée.
Les impôts (par exemple, taxe foncière, etc) liés aux biens immobiliers taxables devraient toujours être déductibles de la base de l’IFI. Cependant, la déductibilité de l’IR de l’assiette de l’IFI devra être modifiée. En effet, cette déductibilité devrait être limitée à proportion de l’IR relatif aux biens immobiliers taxables et productifs de revenus par rapport à l’IR total dû par le contribuable.
Les contribuables auront une forte incitation fiscale à financer l’acquisition de biens immobiliers par un endettement bancaire maximum plutôt que d’utiliser les liquidités dont ils disposent par ailleurs. Rappelons enfin que les techniques ayant pour seul objectif de transformer un financement sur fonds propres en un financement bancaire (connues sous les termes de financement back-to-back ou de crédit Lombard) déductible de l’IFI ne sont pas exemptes de tout risque fiscal.
La réforme de l’ISF va s’inscrire dans un environnement budgétaire très contraint. Il est à espérer que les décisions qui seront prises par le gouvernement n’aboutiront pas à assujettir à l’IFI des biens immobiliers qui ne l’étaient pas à l’ISF.
Par Philippe EMIEL, Avocat PwC Société d'Avocats et Sébastien JOURNE, Avocat Orrick Rambaud Martel
Philippe EMIEL, Avocat PwC Société d'Avocats
Sébastien JOURNE, Avocat Orrick Rambaud Martel