Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, tout licenciement d’au moins 10 salariés sur une même période de 30 jours est subordonné à la validation par le Dreets de l’accord collectif portant plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) ou, à défaut d’accord, à l’homologation par cette même autorité administrative du document unilatéral de l’employeur fixant un tel plan, dans les conditions définies par les articles L 1233-57-2 (validation d'un accord collectif) et L 1233-57-3 (homologation d'un document unilatéral) du Code du travail. Les litiges portant sur ces décisions sont de la compétence exclusive de la juridiction administrative (C. trav. art. L 1235-7-1). Il en résulte que le juge du contrat de travail ne peut pas apprécier des éléments qui relèvent du pouvoir de contrôle de l'administration du travail. En revanche, le juge judiciaire demeure compétent pour connaître de « tout contentieux qui concerne une question se situant en amont, en aval ou en marge d'une décision administrative » (H. Nasom-Tissandier, « Le PSE entre juge administratif et juge judiciaire. Une articulation des compétences entre dialogue et autonomie » : RJS 3/20 p. 177) et qui échappe donc au contrôle de l'administration. L’arrêt du 20 avril 2022 en fournit une nouvelle illustration.
Un litige portant sur l’application de l’ordre des licenciements…
En l’espèce, l’employeur avait établi, dans le cadre d’un projet de réorganisation, un PSE qui avait été homologué par l’administration, ce plan prévoyant notamment la suppression de la totalité des 61 postes d’attachés commerciaux, regroupés au sein d’une même catégorie professionnelle, et la création de 35 postes d’ingénieurs commerciaux, devant être proposés en reclassement aux salariés occupant les postes supprimés. Trois des salariés licenciés avaient contesté le bien-fondé de leur licenciement devant le conseil de prud’hommes. Ils soutenaient que leurs postes d’attachés commerciaux et ceux d’ingénieurs commerciaux correspondaient en réalité aux mêmes fonctions et que, en conséquence, les postes d’attachés commerciaux n’étant pas tous supprimés, l’employeur aurait dû établir un ordre des licenciements (Cass. soc. 14-1-2003 n° 00-45.700 F-D). Ils avaient obtenu gain de cause, la cour d’appel jugeant leur licenciement sans cause réelle et sérieuse. Décision contestée par l’employeur qui avait soulevé l’exception d’incompétence du juge judiciaire, estimant que celui-ci avait remis en cause l’appréciation portée par l’administration.
… qui relève de la compétence du juge judiciaire
La chambre sociale de la Cour de cassation rejette l’argument.
Elle rappelle que, saisi d’une demande d’homologation d’un document unilatéral de l’employeur, le Dreets doit vérifier, notamment, que les catégories professionnelles qui y sont définies regroupent, en tenant compte des acquis de l’expérience professionnelle qui excèdent l’obligation d’adaptation incombant à l’employeur, l’ensemble des salariés qui exercent, au sein de l’entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune (CE 7-2-2018 n° 407718) et que les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements et leurs règles de pondération sont conformes aux dispositions législatives conventionnelles applicables (CE 30-5-2016 n° 387798 ; CE 1-2-2017 n° 387886). Le juge administratif est, bien entendu, le seul compétent pour contrôler l’appréciation de l’administration en ces matières. Mais, en l’espèce, les salariés ne remettaient pas en cause les décisions administratives ; leur contestation, portant sur la réalité de la suppression d’emploi et la mise en œuvre de l’ordre des licenciements, se situait en aval. Par conséquent, le juge judiciaire était bien compétent pour connaître de ce litige, parce que ces aspects du licenciement échappent au pouvoir de contrôle du Dreets.
A noter :
Le juge judiciaire est également compétent pour statuer sur le motif économique du licenciement (CE 22-7-2015 n° 385816), l’obligation individuelle de reclassement (Cass. soc. 21-11-2018 n° 17-16.766 PBRI), l’existence d'une unité économique et sociale (CE 13-2-2019 n° 404556) et le respect par l’employeur de son obligation de sécurité lors de la mise en œuvre du PSE (T. Confl. 6-8-2020 n° C4189).
L’arrêt de cour d’appel est toutefois cassé en ce qu’il dit les licenciements sans cause réelle et sérieuse. En effet, il est de jurisprudence constante que le non-respect de l’ordre des licenciements n’a pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, mais donne lieu à l’octroi de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi pouvant aller jusqu’à la perte injustifiée de l’emploi (dernièrement : Cass. soc. 16-2-2022 n° 20-14.969 FS-B).
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