En 2017, le Conseil d’Etat a reconnu, pour la première fois, la possibilité pour un ouvrier d'État intégré dans le dispositif d'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l’amiante, d’obtenir la réparation de son préjudice tenant à l'anxiété due au risque élevé de développer une pathologie grave, et par là même d'une espérance de vie diminuée, à la suite de son exposition aux poussières d'amiante (CE 3-3-2017 n° 401395).
Depuis cette décision de principe, la Haute Cour administrative considère comme la chambre sociale de la Cour de cassation que les bénéficiaires de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (Acaata) sont dispensés d’avoir à établir la réalité de leur préjudice d’anxiété : la décision de reconnaissance du droit à cette allocation vaut reconnaissance pour l’intéressé d'un lien établi entre son exposition aux poussières d'amiante et la baisse de son espérance de vie, et cette circonstance, qui suffit par elle-même à faire naître chez son bénéficiaire la conscience du risque de tomber malade, est la source d'un préjudice indemnisable au titre du préjudice moral.
La réparation du préjudice d’anxiété est le plus souvent demandée devant le juge judiciaire par les travailleurs de l'amiante à l'encontre de leur ancien employeur. Toutefois, en cas d'insolvabilité de ce dernier, la réparation peut aussi être demandée devant le juge administratif, en invoquant la carence de l’État. Ainsi les juridictions, de l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif, apportent régulièrement des précisions concernant les modalités et les contours de l'action en réparation du préjudice d'anxiété.
Le Conseil d'État était saisi d'une demande d'avis de la part de la cour administrative d'appel de Marseille à la suite d'une action en réparation intentée devant le juge administratif, l'employeur ayant fait l'objet d'une liquidation judiciaire. Les questions portaient sur l'application des règles de prescription et en particulier la date du point de départ du délai de prescription et les cas dans lesquels celui-ci est interrompu.
La publication de l'arrêté fait courir le délai de prescription
Concernant le point de départ du délai de prescription, dans l’ordre judiciaire, il est établi depuis 2014 que le préjudice d’anxiété naît à la date à laquelle les salariés ont connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de l'activité de l'employeur sur la liste des établissements permettant la mise en œuvre de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, c’est donc à partir de cette date que court le délai de prescription de l’action (Cass. soc. 2-7-2014 n° 12-29.788 FS-PB ; Cass. soc. 25-3-2015 n° 13-21.716 FS-PB).
La cour administrative d’appel de Marseille se demandait si la règle était la même devant les juridictions de l’ordre administratif. Le Conseil d’État répond par l’affirmative. Il juge que la publication de l’arrêté ministériel qui inscrit l’établissement du travailleur sur la liste des établissements susceptibles d’ouvrir un droit à l’Acaata porte à la connaissance du salarié le risque qu’il encourt du fait de son exposition aux poussières d’amiante. La date de cette publication est donc le point de départ du délai de prescription de 4 ans.
Dans cet avis, le Conseil d’État précise aussi que lorsque l’établissement a fait l’objet de plusieurs arrêtés successifs étendant la période d’inscription ouvrant droit à l’Acaata, il convient de prendre en compte la date la plus tardive.
A noter :
Rappelons que la chambre sociale de la Cour de cassation juge, de son côté, que l'action en reconnaissance de ce préjudice se prescrit à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître le risque à l'origine de l'anxiété, c'est-à-dire, pour les salariés susceptibles de bénéficier de la préretraite amiante, à compter du jour de la publication du premier arrêté ministériel ayant inscrit l'établissement employeur sur la liste permettant la mise en œuvre du régime légal de préretraite (Cass. soc. 11-9-2019 n° 18-50.030 FP-PB : RJS 11/19 ; Cass. soc. 29-1-2020 n° 18-15.388 FS-PB : RJS 4/20 n° 202).
Seuls certains actes interrompent le délai de prescription
Le Conseil d’État précise également les conditions dans lesquelles le délai de prescription de 4 ans (prescription quadriennale de droit commun pour les actions contre l'État ou une personne publique) peut être interrompu.
En application des dispositions de l’article 2 de la loi du 31 décembre 1968, ce délai de prescription peut être interrompu en cas de recours juridictionnel mettant en cause une collectivité publique.
Les actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur formées devant les juridictions judiciaires, en l'absence d'une telle mise en cause, ne produisent pas cet effet interruptif, précise le Conseil d’État.
Le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile à l’encontre d’une collectivité publique ou le fait de se porter partie civile afin d'obtenir des dommages et intérêts dans le cadre d'une instruction pénale déjà ouverte, interrompent aussi le délai de prescription.
En revanche, cet effet interruptif n'est produit ni par une plainte pénale qui n'est pas déposée entre les mains d'un juge d'instruction et assortie d'une constitution de partie civile, ni par l'engagement de l'action publique, ni par l'exercice par le condamné ou par le ministère public des voies de recours contre les décisions auxquelles cette action donne lieu en première instance et en appel.
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