Dans deux arrêts récents, la chambre sociale de la Cour de cassation met un frein à sa jurisprudence traditionnelle relative à la portée des promesses d’embauche.
Les faits des deux affaires : un club de rugby adresse à un joueur professionnel une proposition d’engagement, prévoyant notamment le montant de la rémunération mensuelle, la mise à disposition d’un logement et d’un véhicule, ainsi que la date de début d’activité. Puis le club se rétracte par courriel adressé à l’agent des joueurs. Malgré cela, le joueur retourne au club les documents signés. Il saisit ensuite le juge afin d’obtenir des indemnités de rupture ce que la cour d’appel lui accorde en se fondant sur la position retenue par la Cour de cassation. Cette dernière considérait en effet jusqu’alors que l’écrit précisant l'emploi proposé et la date d'entrée en fonction constituait une promesse d'embauche valant contrat de travail et, qu’en cas de rupture, cette promesse s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse (par exemple Cass. soc. 15-12-2010 n° 08-42.951 F-PB ; Cass. soc. 19-11-2014 n° 13-19.483 F-D). Mais cette fois, la chambre sociale de la Haute Juridiction ne valide pas la décision des juges du fond.
Tout écrit indiquant l’emploi proposé et la date d’embauche ne vaut plus contrat de travail
Revenant sur sa jurisprudence, et à l’instar d’autres formations (Cass. ch. mixte 24-2-2017 n° 15-20.411 F-PBRI), la chambre sociale indique que l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (même si cette ordonnance n’était pas applicable aux faits de l’espèce), conduit à apprécier différemment, dans les relations de travail, la portée des offres et promesses de contrat de travail (voir notre Dossier spécial Réforme du droit des contrats).
Ainsi, l’offre est l’acte par lequel un employeur propose un engagement précisant l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation. L’offre peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire. La rétractation avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, à l’issue d’un délai raisonnable, fait obstacle à la conclusion du contrat de travail et engage la responsabilité extra-contractuelle de son auteur. Ce dernier s'expose donc seulement à verser des dommages-intérêts si le candidat malheureux apporte la preuve d’un préjudice subi.
A l’inverse, une promesse unilatérale de contrat de travail est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat de travail, dont l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat de travail promis. Cette définition correspond à celle de l’article 1124 du Code civil, tel qu’issu de l’ordonnance du 10 février 2016, qui définit la promesse unilatérale comme un contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l'autre, le bénéficiaire, le droit d'opter pour la conclusion du contrat, dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. Le texte prévoit comme sanction de la révocation d'une telle promesse la possibilité d'une exécution forcée du contrat.
Dans les deux affaires, la chambre sociale censure les juges du fond, ceux-ci ayant condamné le club de rugby sans avoir constaté, dans les documents litigieux, le droit offert au joueur d’opter pour la conclusion du contrat de travail dont les éléments essentiels étaient déterminés et pour la formation duquel ne manquait plus que leur consentement, ce qui aurait permis de caractériser une promesse unilatérale engageant l’employeur et non une simple offre de contrat de travail.
A noter :
Comme le souligne la Cour de cassation dans son communiqué relatif aux deux arrêts du 21 septembre 2017, la jurisprudence précédente ne s’attachait qu’au contenu de la promesse d’embauche. Elle était certes protectrice du salarié mais présentait des difficultés, d’une part en ce qu’elle ne prenait pas en compte la manifestation du consentement du salarié pour s’attacher exclusivement au contenu de l’acte émanant de l’employeur (un acte unilatéral emportait ainsi les effets d’un contrat synallagmatique), d’autre part son application rigoureuse pouvait avoir pour effet d’assécher les possibilités de négociation pré-contractuelle. En effet, un employeur s’avançant trop dans la négociation risquait de se voir opposer la conclusion d’un contrat de travail, alors même que ce sont les précisions sur la date d’entrée en fonction, l’emploi proposé et la rémunération qui permettent aux parties de se déterminer et au salarié de conclure ou de préférer un autre employeur. En outre, le salarié pouvait réclamer des indemnités de rupture sur le seul fondement de la promesse d’embauche, alors même qu’il n’avait pas l’intention de s’engager.
Offre et promesse de contrat de travail : une distinction subtile
Ce n’est donc plus le contenu de l’écrit qui permet de déterminer s’il s’agit d’une offre ou d’une promesse, puisque ce contenu est identique dans les deux cas (emploi concerné, rémunération et date d’entrée en fonction), mais l’intention de l’employeur de s’engager. Il faudra donc s’interroger sur la volonté de ce dernier, pour établir une distinction entre offre et promesse : s’est-il contenté de faire une proposition qui peut être rétractée, auquel cas il s’agit d’une simple offre ? L’employeur s’est-il véritablement engagé, en accordant un droit d’option au bénéficiaire de la promesse, de sorte que le contrat est déjà formé et qu’il ne manque plus que le consentement de ce dernier ?
En pratique : la distinction risque de ne pas être évidente, et il est conseillé d’apporter le plus grand soin à la rédaction des documents contenant des propositions d’emploi, afin d’éviter toute ambiguïté. Quoi qu’il en soit, nous attendrons avec intérêt des décisions jurisprudentielles illustrant cette distinction.
Frédéric SATGE
Pour en savoir plus sur cette question : Mémento Social nos 33160 s.