Droit pénal spécial
Apologie du terrorisme sur internet : critères de rattachement au territoire de la République
En matière d’apologie publique d’actes de terrorisme, la diffusion par le réseau internet depuis un territoire étranger de propos accessibles depuis la France ne caractérise pas à elle seule un acte de publicité sur le territoire de la République rendant le juge français compétent pour connaître de ce délit, en l’absence de tout critère rattachant les propos incriminés audit territoire. En revanche, dès lors que les propos poursuivis ont été diffusés en langue française, certains accompagnés de photographies représentant la France, stigmatisée comme un pays de mécréance, opposé à l’organisation dite Etat Islamique, d’autres incitant les musulmans à se sentir étrangers sur « toutes les terres qui refusent d’appliquer et combattent les lois d’Allah », notamment la France, et ce, alors que le territoire de la République a été frappé et reste frappé par le terrorisme islamiste, le critère de rattachement au territoire français est établi. (Crim. 7-11-23, n° 22-87.230, F-B).
Justice
Chiffres-clé de la Justice 2023
es chiffres-clé de la Justice 2023 (pour 2022) viennent d’être publiés. Il en ressort qu’un peu plus de 520 000 condamnations ont été prononcées en 2022 (2 400 en matière criminelle, dont 163 prononcées par une juridiction pour mineurs), 508 106 en matière délictuelle (dont 30 475 prononcées par une juridiction pour mineurs) et 6 102 pour des contraventions de la 5e classe (196 prononcées par une juridiction pour mineurs). 85 311 personnes étaient prises en charge par un établissement pénitentiaire au 1er janvier 2023 dont 71 025 détenus, pour 59 640 places et 172 774 personnes étaient prises en charge par le milieu ouvert au 31 décembre 2022.
Peines et exécution des peines
Le plan « 15 000 nouvelles places de prison en 2027 » ne sera pas respecté
La promesse de campagne du candidat Emmanuel Macron, qui s’était engagé à la construction de 15 000 nouvelles places de détention et 20 nouveaux centres éducatifs fermés en 2027 ne sera pas tenue. Les conclusions du rapport d’information déposé au Sénat fin octobre sont très fermes : « l’échéance de 2027 devrait être largement dépassée et le coût total de ces deux plans supérieur d’au moins 20 % aux prévisions initiales. Au total, seulement 2 771 places nettes et trois centres éducatifs fermés ont été livrés au 1er juillet 2023, tandis que les coûts prévisionnels des opérations du plan 15 000 sont passés de 4,3 à 5,55 milliards d’euros et que ceux des CEF ont été multipliés par trois » (15 000 places de détention supplémentaires et 20 nouveaux centres éducatifs fermés en 2027 : mission impossible ?, Rapport d’information n° 37 (2023-2024), déposé le 18-10-23).
Peine illégale et autorité de la chose jugée
La peine de trois mois d’emprisonnement dont deux mois assortis du sursis probatoire est illégale, l’article 132-19 du code pénal prohibant les peines d’une durée inférieure ou égale à un mois d’emprisonnement ferme. Cependant, lorsque la décision qui a prononcé cette peine acquiert autorité de la chose jugée, elle ne peut être remise en cause. Ainsi, la révocation des sursis précédents et la possibilité de l’aménagement de la peine, même illégale, doivent donc être examinées. (Crim. 8-11-23, n° 23-81.039, F-B).
Procédure pénale
Amende forfaitaire délictuelle : nouveau décret sur le paiement immédiat
Il est désormais possible de payer le montant minoré de l’amende forfaitaire délictuelle immédiatement entre les mains de l’agent verbalisateur. L’article D. 45-5-1 précise les mentions que devra comporter l’avis d’infraction. (Décr. n° 2023-1026 du 6-11-23 portant application de l’article 495-18 du code de procédure pénale relatif au paiement immédiat du montant de l’amende forfaitaire délictuelle)
Enquête préliminaire : nullité des actes diligentés par les OPJ
Ne peut être requise la nullité d’un acte d’enquête préliminaire uniquement destiné à permettre de déterminer l’opportunité d’ouvrir une enquête et d’orienter les investigations, ce dernier ne pouvant servir de preuve et donc porter atteinte aux droits de la défense. De plus les officiers de police judiciaire ne peuvent ordonner une expertise à titre interprétatif et non technique pour procéder aux réquisitions lors de l’exécution d’une commission rogatoire et ceci, même lorsque les officiers auditionnent les personnes spécialisées sous la qualité de témoin. (Crim. 7-11-23, n° 22-86.509, F-B)
Instruction préparatoire : la conservation des échantillons de substances stupéfiantes saisies est conforme à la Constitution
Le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à la Constitution de la règle prévue à l’article 706-30-1 du code de procédure pénale selon laquelle le juge d’instruction doit conserver un échantillon des substances stupéfiantes saisies afin de permettre une expertise. Il déclare cet article conforme puisque malgré le cantonnement de cette règle à l’instruction et non à l’enquête de police, les droits de la défense et à un procès équitable ne sont pas méconnus dans la mesure où l’intéressé a la possibilité de contester les éléments de preuve durant la procédure de jugement. Le principe d’égalité devant la justice n’est pas méconnu non plus puisque des distinctions légales sont effectuées selon la procédure d’instruction ou d’enquête selon la gravité des faits, mais les garanties restent les mêmes. (Cons. const. 10-11-23, n° 2023-1067 QPC)
Preuve : vidéo surveillance et recevabilité de la preuve
La preuve qui consiste pour les enquêteurs à demander la mise à disposition d’enregistrements de vidéosurveillances au bailleur social d’un immeuble est considérée comme recevable par la chambre criminelle. Elle considère que cette demande ne s’apparente pas au procédé de captation d’images de l’article 706-96 du code de procédure pénale car le système de vidéosurveillance n’a pas été mis en place par les enquêteurs mais préexistait à leur demande. De plus, la Cour relève que cette technique de preuve était proportionnée à l’infraction concernée à savoir un trafic de stupéfiant à grande ampleur. (Crim. 8-11-23, n° 23-81.636, F-B).
Sécurité intérieure
Le Conseil d’État annule la dissolution des Soulèvements de la Terre
Le 9 novembre 2023, le Conseil d’État s’est prononcé sur les conditions de la dissolution prononcée par le Gouvernement de quatre associations. Ces conditions regroupent le fait de légitimer publiquement des agissements particulièrement graves, de ne pas modérer sur les réseaux sociaux les incitations à commettre des actes de violence ou encore de provoquer à la discrimination, à la haine ou à la violence envers certaines personnes en raison de leur origine ou de leur identité. Le Conseil a ainsi considéré que la dissolution des associations Groupe Antifasciste Lyon et Environs, Alvarium et Coordination contre le racisme et l’islamophobie étaient justifiée selon les conditions énumérées, mais qu’en revanche, la dissolution du collectif des Soulèvements de la Terre n’était pas proportionnée puisqu’il s’agissait de provocation à la violence contre des biens. (CE 9-11-23, n° 476384, A)
Pour aller plus loin : voir la revue AJ pénal