DROIT PENAL SPECIAL
Contestation de crimes contre l’humanité : appréciation des éléments extrinsèques.
Il appartient aux juges du fond, saisis de l'infraction de contestation de l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité, prévue à l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, d'apprécier le sens et la portée des propos litigieux, au besoin, au vu des éléments extrinsèques à ceux-ci invoqués par les parties. Encourt dès lors la cassation, l'arrêt qui, pour relaxer le prévenu de ce chef et débouter les parties civiles de leurs demandes, énonce notamment que les propos poursuivis faisaient référence à une opinion défendue par celui-ci, tant dans un livre qu'à l'occasion d'émissions télévisées antérieurs, selon laquelle, si la déportation a moins touché les juifs de nationalité française que les juifs étrangers résidant en France, c'était le fait d'une action de Philippe Pétain en leur faveur et en déduit que ces propos n'ont, en conséquence, pas pour objet de contester ou minorer, fût-ce de façon marginale, le nombre des victimes de la déportation ou la politique d'extermination dans les camps de concentration. En effet, faute d'avoir procédé à l'analyse exhaustive des propos poursuivis, dont il résultait que le prévenu avait repris à son compte les propos qui venaient de lui être prêtés selon lesquels Philippe Pétain avait « sauvé les juifs français », les juges ne pouvaient retenir, au terme de leur examen des éléments extrinsèques invoqués en défense, sans mieux s'en expliquer, que cette affirmation devait être comprise comme se référant à des propos plus mesurés que le prévenu aurait exprimés antérieurement (Crim. 5-9-2023, n°22-83.959 B).
Diffamation : appréciation de la bonne foi.
Pour apprécier si l'excuse de bonne foi peut être retenue au bénéfice du prévenu poursuivi du chef de diffamation publique, il appartient aux juges, en premier lieu, d'énoncer précisément les faits et circonstances leur permettant de juger, en application de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, si les propos litigieux s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et s'ils reposent sur une base factuelle suffisante, notions qui recouvrent celles de but légitime d'information et d'enquête sérieuse, puis, en deuxième lieu, lorsque ces deux conditions sont réunies, si l'auteur des propos a conservé prudence et mesure dans l'expression et était dénué d'animosité personnelle, ces deux derniers critères devant être alors appréciés moins strictement (Crim. 5-9-2023, n°22-84.763 B).
Diffamation : sort des actions devant la chambre de l’instruction.
La chambre de l'instruction n'a pas compétence pour connaître des actions publique et civile relatives aux propos prétendus diffamatoires contenus dans le mémoire d'une partie produit devant elle. En revanche, en application de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 cette juridiction a compétence pour réserver de telles actions (Crim. 23-8-2023, n°23-83.480 B).
Droit pénal du travail : la sous-traitance fictive exclut la sous-traitance irrégulière.
L'infraction prévue à l'article L. 8271-1-1 du code du travail de recours à la sous-traitance, par un entrepreneur, sans faire accepter le sous-traitant et agréer ses conditions de paiement par le maître de l'ouvrage, en violation des dispositions du premier alinéa de l'article 3 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, ne peut être caractérisée en présence d'une situation de sous-traitance fictive. Encourt la cassation l'arrêt qui déclare les prévenus coupables de ce délit, tout en retenant leur culpabilité des chefs de travail dissimulé, prêt illicite de main-d'oeuvre et marchandage, après avoir relevé que les personnes contrôlées en situation de travail étaient en réalité toutes employées par la société prévenue (Crim. 5-9-2023, n°22-84.400 B).
Logement : de nouveaux comportements incriminés par la loi anti-squat.
La loi anti-squat a pour objectif de mieux protéger les propriétaires. Le squat du domicile d’autrui est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende (contre 1 an et 15000 euros auparavant) (C. pén., art. 226-4). Le nouveau délit d’introduction frauduleuse dans un local à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende (C. pén., art. 315-1). Le maintien sans droit ni titre dans un local à usage d'habitation en violation d'une décision de justice définitive et exécutoire ayant donné lieu à un commandement régulier de quitter les lieux depuis plus de deux mois est puni de 7 500 euros d'amende (C. pén., art. 315-2). En outre, la propagande ou la publicité, quel qu'en soit le mode, incitant ou facilitant le squat sont punies de 3 750 euros d'amende (C. pén., art. 226-4-2-1) (L. n° 2023-668 du 27-7-2023, JO 28-7).
Prostitution : recevabilité des requêtes contestant la pénalisation des clients.
La Cour européenne des droits de l’homme a admis la recevabilité des requêtes de personnes, exerçant licitement la prostitution et se disant victimes de la pénalisation de l’achat d’actes prostitutionnels en ce qu’elle porterait atteinte à leur droit à la vie (art. 2), au respect de leur vie privée et familiale (art. 8) et heurterait le principe d’interdiction des traitements inhumains ou dégradants (art. 3) (CEDH 31-8-2023 MA et autres c/ France, décis. n° 63664/19).
Sport : deux nouvelles contraventions sont intégrées au code du sport.
Le fait de pénétrer, par force, dans une enceinte lors du déroulement ou de la retransmission en public d'une manifestation sportive est puni de l’amende prévue pour les contraventions de 5ème classe (C. sport, art. 332-21). Pénétrer ou se maintenir, sans motif légitime, sur l’aire de compétition d’une enceinte sportive pendant une épreuve, sa préparation, ou la remise en état du site à l’issue de l’épreuve est puni de la même amende (C. sport, art. R. 332-22) (Décr. n° 2023-750 du 9-8-2023, JO 11-8-2023).
Vente en ligne d’objets ayant appartenu au IIIe Reich : quelle qualification pénale ?
Le fait de fixer et de diffuser l'image, par quelque moyen de communication que ce soit, d'uniformes, insignes ou emblèmes rappelant ceux d'organisations ou de personnes responsables de crimes contre l'humanité, fût-ce en vue de leur commercialisation, ne caractérise pas la contravention prévue à l'article R. 645-1 du code pénal mais pourrait, dans certains cas, constituer l'infraction d'apologie de crimes contre l'humanité, prévue à l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 (Crim. 5-9-2023, n°22-85.540 B).
Vol : la désactivation d’une alarme par un salarié est constitutive d’une ruse.
L'utilisation par un salarié d'un code, qui ne lui a été remis qu'à des fins professionnelles, pour s'introduire dans les locaux où est commis le vol caractérise la circonstance aggravante de ruse, au sens de l'article 311-5, 3°, du code pénal (Crim. 5-9-2023, n°22-86.256 B).
PROCEDURE PENALE
Amende forfaitaire : ouverture à de nouvelles contraventions.
La procédure de l’amende forfaitaire est désormais possible pour les contraventions en matière de règles sanitaires d'hygiène et de salubrité des locaux d'habitation et assimilés et de dispositions particulières d'arrêtés ayant pour objet d'assurer la protection de la santé publique (Décr. n° 2023-695 du 29-7-2023, JO 30-7). La procédure de l’amende forfaitaire est également applicable à la contravention de la 5ème classe constituée par les violations des obligations légales de débroussaillement (C. forest., art. R. 163-3) (Décr. n° 2023-706 du 1-8-2023, JO 2-8).
Confiscation de biens immobiliers occupés : le délai de soumission du projet d’affectation sociale est allongé.
Le délai dans lequel le directeur général de l’AGRASC doit soumettre au conseil d’administration le projet d’affectation sociale est allongé à 3 ans lorsque l’immeuble est occupé au moment de la réception de la décision de confiscation par l’Agence (Décr. n° 2023-814 du 22-8-2023, JO 24-8).
Contrôle des contenus en ligne : le Digital Services Act est (partiellement) entré en vigueur.
Le Digital Services Act (règlement sur les services numériques) est entré en vigueur le 25 août 2023 pour les très grands acteurs d’internet (moteurs de recherche et plateformes en ligne). Pour les autres, le texte sera applicable au 17 février 2024. Si les fournisseurs de services intermédiaires ne sont soumis à aucune obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent ou de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illégales, des injonctions pourront désormais leur être adressées (injonctions d’agir contre les contenus illicites ou de fournir des informations) par les autorités judiciaires ou administratives nationales compétentes avec pour objectif la lutte contre les contenus illicites et une transparence accrue (Règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19-10-2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE).
Cour de Justice de la République : du droit de se taire devant la commission d’instruction.
La notification faite à la personne mise en examen du droit de se taire lors de son interrogatoire de première comparution vaut pour l'ensemble de la procédure d'information conduite par la commission d'instruction jusqu'à sa clôture, de sorte que la commission d'instruction n'a pas l'obligation de renouveler cet avertissement à chaque comparution devant elle de la personne mise en examen, notamment à l'audience consacrée au règlement de la procédure (Cass., ass. plén., 28-7-2023, n°21-86.418 ).
Défense : nouvelle loi de programmation militaire 2024-2030.
Est notamment prévue la possibilité de neutraliser un drone en cas de menace imminente ou pour les besoins de l’ordre public, ainsi que la possibilité pour le procureur antiterroriste, pour les procédures d’enquêtes ou d’instruction ouvertes sur le fondement des crimes contre l’humanité et crimes de guerre, de communiquer aux services spécialisés de renseignement des éléments de la procédure (L. n° 2023-703 du 1-8-2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 offre aux services de l’Etat).
Détention provisoire : la prolongation doit être conciliée avec la liberté d’expression.
La prolongation de la détention provisoire d’une personne incarcérée pour apologie d’acte de terrorisme constitue une ingérence de l’État dans sa liberté d’expression. L’article 10, § 2, de la Convention EDH s’applique donc à cette situation (Crim. 26-07-2023, n°23-83.109, F-B). Si le mémoire de l’intéressé le demande, la chambre de l’instruction doit, avant de se prononcer sur la prolongation de sa détention provisoire, rechercher si elle ne constitue pas une atteinte disproportionnée à sa liberté d’expression. Elle ne peut se contenter de motiver sa décision au regard des seuls critères des articles 144 et 145-1 du code de procédure pénale.
Droit de visite en matière douanière : une circulaire précise le contenu des nouvelles dispositions.
La direction des affaires criminelles et des grâces présente dans une circulaire les nouveaux cadres d’exercice et les garanties particulières dans la mise en œuvre du droit de visite en matière douanière (C. douanes, art. 60 à 60-10). Par exemple, concernant le droit de visite pour la recherche de certaines infractions douanières après information préalable du procureur de la République (C. douanes, art. 60-3), la circulaire précise que cette obligation d’information implique nécessairement la transmission des informations relatives au lieu et à la date des opérations, à leur durée et aux infractions recherchées ainsi que le respect d’un délai de prévenance entre l’information du magistrat et le début des opérations. Les situations d’urgence dans lesquelles les parquets sont informés dans un délai très proche du début des opérations de visite doivent demeurer une exception. Concernant l’encadrement du droit de visite des personnes, ces opérations doivent se faire dans des conditions garantissant le respect de la dignité de la personne et sont pratiquées, sauf impossibilité, à l’abri du regard du public (Circ. du 26-7-2023, NOR : JUSD2321216C).
Enquête : précisions concernant les missions des assistants d’enquête et leur exercice.
Pris en application de l’article 21-3 du code de procédure pénale, ce décret autorise les assistants d'enquête à effectuer certains actes dans le cadre de procédures judiciaires, à la demande expresse et sous le contrôle des officiers de police judiciaire et lorsqu'ils sont compétents, des agents de police judiciaire, et à en dresser procès-verbal. Le décret précise également les modalités encadrant leur affectation, celles relatives à la prestation de serment préalable à l'exercice de leurs missions ainsi que celles relatives aux modalités de transcription d'enregistrements issus d'interception de correspondances émises par la voie de télécommunications et de données recueillies dans le cadre de la mise en œuvre de techniques spéciales d'enquête (Décret n°2023-747 du 9-8-2023 relatif aux assistants d’enquête).
Enquête : les vérifications sommaires ne nécessitent pas de réquisitions.
Les officiers de police judiciaire peuvent, avant toute ouverture d’une enquête de flagrance ou préliminaire, réaliser des vérifications sommaires (Crim. 5-9-2023, n°22-85.027 B). La prise de renseignements auprès d’agents de la direction des finances publiques ou la consultation du fichier des immatriculations ne présentent en effet pas de caractère coercitif et ne nécessitent pas de réquisitions.
Instruction : nécessité d’un intérêt pour obtenir l’annulation des actes.
Lorsque la chambre de l’instruction constate la nullité d’un acte de la procédure, doivent être annulés par voie de conséquence les actes qui ont pour support nécessaire l’acte vicié. Ne peuvent être annulés par voie de conséquence les actes et pièces de la procédure ultérieure qui se rapportent à une autre personne mise en examen dès lors que le demandeur n’allègue ni n’établit son intérêt à obtenir l’annulation des éléments en cause (Crim. 5-9-2023, n°22-87.240).
Mandat d’arrêt européen : précisions utiles quant au refus facultatif d’exécution et au principe de réciprocité d’incrimination.
Le refus facultatif d’exécution d’un mandat d’arrêt européen prévu dans le cas où l'intéressé n'a pas comparu en personne lors du procès à l'issue duquel la peine ou la mesure de sûreté a été prononcée (C. pr. pén., art. 695-22-1) n'est applicable qu'aux mandats d'arrêt européens délivrés pour l'exécution de condamnations. Il ne s’applique pas aux mandats délivrés pour l'exercice de poursuites pénales, même dans le cas où la décision de placement en détention provisoire a été ordonnée en l'absence de l'intéressé (Crim. 9-8-2023, n° 23-84.328 B).
Par ailleurs, si le requérant ne le demande pas, les juges ne sont pas tenus de rechercher d'office si les faits objets du mandat d'arrêt européen constituent une infraction au regard de la loi française (Crim. 23-8-2023, n°23-84.608 B).
Police judiciaire : création de l’office Mineurs.
Un office central de police judiciaire « mineurs », rattaché au ministère de l’Intérieur, a été créé (Décr. n° 2023-829 du 29-8-2023). Compétent en matière de lutte contre les infractions commises à l'encontre de mineurs (notamment les viols et les agressions sexuelles, toutes formes d'exploitation des mineurs, les homicides, et autres violences graves, les faits de harcèlement et de cyberharcèlement scolaires) il sera chargé des enquêtes concernant les infractions graves, complexes ou sensibles, ainsi que de la centralisation des informations et de la coordination des actions en la matière.
Police nationale : la réforme est entrée en vigueur.
La réforme – contestée – de l’organisation de la police nationale est entrée en vigueur le 1er juillet (Décr. n°2023-530 du 29-6-2023 relatif à l’organisation centrale de la police nationale et modifiant diverses dispositions relatives à la police nationale). La départementalisation de la police voulue par le ministre de l’Intérieur unifie donc le commandement des différents services de police sous l’autorité de directeurs départementaux de la police nationale (DDPN), qui ont pris leurs fonctions le 1er septembre.
Preuve électronique en matière pénale : un Règlement et une Directive !
Un règlement européen - entré en vigueur le 17 août 2023 et applicable à partir du 18 août 2026 - définit les règles selon lesquelles, dans le cadre de procédures pénales, une autorité d’un État membre (voire un suspect, une personne poursuivie ou son avocat) peut émettre une injonction européenne de production ou de conservation et, partant, ordonner à un fournisseur de services proposant des services dans l’Union et établi dans un autre État membre ou, s’il n’y est pas établi, représenté par un représentant légal dans un autre État membre, de produire ou de conserver des preuves électroniques, quelle que soit la localisation des données. Lesdites injonctions ne peuvent être émises que dans le cadre et aux fins de procédures pénales et aux fins de l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté d’au moins quatre mois prononcées, à l’issue de procédures pénales, par une décision qui n’a pas été rendue par défaut, dans les cas où la personne condamnée s’est soustraite à la justice. Elles peuvent également l’être dans le cadre de procédures relatives à une infraction pénale pour laquelle une personne morale pourrait être tenue responsable ou sanctionnée dans l’État d’émission. Une directive du même jour établit des règles relatives à la désignation d’établissements désignés et de représentants légaux de certains fournisseurs de services qui proposent des services dans l’Union pour la réception, le respect et l’exécution des décisions et des injonctions émises par les autorités compétentes des États membres aux fins de l’obtention de preuves dans le cadre de procédures pénales. Les États membres ont jusqu’au 18 février 2026 pour la transposer (Règlement (UE) 2023/1543 du Parlement européen et du Conseil du 12 juill. 2023 relatif aux injonctions européennes de production et aux injonctions européennes de conservation concernant les preuves électroniques dans le cadre des procédures pénales et aux fins de l’exécution de peines privatives de liberté prononcées à l’issue d’une procédure pénale ; Directive (UE) 2023/1544 du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2023 établissant des règles harmonisées concernant la désignation d’établissements désignés et de représentants légaux aux fins de l’obtention de preuves électroniques dans le cadre des procédures pénales).
Pour aller plus loin : voir la revue AJ pénal