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La TUP d’une société emporte le transfert d’un contrat qui a n’a pas été conclu intuitu personae

Le fait qu’un contrat de travaux exige l’agrément du client en cas d’exécution du contrat par un tiers ne suffit pas à en faire un contrat conclu en considération de la personne de la société prestataire et à l’exclure de la transmission universelle du patrimoine de cette dernière à son associé unique.

Cass. com. 18-12-2024 n° 23-14.170 F-D, Sté Le Nickel c/ Sté Wilan


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@Getty images

Une société, chargée d’effectuer des travaux sur plusieurs années, s’engage à ne transférer, céder ou sous-traiter à un tiers tout ou partie des prestations, ainsi que les droits et obligations y afférents, qu'avec l'accord préalable et écrit du client. Se plaignant que la société a entravé la circulation à l’entrée de son usine, le client résilie le contrat avant terme. Entretemps, la société prestataire a procédé à une transmission universelle de patrimoine (TUP) à son associé unique, une autre société, et c’est cette dernière qui conteste en justice la résiliation du contrat et réclame des dommages-intérêts. Le client soutient que cette action est irrecevable : la TUP entre les sociétés n’est pas établie et, le serait-elle, elle ne peut pas concerner un contrat conclu en considération de la société prestataire (contrat conclu intuitu personae), ce qui est le cas puisque le contrat prévoit un agrément en cas de changement d’exécutant.

La Cour de cassation rejette ces arguments et juge l’action recevable au regard des éléments suivants, retenus par les juges du fond :

- la preuve de la TUP se déduisait du procès-verbal des décisions de l’associé unique de la société prestataire faisant état de sa dissolution avec TUP au profit de cet associé - procès-verbal qui, enregistré, avait date certaine - ainsi que de la mention de ces opérations et de la radiation du RCS dans l’extrait Kbis de la société prestataire ;

- il ne résultait pas de la clause d’agrément figurant dans le contrat de travaux que celui-ci avait été conclu en considération de la personne de la société prestataire, entreprise de terrassement sans savoir-faire spécifique et dont le dirigeant se trouvait être le même que celui de son associé unique, de sorte que le contrat avait été transféré à ce dernier par l'effet de la TUP, rendant son action recevable.

A noter :

1° Sauf exceptions, lorsque les parts (ou actions) d’une société sont réunies entre les mains d’un associé unique et que celui-ci est une personne morale, cet associé peut décider de dissoudre la société, ce qui entraîne la transmission universelle du patrimoine social à l’associé unique (C. civ. art. 1844-5). Par exception à cette transmission, un contrat conclu en considération de la personne de la société prend fin au plus tard par l'effet de la dissolution de celle-ci (Cass. com. 7-6-2006 n° 05-11.384 FS-PBR :  RJDA 11/06 n° 1149), sauf accord des cocontractants pour que le contrat soit transmis (par exemple, Cass. com. 27-5-2021 n° 19-16.363 F-D : RJDA 12/21 n° 803). Un tel contrat ne peut pas non plus être transmis sans l’accord du cocontractant dans le cadre d'une TUP résultant d’une fusion, d'une scission ou d’un apport partiel d’actif soumis au régime des scissions (notamment Cass. com. 3-6-2008 nos 06-18.007 FS-PB et 06-13.761 FS-P :  RJDA 12/08 n° 1262 ; Cass. com. 24-11-2009 n° 08-16.428 F-D :  RJDA 4/10 n° 371).

Encore faut-il être en présence d’un contrat conclu intuitu personae, c'est-à-dire fondé sur la personnalité du cocontractant qui doit exécuter la prestation convenue. Ce caractère peut résulter de la loi (Cass. 3e civ. 23-4-1976 n° 75-10.009 : Bull. civ. III n° 167), de la nature du contrat (Cass. com. 24-11-2009 précité) ou encore de la volonté des parties (Cass. com. 13-2-2005 n° 03-16.878 F-PB : RJDA 4/06 n° 413). Dans l’affaire commentée, la cour d’appel avait procédé à une appréciation concrète, estimant que le contrat ne revêtait ce caractère ni par nature ni par la volonté des parties, refusant de s’arrêter à l’existence de la clause d’agrément. Toutefois, en présence un contrat de « sous-concession » précisant qu’il était « conclu intuitu personae » et que les droits du concédant n’étaient ni cessibles ni transférables sans l’accord du concessionnaire, il a été jugé qu’à défaut d’un tel accord ces clauses faisaient obstacle au transfert du contrat à la société qui avait absorbé le concédant (Cass. com. 13-12-2005 précité).

2° Au cas présent, la Haute Juridiction confirme en outre la condamnation du client à verser des dommages-intérêts à la société bénéficiaire de la TUP, pour résiliation fautive du contrat : si le dirigeant de cette société avait participé à un blocage de l’usine du client, ce qui traduisait un manquement à son devoir de loyauté envers son cocontractant, ce dernier ne lui avait notifié la rupture unilatérale du contrat que trois mois plus tard, cette passivité contredisant l'idée que le comportement du dirigeant aurait été d'une gravité telle que la poursuite de la relation contractuelle était impossible. 

Conclu en 2014, le contrat ne relevait pas des dispositions issues de la réforme du droit des contrats de 2016 (qui organisent désormais une résiliation unilatérale sur notification du créancier ; C. civ. art. 1226). Il est fait ici application de la jurisprudence antérieure admettant que la gravité du comportement d'une partie à un contrat à durée déterminée ou indéterminée justifie que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls (notamment, Cass. 1e civ. 28-10-2003 n° 01-03.662 F-P : RJDA 6/04 n° 666), peu important les modalités formelles de résiliation contractuelle (Cass. com. 1-10-2013 n° 12-20.830 F-D : RJDA 2/14 n° 83). Les juges doivent rechercher si le comportement reproché revêt une gravité suffisante pour justifier la rupture (Cass. 1e civ. 28-10-2003 précité). La faute grave rend impossible le maintien du contrat et ne peut dès lors être retenue que si la résiliation a été prononcée à effet immédiat (Cass. 1e civ. 14-11-2018 n° 17-23.135 FS-PB : RJDA 3/19 n° 163, pour un contrat conclu par un professionnel de santé et un établissement de santé ; dans le même sens, Cass. com. 4-12-2024 n° 23-16.962 F-D : BRDA 2/25 inf. 7, pour un contrat d'agence commerciale).

Documents et liens associés : 

Cass. com. 18-12-2024 n° 23-14.170 F-D

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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