L’avenir du football français est-il compromis par une poignée de supporters incontrôlables ? La Ligue 1 fait actuellement plus parler d’elle pour les actes de violence commis dans ses tribunes, que pour les prouesses de ses joueurs sur le terrain. La vente de ses droits de diffusion à l’international semble de plus en plus compromise. Il y a mieux, en effet, comme arguments de vente que des agressions de joueurs, des envahissements de terrains ou des heurts entre supporters, le tout en direct devant des caméras de télévision. Et retransmis en boucle sur les réseaux sociaux.
Comment a-t-on pu croire un seul instant que rendre les clubs seuls responsables du comportement des supporters au sein des stades pouvait être une solution ? S’est-on, par ailleurs, demandé si l’arsenal juridique encadrant les supporters était suffisant ?
Pour comprendre notre incapacité à contrôler la situation, il suffit de considérer la chaîne des responsabilités dans ce domaine, pourtant sensible. Pour faire simple, le Ministère des sports a délégué à la Fédération Française de Football (FFF) la responsabilité d’organiser la pratique du football sur notre territoire. La FFF a, à son tour, délégué la responsabilité de l’organisation du football professionnel à la Ligue de Football Professionnel (LFP), dont les membres, c’est-à-dire les clubs, sont tenus pour seuls responsables des matches qu’ils accueillent.
Un fumigène est tiré d’une tribune ? Le club est responsable. Une banderole insultante est déployée ? Le club est responsable. Une insulte raciste est proférée ? Le club est responsable. Une bouteille d’eau est jetée sur un joueur ? Le club est responsable. La responsabilité́ civile, pénale et disciplinaire du club et de ses dirigeants est irrémédiablement engagée, même si ces derniers ne sont pas les auteurs directs des actes concernés.
Or, contrairement à une idée reçue, ces événements ne peuvent pas être canalisés par une meilleure fouille des spectateurs à l’entrée des stades. Pour mémoire, on comptait 57 000 personnes au sein du Groupama Stadium pour le match Lyon-Marseille du 21 novembre dernier lors duquel Dimitri Payet a été blessé par un jet de bouteille d’eau. Une meilleure formation des stadiers – dont le rôle est d’assurer la sécurité dans les stades – permettrait peut-être de mieux contenir les supporters lors des envahissements de terrain. Mais le souci n’est pas là.
Car au final, comment empêcher un supporter de rentrer au stade avec une bouteille d’eau, pour au final la transformer en projectile ? Comment demander à Jean-Michel Aulas, le Président de l’Olympique Lyonnais et aux présidents des autres clubs, d’empêcher des injures d’être proférées par leurs supporters ? Le racisme ou l’homophobie d’un supporter ne se détecte pas par les stadiers par palpations à l’entrée dans un stade. Les clubs déploient des moyens considérables pour assurer la sécurité dans leurs stades. Mais ces moyens n’empêcheront jamais un supporter venu en découdre de tenir des propos racistes ou homophobes, ni d’être violent.
Il est bon de rappeler qu’un stade n’est pas une zone de non-droit. Des insultes racistes ou homophobes proférées publiquement à l’extérieur du stade relèvent du droit pénal. Pourquoi échapperaient-elles au droit commun dans un stade ? Pourquoi sanctionner un club pour une infraction qu’il n’a pas commise, sans qu’aucun effort ne soit fait pour en rechercher l’auteur ?
Cela ne veut pas dire que les clubs sont exempts de reproches. Un ‘’supporter’’ qui agresse des joueurs, envahit un terrain, détruit des infrastructures, n’est pas un supporter. C’est un délinquant. Les clubs doivent donc le traiter comme tel et l’écarter de leur environnement. Un club a un rôle social à jouer au sein de sa communauté. Il est le vecteur de valeurs. Il doit donc avoir le courage de se désolidariser d’une partie de ses supporters et d’une partie de son public. Ce qui appartient vraiment à un club et à lui seul, c’est en réalité de fixer les limites de ses relations avec ses supporters.
Il conviendrait également d’inclure dans la « licence club », qui lui permet de s’engager dans une compétition, l’obligation d’installer suffisamment de caméras dans son stade, tournées non plus vers le terrain, pour filmer le match, mais vers les tribunes, pour filmer les supporters, afin de pouvoir identifier avec certitude les auteurs d’actes délictueux. L’assistance vidéo ne vaut pas que pour l’arbitrage.
Les clubs doivent, par ailleurs, demander systématiquement une réparation financière aux supporters pour les préjudices subis. Tout comme La LFP ou les diffuseurs qui retransmettent les compétitions sportives. On peut s’étonner que personne ne l’ait encore fait. L’arrêt d’un match a d’énormes conséquences financières sur les acteurs du football professionnel. Un ‘’supporter’’ sachant qu’il pourrait être amené à payer une fortune en dommages et intérêts à un club, à la LFP ou à Amazon, réfléchirait sans doute à deux fois avant de déraper. Aujourd’hui, si on parvient à l’identifier, il écopera au maximum d’une condamnation avec sursis et d’une interdiction de stade inférieure ou égale à cinq ans.
L’individu ayant jeté une bouteille d’eau pleine à la tête de Dimitri Payet n’a d’ailleurs été condamné qu’à 6 mois de prison avec sursis et à cinq ans d'interdiction de stade. Il devra, au total, verser un euro symbolique au joueur et à la LFP au titre des préjudices causés. Voilà qui risque peu d’être dissuasif !
Enfin, une autre mesure consisterait à renforcer les sanctions encourues par ces délinquants. Les interdictions de stade administratives, c’est-à-dire prononcées par les Préfets, pourraient être étendues à 10 ans et les interdictions judicaires étendues à 15 ans. Les vrais supporters, ceux qui aiment le football, le sport, la compétition et non la violence, le méritent. Peut-être pourraient-ils, d’ailleurs, se manifester pour le faire savoir ?
Thierry GRANTURCO est avocat aux Barreaux de Paris et de Bruxelles, spécialiste de droit du sport et des nouvelles technologies. Il est actif dans le milieu du football professionnel depuis 30 ans après avoir lui-même joué à haut niveau à l'Olympique Lyonnais (OL). Il préside également le fonds d’investissement Dodécagone actif dans différents secteurs d’activités, dont le sport.