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Une action en comblement de passif qui se révèle infondée n'est pas abusive

N'est pas abusive l'action d'un liquidateur en comblement de passif, jugée infondée, même si elle tend au paiement par le dirigeant d'une somme importante, correspondant à la totalité de l'insuffisance d'actif et non limitée aux conséquences des manquements imputés.

Cass. com. 14-9-2022 n° 21-15.381 F-D


Par Benjamin JORET
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©Gettyimages

Un liquidateur judiciaire agit en responsabilité pour insuffisance d’actif contre le dirigeant d’une société en liquidation judiciaire. Il demande la condamnation de celui-ci à payer la totalité de l’insuffisance d’actif (10 millions d’euros). Cette demande est rejetée et une cour d’appel condamne le liquidateur à payer des dommages et intérêts pour procédure abusive, en se fondant sur les motifs suivants :  

  • la demande n'était pas fondée ;

  • elle avait été formulée sans ménagement ni prudence, le liquidateur n'ayant pas pris la peine d'adapter le montant de sa demande aux conséquences des manquements qu'il reprochait au dirigeant ;

  • lorsque la demande porte sur une telle somme et est adressée à une personne physique, elle doit être envisagée avec une prudence particulière et s'appuyer sur des éléments de droit et de fait incontestables ou, à tout le moins, raisonnables.

La Cour de cassation censure cette décision. Dans le cadre d'une action en responsabilité pour insuffisance d'actif, le liquidateur doit en effet prouver une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif mais il n'a pas à établir dans quelle proportion ni à limiter le montant de sa demande ; l'exercice de l'action ne peut pas dégénérer en abus du seul fait que les demandes ne se révèlent pas fondées. 

A noter :

1° Le dirigeant d'une société en liquidation judiciaire peut être condamné à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif de cette société s'il a commis une ou plusieurs fautes de gestion y ayant contribué (C. com. art. L 651-2). Il s'agit d'une sanction facultative et les juges disposent d'une grande latitude pour la prononcer ou non, et pour en déterminer le montant.

Ils peuvent par exemple exonérer le dirigeant qui a commis une faute de gestion (Cass. com. 19-2-2002 n° 99-15.359 FS-P : RJDA 8-9/02 n° 919). Ils peuvent aussi le condamner à supporter la totalité de l'insuffisance d'actif même s'il a commis une seule faute de gestion (Cass. com. 10-1-2012 n° 10-28.067 F-D : RJDA 4/12 n° 427) ou si sa faute n'est que l'une des causes de l'insuffisance d'actif (Cass. com. 20-4-2017 n° 15-23.600 F-D : RJDA 8-9/17 n° 575), sans qu'il y ait lieu de déterminer la part de cette insuffisance imputable à sa faute (Cass. com. 20-9-2017 n° 16-13.566 F-D : RJDA 1/18 n° 52). Mais, en tout état de cause, le montant de la condamnation ne peut pas excéder celui de l'insuffisance d'actif (Cass. com. 17-6-2020 n° 18-23.088 F-D : RJDA 10/20 n° 518).

La grande latitude laissée au juge pour prononcer une condamnation en comblement de passif et en déterminer l'étendue implique que le liquidateur agissant sur ce fondement puisse réclamer le montant total de l'insuffisance d'actif, aussi important soit-il, même si ce montant n'est pas entièrement imputable à la faute du dirigeant. 

2° Commet par exemple une faute caractérisant un abus le liquidateur judiciaire : qui agit en comblement de passif contre le père du dirigeant de la société débitrice alors que l’insuffisance d’actif n’est pas établie et que le fils est responsable de la situation de la société (Cass. com. 26-2-2020 n° 18-22.745 F-D : RJDA 6/20 n° 322) ; qui reproche au dirigeant des fautes de gestion que ni l'administrateur judiciaire ni le précédent liquidateur n'ont relevées et qui ne répond pas à l'argumentation du dirigeant mais se contente de généralités à partir de la comparaison des résultats comptables des deux derniers exercices et d'un extrait du rapport de l'administrateur judiciaire n'imputant aucune faute au dirigeant (Cass. com. 14-1-2014 n° 12-29.760 F-D : RJDA 4/14 n° 367).

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© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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