L’engagement actif des actionnaires dans la vie des sociétés cotées est une condition de leur bon fonctionnement et d’une saine gouvernance. A cet égard, l’Autorité des marchés financiers (AMF) considère qu’il doit être encouragé. Cependant, les excès de certains actionnaires « activistes » observés récemment peuvent avoir des effets néfastes, tant pour la société, qui doit savoir y répondre (sur ce point, voir J.-E. Cros et M. Saunier, Anticiper « l’hyperactivisme » de l’actionnariat : BRDA 7/19 inf. 25), que pour le bon fonctionnement du marché : déficit de transparence sur les positions des actionnaires concernés, sur leurs intentions ou leurs conflits d’intérêts, déstabilisation des entreprises à des moments importants de la vie sociale, etc.
C’est pourquoi l’AMF propose, dans une communication consacrée au sujet, de mettre en œuvre plusieurs mesures destinées à fixer les limites de l'activisme actionnarial et à en maîtriser les excès.
Ces mesures, ponctuelles, dont nous présentons ci-après les principales, n’entraînent pas d’évolution majeure de la réglementation. En effet, l’AMF considère que le cadre juridique actuel est globalement suffisant pour lui permettre d’intervenir lorsqu’elle identifie des actions potentiellement déstabilisatrices pour le marché et les émetteurs.
Notamment, l’AMF n’est pas favorable à l’adoption d’une définition légale de l’activisme actionnarial, qui revêt les formes les plus diverses. Un actionnaire activiste utilise les moyens légaux mis à la disposition de tout actionnaire, de sorte qu’aucun critère incontestable ne paraît en mesure de distinguer un actionnaire « activiste » d’un actionnaire simplement « actif » : la remise en cause ou la contestation de la gouvernance, de la stratégie ou de la performance d’une société relève du droit de critique dont dispose tout actionnaire. La mise en place d’un régime juridique spécifique aux actionnaires activistes n’est donc pas souhaitable.
Déclaration de franchissement de seuils de participation
L’AMF souhaite améliorer l’information de la société sur la montée des investisseurs à son capital en abaissant le premier seuil légal de déclaration des prises de participation (5 % actuellement : C. com. art. L 233-7, I) : l’Autorité de marché est favorable à ce qu’un investisseur venant à détenir plus de 3 % du capital ou des droits de vote de la société soit tenu de le déclarer à la société (et au marché). Les contraintes inhérentes à un tel abaissement du seuil légal de déclaration pourraient être réduites si celui-ci ne s’appliquait pas à toutes les valeurs (en ne visant pas, par exemple, les valeurs inscrites sur un marché de croissance des PME).
L’AMF ajoute que, dans l’intérêt de la transparence et de la bonne information du marché, il apparaît opportun de prévoir, à tout le moins pour les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, que celles-ci rendent publiques sur leur site internet les déclarations de franchissement de seuils non pas légaux mais statutaires qui leur sont adressées.
Exposition des actionnaires à la dette de la société
Afin d’assurer une meilleure information du marché sur l’exposition économique des investisseurs au passif du bilan des sociétés cotées, l’AMF souhaite que la déclaration des positions courtes nettes prises sur les actions de la société (voir notre Mémento Cession de parts et actions n° 86255) soit complétée par une information sur les instruments de dette détenus concomitamment par l’investisseur, et plus particulièrement sur les obligations émises par la société et les CDS (« credit default swaps »).
Loyauté du dialogue actionnarial
Dans le but de promouvoir un dialogue ouvert et loyal entre les sociétés cotées et leurs actionnaires, l’AMF annonce qu’elle complétera son guide sur l’information permanente et la gestion de l’information privilégiée (Position-recommandation AMF 2016-08 du 26-10-2016 : BRDA 3/17 inf. 26) afin d’y ajouter des précisions sur le dialogue actionnarial, thème qu’elle a abondamment développé dans son dernier rapport sur la gouvernance des sociétés cotées (BRDA 1/20 inf. 25).
Elle complétera également sa doctrine afin de préciser que les émetteurs peuvent apporter toute information nécessaire au marché en réponse à des déclarations publiques les concernant, même pendant les périodes de silence (« quiet period » : pratique de marché consistant, pour une société cotée, à s’abstenir d’échanger avec les analystes et les investisseurs au cours des semaines qui précèdent l’annonce de ses résultats pour limiter le risque de divulguer une information privilégiée), sous réserve de respecter les règles relatives aux abus de marché.
Elle recommandera par ailleurs à tout actionnaire qui engage une campagne publique de communiquer sans délai à la société concernée par cette campagne les informations importantes qu’il adresserait aux autres actionnaires, ce qui permettra à la société de répondre aux déclarations publiques dont elle aura fait l’objet.
L’AMF propose aussi d’étendre aux actionnaires d’une société ayant déposé une OPA ou à ceux de la société visée par l’offre l’obligation faite aux « personnes concernées » par cette offre, à leurs dirigeants et à leurs conseils de « faire preuve d'une vigilance particulière dans leurs déclarations » (Règl. gén. AMF art. 231-36).
L’expérience montre en effet que les actionnaires, notamment activistes, peuvent jouer un rôle significatif sur le déroulement des offres publiques, de sorte qu’il paraît judicieux de soumettre leur communication, dans ce contexte précis, à une même obligation de vigilance que « les personnes concernées par l’offre ».
Renforcer les capacités de réaction de l’AMF
L’AMF estime nécessaire de compléter l’arsenal légal dont elle dispose par de nouveaux pouvoirs lui permettant d’apporter des réponses rapides et adaptées aux manquements commis par les actionnaires activistes :
- pouvoir d’assortir d’une astreinte les injonctions administratives prononcées par elle (C. mon. fin. art. L 621-14) ;
- pouvoir d’ordonner à tout investisseur, et non plus seulement à la société, de procéder à des publications rectificatives ou complémentaires en cas d’inexactitude ou d’omission dans ses déclarations publiques (C. mon. fin. art. L 621-18).
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Groupe de sociétés nos 6060, 6200 et 6660