Depuis le 1er décembre 2016, l’article L 1233-3 du Code du travail fixe des critères objectifs permettant de définir précisément les difficultés économiques de nature à justifier un licenciement économique.
Celles-ci doivent en effet être caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout élément de nature à justifier de ces difficultés.
A noter :
L’introduction dans le Code du travail de critères d’appréciation des difficultés économiques résulte de la loi Travail du 8 août 2016. Selon le législateur, elle a pour objectif de permettre aux entreprises confrontées à un contexte difficile d’être en capacité d’anticiper ou de sécuriser leur situation au regard d’un éventuel licenciement (Rapport AN n° 3675 relatif à la loi 2016-1088 du 8-8-2016).
S’agissant plus particulièrement de la baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires, le texte prévoit expressément qu’elle doit être constatée sur une certaine durée, qui varie selon les effectifs de l’entreprise, en comparaison avec la même période de l’année précédente.
Ainsi, par exemple, pour une entreprise qui emploie, comme en l’espèce, au moins 300 salariés, la baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, par rapport à la même période de l’année précédente, doit affecter au minimum 4 trimestres consécutifs. Mais comment apprécier cette durée ? Faut-il prendre en compte les 4 derniers trimestres précédant la rupture du contrat de travail ou se rapporter au dernier exercice clos ? C’est à cette question que répond pour la première fois la Cour de cassation dans un arrêt du 1er juin 2022 destiné à être publié au bulletin de ses chambres civiles.
Une procédure de licenciements collectifs pour motif économique engagée au 2e trimestre 2017
En l’espèce, une entreprise engage une procédure de licenciements collectifs pour motif économique au deuxième trimestre de l’année 2017 en invoquant des difficultés économiques. Dans ce cadre, elle propose à une salariée dont elle envisage le licenciement le contrat de sécurisation professionnelle (CSP).
Après l’adhésion de l’intéressée au dispositif, l’entreprise lui notifie par lettre du 5 juillet 2017 le motif économique de la rupture de son contrat de travail, qui interviendra le 14 juillet 2017. Contestant le bien-fondé de cette rupture, la salariée saisit la juridiction prud’homale.
Une baisse du CA sur 2016 pendant 4 trimestres consécutifs
Suffisante pour la cour d’appel…
En défense, l’entreprise se fonde sur le critère de la baisse significative de son chiffre d’affaires pour caractériser les difficultés économiques.
Compte tenu de son effectif d’au moins 300 salariés, elle devait démontrer une baisse significative de son chiffre d’affaires pendant 4 trimestres consécutifs.
A noter :
En application de l’article L 1233-3 du Code du travail, la baisse significative du chiffre d’affaires est en effet constituée si sa durée, en comparaison avec la même période de l’année précédente, est au moins égale à un trimestre pour une entreprise de moins de 11 salariés ; 2 trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins 11 salariés et de moins de 50 salariés ; 3 trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins 50 salariés et de moins de 300 salariés ; 4 trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins 300 salariés.
À cette fin, l’entreprise produit des données comptables attestant d’une baisse de son chiffre d’affaires de 22 835 millions d’euros pendant 4 trimestres consécutifs sur l’année 2016 par rapport à l’année 2015, en raison notamment de l’arrêt de la commercialisation d’une marque de vêtements lié à la perte de sa licence d’exploitation.
La salariée estime pour sa part que les données économiques présentées par l’entreprise sont incomplètes car elles ne tiennent pas compte de l’augmentation de chiffre d’affaires enregistrée par l’entreprise entre 2016 et 2017. Pour la requérante, cette donnée est essentielle : elle démontre que, à la date de la rupture de son contrat de travail, intervenue en juillet 2017, la durée de la baisse de chiffre d’affaires invoquée par l’entreprise n’égalait pas les 4 trimestres consécutifs exigés par l’article L 1233-3 du Code du travail.
Mais, pour la cour d’appel, il ne s’agissait que d’une modeste augmentation de 0,50 % du chiffre d’affaires du premier trimestre 2017 par rapport à celui de 2016 qui n’était pas suffisante pour signifier une amélioration tangible des indicateurs. Relevant que l’entreprise justifiait du recul de 4 trimestres consécutifs de son chiffre d’affaires sur l’année 2016 par rapport à l’année 2015, elle juge les difficultés économiques avérées.
… mais pas pour la Cour de cassation
À tort pour la chambre sociale de la Cour de cassation, qui rappelle que le juge doit se placer à la date du licenciement pour apprécier le motif de celui-ci (jurisprudence constante, notamment : Cass. soc. 26-2-1992 n° 90-41.247 P ; Cass. soc. 11-5-1999 n° 97-40.912 D).
La Haute Juridiction déduit de cette jurisprudence, qui ne semble pas avoir été remise en cause par le législateur de 2016, que la durée d’une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires, telle que définie par l’article L 1233-3 du Code du travail, doit s’apprécier en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d’affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l’année précédente à la même période.
Constatant que la cour d’appel avait opté pour une autre base de comparaison, elle casse l’arrêt et renvoie l’affaire devant une autre cour d’appel.
A notre avis :
En l’espèce, la notification de la rupture du contrat de travail étant intervenue en juillet 2017, la période de 4 trimestres consécutifs qu’il convenait de prendre en compte aurait donc débuté, selon nous, et même si la position de la Cour de cassation n’est pas d’une parfaite limpidité sur ce point, en juillet 2016 et aurait dû être comparée avec les données comptables des 12 mois antérieurs. Autrement dit, il aurait fallu comparer le niveau du chiffre d’affaires enregistré sur la période de juillet 2016 à juin 2017 avec celui enregistré sur la période de juillet 2015 à juin 2016.
Or, à cet égard, la cour d’appel avait comparé les chiffres d’affaires des exercices 2015 et 2016 pour en déduire l’existence d’une diminution du chiffre d’affaires entre les deux exercices, sans vérifier l’évolution de cet indicateur sur toute la période de 4 trimestres précédant la rupture du contrat de travail par rapport à la même période l’année précédente.
En pratique, le placement du curseur à la date de la notification de la rupture des contrats de travail implique, à notre sens, d’effectuer deux fois l’exercice de comparaison : une première fois avant l’engagement de la procédure de licenciement afin de déterminer si l’entreprise se trouve dans une situation de difficultés économiques de nature à justifier un ou plusieurs licenciements ; et une seconde fois dans les jours précédant la notification éventuelle de la rupture des contrats de travail car, compte tenu du durée d’accomplissement de la procédure de licenciements collectifs pour motif économique qui peut s’étendre sur plusieurs mois, la situation peut s’être améliorée entre-temps ; si tel est le cas, l’entreprise devra renoncer aux licenciements économiques envisagés car elle ne pourra plus les motiver par des difficultés économiques. En tout état de cause, une clarification tant du texte légal que de la position de la Cour de cassation serait hautement souhaitable pour sécuriser la situation des employeurs engageant des procédures de licenciements économiques.
Documents et liens associés
Cass. soc. 1-6-2022 n° 20-19.957 FS-B, Sté Children Worldwide Fashion c/ D.