1. Une association, lorsqu’elle remplit les critères de non-lucrativité posés par l’administration fiscale et la jurisprudence, peut échapper aux impôts commerciaux (impôt sur les sociétés, TVA et contribution économique territoriale). Si l’idée communément répandue de lucrativité se rattache plutôt à l’activité exercée par l’association, le premier critère à respecter tient au caractère désintéressé de sa gestion. Le Conseil d’Etat a ici l’occasion de rappeler que ce dernier peut être « pollué » par une trop grande communauté d’intérêts avec une société commerciale (CE 7-12-2016 n° 389299 : RJF 3/17 n° 218).
Les faits à l'origine du litige
2. L'Association des utilisateurs et des distributeurs de l'agrochimie européenne (Audace), ayant pour objet la défense des intérêts personnels et collectifs de ses membres constitués d'utilisateurs, de producteurs et de distributeurs de produits phytosanitaires, ainsi que leur information et documentation, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale a estimé qu'elle était redevable des impôts commerciaux et l'a, en conséquence, assujettie à l'impôt sur les sociétés et à la TVA.
Contestant l'appréciation portée par le service sur le caractère lucratif de son activité, l'association a porté le litige devant le tribunal administratif d'Orléans, qui a rejeté sa demande, puis devant la cour administrative d'appel de Nantes, qui a confirmé l'inclusion de l'association dans le champ d'application des impôts commerciaux. La cour a en effet estimé que sa gestion ne pouvait être regardée comme désintéressée, dès lors qu'une communauté d'intérêts et d'activités de prestation de services de conseil et d'assistance étroite existait entre son président et la société commerciale que ce dernier dirigeait.
3. La décision rendue par le Conseil d'Etat sur le pourvoi en cassation formé par l'association contre cet arrêt rappelle que le critère de la gestion intéressée, s'il est moins souvent rencontré en jurisprudence, est bien vivace et qu'il peut, dans certaines conditions particulières, être regardé comme rempli du fait de liens étroits entre une association et une société commerciale.
Les critères de lucrativité d'une association ne se réduisent pas au caractère concurrentiel de son activité
4. La décision de section « Association Jeune France » du 1er octobre 1999 (n° 170289 : RJF 11/99 n° 1338) est restée célèbre pour sa transposition, dans la définition jurisprudentielle du caractère (non) lucratif de l'activité d'une association appliquée par le Conseil d'Etat, de la règle dite des « 4 P » : produit, public, prix, publicité.
Ainsi, l'on retient souvent de cette décision qu'une association ne peut être regardée comme non lucrative lorsque les services qu'elle rend sont offerts en concurrence dans la même zone géographique d'attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique, à moins que les conditions d'exercice de son activité diffèrent de celles des entreprises commerciales, soit qu'elle réponde à des besoins insuffisamment satisfaits par le marché, soit qu'elle s'adresse à un public qui ne peut normalement accéder aux services offerts par les entreprises commerciales, eu égard notamment à ses tarifs, sous réserve de ne pas recourir à des méthodes commerciales excédant les besoins de l'information du public sur les services qu'elle offre.
5. La démonstration de la lucrativité d'une association ne se réduit toutefois pas à l'analyse raffinée de l'existence d'une concurrence avec des entreprises commerciales à laquelle invite ainsi la décision du 1er octobre 1999.
En effet, le premier critère mentionné par la jurisprudence « Association Jeune France », qui est aussi le plus ancien et le plus naturel, tient aux conditions de la gestion d'une association : la non-lucrativité d'une telle entité est d'abord subordonnée au caractère désintéressé de sa gestion, le non-respect de ce critère emportant automatiquement assujettissement aux impôts commerciaux sans aucune possibilité d'échappatoire.
La gestion intéressée : un critère souvent simple à appréhender…
6. Ce critère est, en règle générale, aisé à comprendre et à manier, loin des subtilités du test concurrentiel. Il renvoie à la définition littérale du terme lucratif : « Qui procure un bien, des profits (pécuniaires ou matériels), des bénéfices ; qui procure des avantages financiers. »
Résumé en termes simples, pour que sa gestion puisse être regardée comme désintéressée, un organisme ne doit tendre ni en droit ni en fait à la réalisation et la distribution de profits, que ce soit directement ou indirectement.
Aussi, une association qui consent des avantages, directs ou indirects, à ses dirigeants doit être regardée comme ayant une gestion intéressée. Tel est par exemple le cas d'une association versant des loyers à une société dont son dirigeant est également le président ou l'associé, dans le cadre d'un bail conclu à des conditions avantageuses pour cette société (CE 17-10-1979 n° 1490 : RJF 12/79 n° 699). En effet, dans une telle hypothèse, les loyers élevés versés par l'association venant accroître les bénéfices de la société dont celui-ci est dirigeant ou associé, le responsable de l'association en retire indirectement un profit.
… mais pouvant aussi recouvrir des hypothèses plus complexes de communauté d'intérêts avec une ou des sociétés commerciales
7. Il existe toutefois des configurations dans lesquelles l'appréciation du caractère intéressé de la gestion d'une association, par la réalisation et la distribution indirecte de profits, se révèle plus délicate.
Deux cas différents de lucrativité par « contamination » se rencontrent dans la jurisprudence du Conseil d'Etat.
8. La première hypothèse, qui tient aux conditions mêmes de la gestion de l'association, est celle dans laquelle des liens privilégiés avec une société exploitée par son dirigeant la conduisent à procurer des avantages indirects à celui-ci et créent une communauté d'intérêts avec cette société commerciale, pouvant même dans certaines hypothèses extrêmes aller jusqu'à une confusion quasi totale des activités, des locaux et des recettes.
Assez rare, cette configuration était, avant la décision du 7 décembre 2016 ici commentée, représentée principalement par deux occurrences en jurisprudence.
Dans l'une, était en cause une association qui avait pour objet l'organisation de réunions entre ses adhérents et les clients d'une agence matrimoniale homonyme, exploitée à titre individuel par sa dirigeante, dont elle partageait la même direction de fait et le même siège, et avec laquelle il existait, sur le plan comptable, des confusions, notamment pour la prise en charge de certaines dépenses et des campagnes publicitaires. Eu égard à ces éléments, le Conseil d'Etat avait regardé l'association comme s'étant livrée à une exploitation à caractère lucratif (CE 20-7-1988 n° 54160 et 70401 : RJF 10/88 n° 1073).
Dans l'autre, une association entretenait des liens diversifiés, privilégiés et structurels avec une société animée par son principal responsable, se traduisant par le fait que l'association lui confiait la publication de son bulletin d'informations, faisait la promotion d'ouvrages dont le prix était directement versé à cette société, et surtout recourait, de façon exclusive, à cette société par voie de sous-traitance pour l'étude de dossiers qui lui étaient confiés et lui versait à ce titre des honoraires. Il a été jugé que la gestion de cette association ne pouvait être regardée comme désintéressée compte tenu des avantages indirects ainsi procurés à son dirigeant, qui entretenait une étroite communauté d'intérêts avec cette société commerciale (CE sect. 6-3-1992 n° 100445 : RJF 4/92 n° 540).
9. La seconde hypothèse de lucrativité par contamination, très différente dans son esprit, tient à l'objet même de l'association et au contenu de son activité déployée au profit de l'exploitation commerciale de ses membres. L'association agissant au bénéfice d'un groupe de personnes, qui sont ses adhérents, il ne s'agit pas, comme dans les cas précédents, de relations privilégiées avec une unique société avec laquelle une communauté d'intérêts se crée au profit d'un dirigeant commun. Mais compte tenu de l'objectif et du contenu de son action, son activité doit être regardée comme participant de l'exploitation commerciale de ses membres. Cette approche de la notion de gestion intéressée trouve diverses illustrations en jurisprudence, par exemple dans le cas d'une association interentreprises de médecine du travail (CE 6-11-1995 n° 147388 : RJF 1/96 n° 23) ou encore d'une association engageant des actions constitutives d'une forme de publicité collective d'un secteur prolongeant l'activité économique de ses adhérents par l'animation permanente et l'organisation de salons (CE 4-12-1989 n° 91241 : RJF 2/90 n° 119).
L'application de ces principes à l'espèce conduisait à valider l'appréciation portée par les juges du fond
10. En l'espèce, la cour administrative d'appel avait relevé que l'action de l'association, qui conseillait des particuliers ou entrepreneurs individuels dans des litiges avec les administrations et dans des procédures devant les tribunaux, constituait le prolongement de celle de la société, dont le gérant était également le président, et qui exerçait, outre une activité principale de commercialisation des produits phytopharmaceutiques, une activité de prestations d'assistance et de conseil juridique et administratif. La cour avait également relevé qu'une partie des recettes correspondant aux prestations de conseil fournies par l'association, qui étaient facturées en plus des cotisations de ses membres, était encaissée par la société, laquelle émettait les factures correspondantes, que cette société prenait en charge le salaire d'une secrétaire qui consacrait la quasi-totalité de son temps de travail à l'association, et qu'un nombre important de clients de la société étaient également membres de l'association. La cour avait estimé que, compte tenu des divers éléments ressortant de l'instruction, l'association permettait, par son action, à la société en cause de développer sa propre clientèle.
11. Le Conseil d'Etat a jugé que la cour a ainsi caractérisé l'existence d'une communauté d'intérêts et d'activités entre le président, certes bénévole, de l'association et la société commerciale qu'il dirige, ce dont il résultait que son président disposait d'un intérêt indirect dans les résultats de l'exploitation de l'association. La gestion de l'association ne pouvait, dans ces conditions, être regardée comme désintéressée, ce qui emportait par suite la reconnaissance de la lucrativité de son activité et son assujettissement aux impôts commerciaux.
L'application de ce critère ne saurait toutefois faire basculer dans la lucrativité toute association liée à une société
12. Tel qu'interprété et appliqué par la jurisprudence, le critère de la gestion intéressée par étroite communauté d'intérêts avec une société commerciale ne présente pas le risque de faire basculer dans le champ des impôts commerciaux toutes les associations entretenant, eu égard par exemple aux conditions de leur création ou de leur financement, des liens privilégiés avec une telle société.
En effet, la gestion intéressée par communauté d'intérêts entre une association et une société commerciale suppose un double constat, au-delà du caractère privilégié des liens entretenus : l'existence de dirigeants communs et le fait que l'activité de l'association favorise celle de la société. Ce n'est qu'à ces conditions que la gestion de l'association peut être regardée comme intéressée, en ce qu'elle aboutit à l'octroi d'avantages indirects à ses dirigeants, qui tirent ainsi profit de son activité.
13. Il ne saurait donc être question de fragiliser des montages consistant pour une association, dans une perspective vertueuse de distinction claire entre le secteur lucratif et le secteur non lucratif, à susciter la création d'une société qui exercerait des activités lucratives autrefois prises en charge par elle, pas plus qu'à décourager les initiatives de sociétés souhaitant créer des associations aux fins de poursuivre des buts non lucratif, dans une optique de responsabilité sociale et sociétale.
A cet égard, sont ainsi confortées les préconisations du rapport « Clarifier le régime fiscal des associations » de G. Goulard (1998), qui mettait en avant, sous réserve d'une appréciation au cas par cas, deux règles générales pour limiter le risque que l'existence d'une filiale commerciale ne remette en cause le caractère non lucratif de l'association mère : la partie lucrative ne doit pas orienter l'ensemble et les dirigeants doivent rester distincts.
L’avis de la Rédaction La décision Audace rappelle opportunément qu'il ne suffit pas à une association de respecter les critères posés par la jurisprudence « Association Jeune France » pour prévenir tout risque d'assujettissement aux impôts commerciaux. La condition posée par une jurisprudence plus ancienne, quant au caractère désintéressé de la gestion de l'association, doit également être respectée. La diversité des cas de figure de gestion intéressée relevés par la jurisprudence doit conduire à une grande prudence lorsqu'une association est en relation avec des sociétés commerciales. Les précautions suivantes s'imposent :
1° Le dirigeant de l'association ne doit jamais être le dirigeant de droit ou de fait d'une société commerciale avec laquelle la première a des relations économiques étroites. Cette condition nous paraît devoir être interprétée de façon extensive et s'appliquer aux membres de la famille proche ou aux actionnaires majoritaires ou encore à ceux liés par un pacte d'actionnaires.
2° Il n'est pas question d'interdire à une association d'avoir des relations normales avec une société commerciale. Elle doit pouvoir être locataire d'une société commerciale. Elle doit pouvoir s'approvisionner auprès de sociétés commerciales qui lui consentent le cas échéant des conditions privilégiées.
Mais ces relations ne doivent pas déboucher sur une « communauté d'intérêts ». L'action de l'association ne doit pas prolonger celle d'une société commerciale. Par exemple, l'association ne doit pas encourager ou faciliter la commercialisation de produits vendus par la société commerciale. Il ne doit exister aucune confusion entre les recettes destinées et les charges incombant à l'association ou à la société commerciale. L'habitude assez répandue consistant pour une société à mettre du personnel qu'elle rémunère à la disposition d'une association peut s'avérer redoutable pour celle-ci.
3° L'association ne doit pas être l'instrument de la mise en commun par des sociétés commerciales de certains de leurs moyens. Dès lors que cette mise en commun permet aux sociétés de réaliser une économie, l'association est réputée intervenir dans leur prolongement.
La plupart des associations exposées au risque d'un assujettissement aux impôts commerciaux n'en ont pas vraiment conscience. Il est indispensable qu'elles revisitent leurs activités et leurs relations avec des sociétés commerciales non seulement à la lumière de la jurisprudence « Association Jeune France », mais également au regard du critère de la gestion désintéressée.
Par Emilie Bokdam-Tognetti, Maître des requêtes au Conseil d’Etat - Rapporteur public