Un comité d’entreprise est informé et consulté entre octobre 2014 et mars 2015, au cours de 3 réunions, sur les orientations stratégiques de l’entreprise, puis, entre mars et juin 2015, sur un projet de réorganisation, également au cours de plusieurs réunions. Le 16 juin, il saisit le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés pour lui demander, d’une part, de constater que le délai de consultation sur les orientations stratégiques n’a pas couru, faute pour l’employeur d’avoir mis à disposition les documents d’information nécessaires dans la base de données économiques et sociales (BDES), d’autre part d’ordonner la production de documents complémentaires dans le cadre de la consultation sur la réorganisation et de prolonger d’un mois le délai de cette consultation.
La cour d’appel déclare ces demandes irrecevables, estimant qu’en saisissant le juge plus de 4 mois après la communication par l’employeur d’informations qu’il jugeait insuffisantes sur les orientations stratégiques du groupe, le comité a agi au-delà du délai de consultation préfix prescrit par les dispositions légales.
Le délai de consultation court à partir de la communication des documents
La décision est cassée. Pour la Cour de cassation, en effet, dans l’exercice de ses attributions consultatives, le comité d’entreprise dispose, pour émettre des avis et vœux, d’un délai d’examen suffisant fixé par accord ou, à défaut, par la loi. Lorsque les éléments d’information ne sont pas suffisants, les élus du comité peuvent saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés pour qu’il ordonne la communication par l’employeur des éléments manquants. Cependant, lorsque la loi ou l’accord collectif prévoit la communication ou la mise à disposition de certains documents, le délai de consultation ne court qu’à compter de cette communication. Tel est le cas, dans le cadre de la consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise, de la base de données économiques et sociales (BDES) qui est le support de préparation de cette consultation.
La Cour juge par ailleurs recevable la demande du comité d’entreprise de voir prolonger son délai de consultation sur un projet de réorganisation, dès lors que cette demande est fondée sur la communication préalable des informations sollicitées concernant les orientations stratégiques de l’entreprise.
Une solution explicable à plusieurs titres
La Cour de cassation oppose deux cas, celui d’une insuffisance d’informations, l’expression semblant impliquer une appréciation subjective, et celui d’une non-communication ou mise à disposition de documents prévus légalement ou conventionnellement, ce qui semble renvoyer à une situation objective.
Dans le premier cas, il appartient au comité qui s’estime insuffisamment informé de saisir les juges afin de se faire communiquer les éléments manquants. C’est la situation prévue à l’article L 2323-4 ancien du Code du travail, cité dans les visas de l’arrêt. Cette saisine doit alors intervenir dans les délais préfix prévus par le Code du travail, la question de savoir à quelle date le comité a été en mesure d’apprécier le caractère suffisant ou non des informations fournies relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond (en ce sens, Cass. soc. 21-9-2016 nos 15-13.363 FS-PBI et 15-19.003 FS-PB : RJS 12/16 no 785). A défaut, la demande du comité est irrecevable.
Dans le second cas, le comité doit aussi saisir le juge, mais le délai préfix ne court pas.
La décision s’explique : ainsi que l’a rappelé Mme Nathalie Sabotier dans son rapport sous les arrêts du 21 septembre 2016 (RJS 12/6, chronique p. 816), l’encadrement dans des délais très stricts du temps de la consultation du comité d’entreprise, issu de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 et transposé dans le Code du travail par la loi 2013-504 du 14 janvier 2013, est intimement lié à « l’exhaustivité des informations à disposition des IRP figurant obligatoirement dans le document unique prévu ci-dessus », à savoir dans la BDES. Dès lors que celle-ci n’a pas été mise en place, on comprend que les délais ne courent pas. Par ailleurs, si l’insuffisance des informations délivrées au comité d’entreprise peut s’expliquer par une erreur de l’employeur sur l’étendue de ses obligations, pouvant être résolue par le dialogue ou par un arbitrage du juge, la non-communication ou mise à disposition de documents dont la transmission est expressément prévue par les textes s’apparente davantage à une méconnaissance évidente par le même employeur des dispositions du Code du travail ou des engagements qu’il a pris à l’égard des représentants du personnel.
A noter : l’affaire jugée ici par la chambre sociale avait fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalitésur la conformité à la Constitution du dispositif des délais préfix institué par la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, que la chambre sociale avait transmise au Conseil constitutionnel, mais celui-ci avait jugé le dispositif conforme (Cons. const. 4-8-17 n° 2017-652 QPC : RJS 10/17 n° 680). Confrontée à la fin de non-recevoir du Conseil Constitutionnel, la chambre sociale a peut-être ici trouvé un autre moyen d’assouplir un dispositif somme toute très sévère pour les comités d’entreprise.
Une solution transposable au CSE et aux autres consultations de cette institution
La solution retenue dans cet arrêt pour le comité d’entreprise est selon nous transposable au comité social et économique (CSE). En effet, les principes énoncés dans les textes au visa desquels il a été rendu, relatifs au comité d’entreprise, ont été repris pour l’essentiel par l’ordonnance 2017-1386 du 22 septembre 2017 et par son décret d’application 2017-1819 du 29 décembre 2017 relatifs au CSE. Il en est notamment ainsi du principe selon lequel, pour les consultations sans délai légal spécifique, le délai court à compter de la communication par l'employeur des informations prévues par le Code du travail pour la consultation ou de l'information par l'employeur de leur mise à disposition dans la base de données (C. trav. art. R 2323-1 ancien et art. R 2312-5 nouveau).
La solution est à notre sens également transposable aux autres consultations récurrentes du CSE – consultation sur la situation économique et financière et consultation sur la politique sociale de l’entreprise – puisque l’article R 2312-7 du Code du travail prévoit que la BDES permet la mise à disposition des informations nécessaires aux trois consultations récurrentes prévues à l'article L 2312-17, les articles R 2312-16 et suivants définissant les informations de la BDES nécessaires à chacune des 3 consultations.
A noter : la solution vaut également , selon nous, pour les autres consultations récurrentes du comité d’entreprise, en application des articles L 2323-9, L 2323-13 et L 2323-17 anciens du Code du travail, qui disposent que les informations en vue des consultations sur la situation économique et financière et sur la politique sociale de l’entreprise sont mises à la disposition du CE par l’employeur dans la base de données économiques et sociales.
Pascale PEREZ DE ARCE
Pour en savoir plus sur les attributions économiques du comité d'entreprise et les attributions du comité social et économique : voir Mémento Social nos 7950 s. et Mémento Social nos 9180 s.