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Le brevet unitaire européen en question

Simplicité des procédures, réduction des coûts, sécurité juridique, unité et cohérence de la jurisprudence… la mise en place du brevet unitaire européen et de la juridiction unifiée du brevet s’inscrit dans une volonté de protection uniforme des inventeurs. Le point avec Me Alexandre Diehl, avocat, et Simon Vandenbossche, conseil en propriété industrielle.


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Est paru au Journal officiel un « pack législatif » relatif au brevet européen à effet unitaire et à la juridiction unifiée du brevet (JUB). L’ordonnance 2018-341 du 9 mai 2018 (JO 10 mai) et le décret 2018-429 du 31 mai 2018 (JO 2 juin) ont été pris pour mettre en œuvre l’accord sur une juridiction unifiée du brevet – signé le 19 février 2013 et ratifié par la France le 14 mars 2017 (L. n° 2014-199 du 24 février 2014) – et pour adapter la législation française aux règlements européens du 17 décembre 2012 (n° 1257/2012 et n° 1260/2012). Les deux textes entreront en vigueur à la même date que celle de l’accord relatif à la JUB. La mise en place du brevet unitaire européen devrait permettre d’accroitre les investissements dans la recherche, le développement et la compétitivité tant des entreprises que des particuliers.

La Quotidienne : Pourquoi avoir créé un brevet unitaire européen ?

Alexandre Diehl et Simon Vandenbossche : Le brevet européen, sous sa forme actuelle, est régi par la convention sur le brevet européen (CBE). Cette convention prévoit une procédure centralisée et un examen centralisé pour obtenir un brevet européen. Celui-ci n’a pas d’effet unitaire ce qui nécessite des validations unitaires au sein des 38 pays (et implique des coûts prohibitifs du fait de traductions imposées par certains pays, comme la Grèce, l’Espagne ou certains pays nordiques qui n’ont pas signé les Accords de Londres et exigent le dépôt de traductions lors de la validation). De plus, avec le brevet européen sous sa forme actuelle, il faut s’acquitter de plusieurs taxes annuelles d’un montant variable pour maintenir le brevet en vigueur dans chacun des pays de validation.

La nouveauté du système proposé avec ce nouveau brevet européen réside principalement dans le fait que ce dernier aura désormais un effet unitaire (sans aucune exigence de traduction et versement d’une unique annuité versée à l’Office européen des brevets). Ce caractère unitaire a pour conséquence négative, qu’en cas d’annulation, le brevet sera annulé d’office dans l’ensemble des pays et pas uniquement dans le pays où la nullité a été demandée.

La Quotidienne : Le brevet unitaire européen n’ayant pas vocation à remplacer le brevet européen actuellement en vigueur, quelles les raisons peuvent pousser l’entrepreneur à le privilégier ?

A. D. et S. V. : Les deux systèmes vont coexister et l’on peut supposer que cette coexistence va perdurer dans le temps.

Il est probable qu’un entrepreneur privilégiera le brevet unitaire pour des raisons de coûts. Le coût de l’annuité a été calculé sur la base de 4 pays habituellement souhaités par les déposants (Allemagne, France, Royaume-Unis et Pays-Bas), ce qui rend l’option pour le brevet unitaire plus économe lorsque l’entrepreneur en question vise un dépôt dans plusieurs pays. Toutefois, en raison des risques évoqués concernant une nullité globale, un entrepreneur devra veiller à privilégier le brevet européen traditionnel lorsque sa demande portera sur un brevet « faible » ou à risque sur certains pays. Selon les intérêts en jeux, l’entrepreneur pourra aussi uniquement vouloir recourir à la protection couverte par les brevets nationaux.

La Quotidienne : Le titulaire d’un brevet européen peut-il se voir refuser par l’Office européen des brevets (EPO) l’effet unitaire ?

A. D. et S. V. : A notre connaissance, l’EPO ne peut pas refuser le caractère unitaire pour des raisons de fond, cet office n’ayant pas vocation à en discuter.

La Quotidienne : En cas de litige, comment s’articuleront les compétences respectives du tribunal de grande instance de Paris et de la JUB ?

A. D. et S. V. : La JUB est une nouvelle juridiction internationale constituée pour statuer sur la contrefaçon et la validité de brevets unitaires et de brevets européens « classiques » au titre de l'Accord du 19 février 2013 relatif à une juridiction unifiée du brevet.

La division centrale de la JUB, subdivisée en sections, a des compétences techniques spécifiques (par exemple, Paris a les compétences dans les domaines de la physique et de l’électricité tandis que les compétences de Munich s’exercent dans le domaine de la mécanique). Le tribunal de grande instance de Paris sera en charge des domaines non techniques. A priori, de nombreux dossiers de contentieux connaîtront un parcours en deux temps : un temps « technique » qui se déroulera au sein de l’une des sections de la division centrale et un temps plus « juridique » devant le tribunal de grande instance de Paris.

La délivrance des premiers brevets unitaires européens ne peut s’opérer alors que l’accord sur une juridiction unifiée du brevet (JUB) a été ratifié par 16 pays (NDRL : son entrée en vigueur était liée à l’obligation d’être ratifié par au moins 13 Etats membres), dont la Grande-Bretagne le 26 avril 2018. Pourquoi ? Dans l’éventualité où la Cour constitutionnelle allemande viendrait à faire droit à la plainte déposée en vue de bloquer la ratification du texte par cet Etat, l’avenir de la juridiction serait-il menacé ?

A. D. et S. V. : L’article 89 de l’Accor relatif à une juridiction unifiée du brevet prévoit que le texte entre en vigueur le « premier jour du quatrième mois suivant celui du dépôt du treizième instrument de ratification ou d'adhésion ». Mais les trois principaux Etats signataires (France, Allemagne et Royaume-Uni) doivent également avoir donné leur accord. Cette disposition permettait à ces derniers de valider en interne leur adhésion et celle de leur administration sans que les autres Etats puissent mettre en œuvre l’Accord sans leur consentement préalable.

La plainte actuelle a pour objectif de bloquer le processus en Allemagne. Dans l’éventualité d’un rejet de la ratification allemande par la Cour de Karlsruhe, un autre instrument de ratification, différent sur la forme et par la voie, serait très probablement déposé, de telle sorte qu’il est raisonnable de penser que la JUB verra bel et bien le jour.

La Quotidienne : Une perte de droits de protection est-elle à craindre pour les titulaires de brevets unitaires lorsque la Grande-Bretagne sortira de l’Union européenne ?

A. D. et S. V. : Certains commentateurs alarmistes font état, d’une part, d’une volonté du Royaume-Uni de bloquer le processus de ratification (argument sans portée désormais puisque la ratification par le Royaume-Uni a eu lieu le 26 avril 2018) et, d’autre part, d’un effet automatique de perte du bénéfice de l’Accord dans le cas où l’Etat sortirait de l’Union européenne. Or, les actuelles négociations et le fragile accord avec la Commission européenne – publié le 19 mars 2018 – sur le retrait du Royaume-Unis de l’Union européenne portent, notamment, sur la poursuite du bénéfice de certaines dispositions de droit de l’Union. Ce projet prévoit une période transitoire jusqu’au 31 décembre 2020 et souligne les engagements de Londres de respecter le droit de l’Union. Cette période sera, très probablement, celle utile pour négocier et implémenter un régime spécial applicable à presque tous les pans du droit où le Royaume-Uni pourra bénéficier du droit de l’Union, sans en avoir les inconvénients. Il est donc extrêmement probable que le Royaume-Uni continuera à être membre de cet Accord, sans que l’on connaisse, à ce jour, la nature de cette association visant à garantir à tous la protection des droits acquis

Propos recueillis par Audrey TABUTEAU



MeAlexandre DIEHL, avocat au sein du cabinet Lawint



Me Simon VANDENBOSSCHE, conseil en propriété industrielle au sein du cabinet Rifflart Vandenbossche et mandataire agréé près l'Office européen des brevets

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne