« Get Brexit done » : l’engagement de Boris Johnson est tenu, le Royaume-Uni a quitté officiellement les institutions européennes. Rappelons que les britanniques quittent l’Union Européenne mais restent territorialement nos proches voisins en Europe. Les conséquences seront sans doute nombreuses mais encore difficiles à évaluer.
Ce divorce a d’ailleurs déjà suscité de nombreux questionnements quant au visage et au fonctionnement du « monde d’après ». Car, ne le nions pas, l’influence britannique sur le cours et l’identité de la construction européenne a toujours été considérable.
Dans leur volonté constante d’élargir pour mieux diluer, dans leur lecture résolument libérale du marché européen, nos voisins d’Outre-Manche ont incontestablement imposé une sensibilité : ils ont mené - et souvent gagné - une bataille intellectuelle, celle des convictions, celle des « codes » et celle des idées.
Leur retrait place donc l’Europe à la croisée des chemins et doit la conduire à transformer l’épreuve en rebond. Pour cela, elle devra prolonger ce sens de l’unité dont elle a fait preuve sans la moindre défaillance au fil de trois années d’âpres négociations.
Dans cette optique, objectifs environnementaux, stratégie monétaire et fiscale de l’Union ou politique migratoire illustreront autant de sujets susceptibles d’éprouver à nouveau cette cohésion.
Et il en est un dont on parle moins mais qui s’avère être un enjeu décisif : la poursuite de l’harmonisation du système juridique européen.
Car en quittant l’Europe, la Grande-Bretagne a emporté avec elle sa « common law », ce système juridique issu du droit anglais non écrit et qui, de fait, a concurrencé jusqu’à présent le droit civiliste ayant cours sur notre continent.
Le Brexit éclaire donc l’horizon et offre aux États membres l’opportunité de faire converger leurs propres règles, en adoptant des instruments juridiques bâtis sur un socle commun.
Le défi n’est pas mince. Car de cette ambition découlera la capacité - ou non - de l’Europe à résister notamment aux assauts du droit américain, transformé en véritable arme de guerre économique. Elle lui donnera aussi la force d’exporter un corpus de règles et de références en direction des opérateurs publics ou privés, à l’international.
Or, à l’aube d’une révolution technologique qui nous fera basculer définitivement dans l’ère de l’Intelligence artificielle, la question des bases de données devient stratégiquement majeure. Le numérique étant le nouveau véhicule du droit, l’Europe doit, on l’a vu, avancer unie, équipée des vecteurs digitaux aptes à promouvoir son propre système juridique.
Ce faisant, c’est l’influence de notre modèle démocratique qui est en jeu : ses principes, ses idéaux et leur propension à irriguer la « philosophie » dominante du monde à venir.
Illusoire ? Avec le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), l’Europe a démontré sa volonté et sa capacité à encadrer le traitement des données de façon égalitaire sur son propre territoire, et même au-delà parfois, avec une attention particulière accordée aux droits des personnes.
Soyons-en conscients : ce combat à la fois culturel et technique est au centre de nos valeurs européennes et constitue une affirmation de notre souveraineté.
En clair, l’accélération des avancées technologiques intensifie également le développement du droit du numérique confirmant par là-même que la frontière peut être ténue entre une société ouverte et transparente et un monde soumis à …« Big brother ».
C’est là qu’interviennent la règle et l’éthique : un certain rapport à ce qui est civilisé et puis l’attachement aux valeurs dont nous, peuples européens, sommes tous héritiers.
Au moment d’inaugurer le « temps du post-Brexit » souvenons-nous de Gramsci : « Celui qui ne sait pas d’où il vient ne peut pas savoir où il va ».
Par Olivier CAMPENON, Président du groupe Lefebvre Sarrut