Le Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (projet de loi « Pacte ») doit être soumis à l’Assemblée nationale en juillet prochain. Le texte devrait être adopté d’ici la fin de l’année pour une entrée en vigueur en 2019. Parmi les mesures envisagées, celle prévoyant d’aligner au niveau européen les seuils d’audit obligatoire dans les entreprises française. Qualifiée de danger pour la sécurité financière des entreprises, cette réforme priverait les commissaires aux comptes (CAC) de plus de 150 000 mandats.
La Quotidienne. Mi-juin le projet de loi Pacte sera présenté en Conseil des ministres. Quel est le sentiment de la profession sur ce projet ? Après la mobilisation du 17 mai dernier, le dialogue et la concertation avec les pouvoirs publics se poursuivent-ils ?
J.B. : La mesure de relèvement des seuils d’audit légal présentée par Bruno Le Maire est vécue comme une injustice par la profession. Ce sentiment est d’autant plus présent que le rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) qui a annoncé cette mesure est perçu comme une véritable insulte pour la profession.
Comment peut-on dire à une profession qu’elle est inutile en soutenant un raisonnement fondé sur des principes faux ? La question n’est pas de savoir combien nous avons fait de révélations – ou dans combien de cas nous avons refusé de certifier les comptes comme le pense l’IGF – mais plutôt de regarder le nombre de fois où nous avons permis le respect du droit, ou évité à des entrepreneurs des choix malheureux .
Le commissariat aux comptes, c’est tout autant une mission d’assurance que de prévention. Méconnaître cela, c’est remettre en cause un mécanisme fondamental de transparence et de confiance dans l’économie. La profession le sent bien et c’est pour cela que nous nous mobilisons tous contre ce projet.
Néanmoins, il est évident que nous devons poursuivre tous les dialogues qui peuvent s’ouvrir avec les pouvoirs publics. J’ai veillé à cet égard à recueillir l’appui total de notre régulateur, le Haut Conseil du commissariat aux comptes (H3C), pour mener ce combat tout en poursuivant le dialogue.
Tant que le texte n’a pas été présenté en Conseil des ministres et qu’il n’a pas été examiné par les commissions des Assemblées, nous pouvons continuer de faire valoir notre point de vue et imaginer que cette mesure puisse être, si ce n’est supprimée, largement revisitée pour au moins donner le temps à la profession d’organiser une juste réponse à la demande des entrepreneurs.
Il est évident que nous devons privilégier nos réflexions sur la restitution de nos travaux afin que le « lien » producteur-consommateur se renforce et que nous répondions davantage aux attentes exprimées par les entrepreneurs et leurs clients.
Par ailleurs, nous travaillons avec la commission de Cambourg (NDRL : Autorité des normes comptables - ANC) désignée par le gouvernement pour renforcer ce dialogue avec la profession. Elle rendra ses conclusions très prochainement. J’espère que nous pourrons à cette occasion faire évoluer le point de vue du gouvernement pour concrétiser un dispositif d’audit très adapté aux petites entreprises et dont nous faisons la promotion : la révision légale.
La Quotidienne. Les CAC sont un maillon dans la chaîne de sécurité financière des entreprises puisque les contrôles effectués confèrent une confiance dans les comptes et donc une garantie pour les investisseurs. Le souhait du gouvernement, avec le projet de loi Pacte, est d’améliorer la performance des TPE et PME. Qu’en pensez-vous ?
J.B. : Un climat de confiance général doit exister au sein de notre tissu économique, en particulier pour les petites entreprises qui, en France, se financent beaucoup par le crédit inter-entreprises. Clients et fournisseurs se financent mutuellement à travers les délais de paiement. Il nous paraît donc important qu’il y ait un niveau de confiance suffisant dans la qualité des comptes annuels présentés.
Et si l’on veut orienter – comme le gouvernement le projette – une partie de l’épargne des citoyens vers des PME, il faut une réelle garantie de qualité des états financiers. Par ailleurs, le commissaire aux comptes a un rôle de dialogue avec le chef d’entreprise sur son contrôle interne, sur son environnement, sur ses risques... La prévention des difficultés de l’entreprise à travers la procédure d’alerte est aussi un élément important dans le dispositif. Le rôle de gendarme, de « gardien du droit », est également présent, à travers le devoir de révélation des faits délictueux.
Le 28 mai 2018, le Haut Conseil du commissariat aux comptes (H3C) a formulé des préconisations qui s’articulent autour de quatre axespour accompagner la réforme des seuils(voir La Quotidienne du 30 mai 2018). Avez-vous été consulté et auriez-vous souhaité aller encore plus loin ?
J.B. : Comme je le disais précédemment, le H3C est un allié précieux dans notre combat contre le relèvement des seuils. Etre un allié ne l’empêche évidemment pas de faire des propositions.
S’agissant de leur proposition de nomination d’un commissaire aux comptes dans toutes les entités d’intérêt public (EIP), j’y suis totalement favorable. Je crois savoir que la Chancellerie imagine déjà un texte susceptible de répondre à cette préoccupation.
S’agissant de la situation des entreprises sous les seuils européens, j’ai regardé avec attention la proposition d’examen légal préconisée. Très globalement, cela répond à nos préoccupations hormis le fait qu’il ne s’agirait plus d’une vérification des comptes mais seulement d’une vérification des indicateurs financiers accompagnée de vérifications ciblées sur les principales sources de risques de l’entreprise. La démarche est séduisante mais elle n’est pas totalement en adéquation avec les principes de l’audit. Je pense que la nécessité d’un ajustement est évidente et nous y parviendrons facilement.
En ce qui concerne les groupes, j’observe que le H3C milite pour la désignation d’un commissaire aux comptes dans les groupes, petits et grands. Là encore, je n’ai évidemment pas d’objections, sauf que pour notre part, nous pensons que le contrôle est aussi très important, et que sous certains seuils à définir, il est indispensable de maintenir la présence d’un commissaire aux comptes.
Je partage également la quatrième proposition du H3C imaginant une démarche transitoire de relèvement des seuils en commençant par une première étape fixée pour les entités réalisant 3, 1 millions de chiffre d’affaires, ayant un total de bilan de 1, 55 millions ou 50 salariés.
Globalement, les préoccupations du H3C sont totalement en phase avec les nôtres. Nous avons tous deux la volonté d’être les garants et les gardiens de la sécurité financière au service de l’intérêt général.
Propos recueillis par Audrey TABUTEAU
Jean BOUQUOT, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes