Un cautionnement valide malgré la mention manuscrite irrégulière dans l’un des exemplaires de l’acte
Cass. com. 2-6-2021 n° 20-10.690 FS-P, Sté CIC Ouest c/ L.
Toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : « En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de ... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même » (C. consom. art. L 341-2 ancien ; désormais art. L 331-1 et L 343-1).
L’acte par lequel une personne physique se porte caution d’un prêt bancaire est établi en deux exemplaires, l’un remis à la caution, l’autre à la banque. Poursuivie en paiement, la caution invoque la nullité de son engagement, produisant l’exemplaire qu’elle détient et dont la mention manuscrite n’est pas conforme aux exigences légales. La banque se prévaut alors de l’exemplaire de l’acte en sa possession qui, lui, est conforme.
La cour d’appel de Limoges annule le cautionnement : dans l’acte produit par la caution, la mention manuscrite ne comporte pas le mot « caution », ce qui en affecte le sens et la portée ; il importait peu que la banque détienne un autre exemplaire de l'acte comportant l'intégralité de la mention légale, dès lors que la mention était incomplète sur l’un des exemplaires et que la différence qui en résultait avec la mention légale était déterminante et n'avait pas permis à la caution de prendre la pleine mesure de la nature et de la teneur de son engagement.
Cassation de cette décision par la Haute Juridiction : le cautionnement étant un contrat unilatéral, un seul original était requis et la caution ne contestait pas avoir écrit de sa main les mentions conformes aux prescriptions légales sur l'exemplaire original détenu par le créancier.
A noter :
1. La Cour de cassation annule le cautionnement consenti par une personne physique à un créancier professionnel lorsque les discordances entre la mention légale prescrite par l’article L 331-1 du Code de la consommation et celle effectivement écrite par la caution sur l’acte affectent le sens et la portée de ladite mention (notamment, Cass. 1e civ. 10-4-2013 n° 12-18.544 F-PBI : RJDA 2/14 n° 169 ; Cass. com. 24-5-2018 n° 17-11.144 F-D : RJDA 8-9/18 n° 678). Il en est ainsi en cas d’omission du mot « caution » (Cass. com. 3-4-2019 n° 17-22.501 F-D : BRDA 11/19 inf. 24). La cour d’appel de Limoges avait fait application de ces règles en l’espèce mais la situation était particulière, le cautionnement ayant été établi en double exemplaire avec des mentions manuscrites différentes. Le fait qu’une seule des mentions ne soit pas conforme à l’article L 331-1 suffisait-il pour annuler le cautionnement ou, au contraire, le fait qu’une seule soit conforme à ce texte permettait-il de valider l’engagement ?
Pour trancher ce point, la Cour de cassation se fonde sur le caractère unilatéral du cautionnement. Le cautionnement est un contrat conclu entre la caution et le créancier (Cass. com. 10-7-2001 n° 98-14.462 FS-P : RJDA 1/02 n° 71) auquel le débiteur n’est pas partie (Cass. com. 26-1-1988 n° 85-17.662 P : Bull. civ. IV n° 49). Il n’engage que la caution, même si la loi fait peser certaines obligations sur le créancier professionnel qui bénéficie de cet engagement (Cass. com. 8-4-2015 n° 13-14.447 FS-PBI : RJDA 7/15 n° 525, excluant que ces obligations soient la contrepartie de celle de la caution). En conséquence, le cautionnement n’a pas à être établi en double exemplaire, contrairement à ce qui est requis pour les contrats synallagmatiques sous signature privée (C. civ. art. 1375). Mais si plusieurs actes sont établis, il suffit qu’un seul d’entre eux soit conforme aux exigences légales en matière de mention manuscrite.
2. La solution pourrait garder partiellement son intérêt après la prochaine réforme du droit des sûretés. L’avant-projet de réforme diffusé par la Chancellerie en décembre 2020 réaffirme le caractère conventionnel et unilatéral du cautionnement, en précisant qu’il s’agit du contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci.
En revanche, la mention sacramentelle de l’article L 331-1 du Code de la consommation disparaîtrait et les prescriptions sur la mention manuscrite seraient intégrées sous l’article 2297 du Code civil : la caution personne physique devrait apposer elle-même, à peine de nullité de son engagement, la mention qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d'un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres. Il en serait ainsi que le créancier soit ou non professionnel et il appartiendrait au juge d’apprécier le caractère suffisant de la mention.