Des parents demandent pour leur enfant, dix-neuf jours après sa naissance, le remplacement du prénom mentionné à l’état civil. L’officier de l’état civil, estimant la demande dépourvue d’intérêt légitime, saisit le procureur de la République qui s’y oppose à son tour. Les parents l’assignent devant le juge aux affaires familiales pour voir ordonner le changement sollicité. La cour d’appel finit par rejeter la demande en retenant que l’usage prolongé d’un prénom ne saurait être établi à l’égard d’un enfant alors âgé de trois ans.
La Cour de cassation censure. Elle énonce que la personne qui saisit le juge aux affaires familiales doit justifier d’un intérêt légitime, lequel :
peut être constitué, notamment, par l’usage prolongé d’un prénom autre que celui enregistré à l’état civil ;
est apprécié au jour où le juge statue.
Puis, elle juge que la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations selon lesquelles les proches de l’enfant l’appelaient par le prénom invoqué au jour où elle a statué.
A noter :
1. Depuis le 20 novembre 2016, la procédure de changement de prénom est déjudiciarisée (Loi 2016-1547 du 18-11-2016 art. 56, I) : la demande est faite à l’officier de l’état civil qui, s’il l’estime dénuée d’un intérêt légitime, saisit sans délai le procureur de la République. C’est le cas, en particulier, lorsque la demande lui paraît contraire à l'intérêt de l'enfant ou aux droits des tiers à voir protéger leur nom de famille. Si le procureur s’oppose au changement, le demandeur ou son représentant peut alors saisir le juge aux affaires familiales (C. civ. art. 60, al. 1 et 4 issus de loi 2016-1547 du 18-11-2016 art. 56). La nécessité pour le demandeur de justifier d’un intérêt légitime n’est plus mentionnée expressément, là où l’ancienne version de l’article 60 disposait que « toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de prénom. La demande est portée devant le juge aux affaires familiales ». Néanmoins, la charge de la preuve est inchangée. C’est au demandeur de justifier d’un intérêt légitime et non, comme le soutenaient les requérants, à l’officier d’état civil ou au procureur s’opposant au changement de prénom d’établir l’absence d’intérêt légitime.
2. Cet arrêt confirme que l’intérêt légitime au changement de prénom peut être constitué par l’usage prolongé d’un prénom autre que celui figurant à l’état civil (en ce sens, Cass. 1e civ. 10-10-1984 n° 83-13.934). Cet usage prolongé participe à la construction de l’identité de la personne et s’effectue notamment dans les domaines familial, administratif, amical, professionnel, etc. (Circ. JUSC1701863C du 17-2-2017, ann. 2). Dans l’arrêt ici commenté, la Cour de cassation reconnaît la possibilité d’un usage prolongé à l’égard d’un enfant de trois ans. Autrement dit, le fait que l’usage invoqué soit de courte durée et limité au cercle familial (un jeune enfant n’ayant pas de cercle administratif, professionnel ou amical) n’est pas en soi un obstacle à la caractérisation d’un intérêt légitime au changement de prénom. Ajoutons que, cet intérêt légitime étant apprécié au jour où le juge statue, le temps de la procédure permet aux parents de renforcer l’usage prolongé sur lequel ils fondent leur demande, l’arrêt de la cour d’appel pouvant survenir plusieurs années après la demande initiale devant l’officier d’état civil.