En bref
Le Conseil d’Etat a rendu le 10 juillet un avis SAS Wheelabrator Group (8e et 3e chambres réunies) par lequel il reconnaît aux contribuables la possibilité de tenir compte de rendements d’emprunts obligataires d’entreprises se trouvant dans des conditions économiques comparables, pour les besoins d’évaluation de taux d’intérêt de marché en vue de justifier le taux de leurs emprunts intragroupe en application du 212, I-a du CGI. Le Conseil d’Etat conditionne toutefois cette prise en compte à la circonstance que ces emprunts obligataires constituent, dans l’hypothèse considérée, une alternative réaliste à un prêt intragroupe. Plus largement, le Conseil d’Etat relève une différence de nature entre un emprunt auprès d’un établissement ou organisme financier et un financement par émission obligataire.
Nonobstant la relative solennité de la formation de jugement retenue (Chambres Réunies), les nombreuses zones d’ombre et questions pratiques soulevées par l’avis appellent à notre sens – et dans l’attente des conclusions du rapporteur public ainsi que d'une doctrine administrative en préparation précisant la politique de contrôle sur ce point – une grande prudence, et notamment la justification du taux intragroupe par référence à d’éventuels financements bancaires concomitants au financement intragroupe, ou encore aux prêts disponibles sur des bases de données publiques.
En détails
L’article 212, I-a du CGI dispose qu’une société peut déduire les intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition par une entreprise liée dans la limite du taux fixé par l’article 39, 1-3° du CGI, ou, s’ils sont supérieurs, d’après le taux qu’elle aurait pu obtenir auprès d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues. L’interprétation de cette disposition génère un contentieux nourri, l’administration fiscale niant souvent toute valeur probante aux rendements obligataires, considérés comme des produits spéculatifs de financements non-bancaires (voir par exemple CAA Paris 31-12-2018 n° 17PA03018, SAS WB Ambassador). Cette position soulève de nombreuses difficultés pratiques pour des contribuables justifiant leurs taux de prêts intragroupes par de tels rendements.
Saisi d’une demande d’avis sur la recevabilité de ces rendements obligataires, le Conseil d’Etat – dans une de ses formations les plus solennelles de Chambres Réunies – reconnaît au contribuable la possibilité de tenir compte de rendements d’emprunts obligataires d’entreprises se trouvant dans des conditions économiques comparables en vue de satisfaire cette charge de la preuve. Cette prise en compte est toutefois conditionnée à la circonstance que ces emprunts obligataires constituent, dans l’hypothèse considérée, une alternative réaliste à un prêt intragroupe. Plus largement, le Conseil d’Etat relève une différence de nature entre un emprunt auprès d’un établissement ou organisme financier et un financement par émission obligataire, et en déduit l’impossibilité pour un contribuable de justifier d’un taux de prêt intragroupe par le taux qu’il aurait été susceptible de servir à des souscripteurs s’il s’était financé par émission obligataire.
Il nous a été indiqué que l’intention de la Haute Assemblée était de ne pas exclure par principe la référence à des taux obligataires, sous réserve que le contribuable pourrait se financer par des émissions obligataires. Toutefois les termes retenus et les conditions posées par le Conseil d’Etat soulèvent de multiples questions pratiques. On peut notamment s’interroger sur la capacité de PME à établir leur capacité à se financer par des obligations, pour peu que ces dernières soient entendues au sens de placements publics, et non privés. La valeur probante de rendements obligataires d’entreprises non pas tierces mais liées est également une possibilité offerte, en l’absence de précision sur le caractère tiers ou non des entreprises émettant des obligations.
Dans l’attente des conclusions du rapporteur public, et dans l’attente d’une doctrine administrative en préparation précisant la politique de contrôle sur ce point, nous recommandons par prudence de ne recourir aux rendements obligataires que de manière corroborative, et de justifier le taux intragroupe par référence à des prêts bancaires concomitants au financement intragroupe, ou disponibles sur des bases de données publiques.
Fabien FONTAINE, Directeur, PwC Société d'avocats