Un homme et une femme de nationalité tunisienne se marient en Tunisie en 2006. Ils acquièrent la nationalité française en 2016. En 2019, l’épouse saisit un juge aux affaires familiales français d’une demande en divorce. Le mari soulève alors une fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée attachée à un jugement de divorce prononcé en 2017, sur sa demande unilatérale, par le tribunal de première instance de Sousse (Tunisie) et ayant acquis force de chose jugée sur le principe du divorce, jugement semble-t-il confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Sousse puis de la Cour de cassation tunisienne en 2018. Considérant ces décisions opposables en France, la cour d’appel accueille l’exception soulevée par le mari et déclare irrecevable la requête en divorce de la femme.
Celle-ci forme un pourvoi. Elle fait valoir que la décision d'une juridiction étrangère constatant la volonté unilatérale du mari de mettre fin au mariage sans justification aucune, sans donner d'effet juridique à l'opposition éventuelle de la femme et privant l'autorité compétente de tout pouvoir autre que celui d'aménager les conséquences financières de cette rupture du lien matrimonial est contraire au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage, et donc à l'ordre public international.
Rejet. La Haute Juridiction rappelle que :
- les décisions rendues par les juridictions tunisiennes, en matière civile, n'ont de plein droit l'autorité de la chose jugée sur le territoire français que si elles ne contiennent rien de contraire à l'ordre public international (Conv. franco-tunisienne du 28-6-1972 relative à l'entraide judiciaire en matière civile et commerciale et à la reconnaissance et à l'exécution des décisions judiciaires) ;
- le principe d’égalité des époux s’impose (Conv. de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, Protocole additionnel du 22-11-1984, n° 7, art. 5) ;
- selon le droit tunisien, le divorce, qui ne peut avoir lieu que devant le tribunal, peut être prononcé en cas de consentement mutuel des époux, à la demande de l’un des époux en raison du préjudice qu’il subit ou à la demande du mari ou de la femme (Code du statut personnel tunisien du 13-8-1956, Livre second, art 30 et 31, al. 1 à 4).
Puis, elle valide l’arrêt d’appel qui a considéré que ce cas de divorce n’est pas assimilable à une répudiation unilatérale accordée au seul mari, dès lors qu’il est ouvert de manière identique à chacun des conjoints. L’épouse, régulièrement citée et représentée par un avocat devant les juridictions tunisiennes, ne démontre pas que les décisions, qui ont été obtenues à la suite d'un débat contradictoire et à l'encontre desquelles elle a exercé les voies de recours mises à sa disposition, ont été rendues en fraude de ses droits. La cour a dès lors déduit à bon droit que les décisions tunisiennes invoquées n'étaient pas contraires au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage et donc à l'ordre public international.
A noter :
Comme le relève David Lambert, coauteur du Mémento Successions Libéralités et du Mémento Droit de la famille, l’arrêt commenté s’inscrit, quoique de manière un peu différente, dans une tendance jurisprudentielle constatée ces dernières années à propos des divorces marocains. Celle-ci tient vraisemblablement compte de certaines analyses doctrinales visant à tirer les conséquences des réformes du droit de la famille intervenues au Maroc et accordant davantage de droits à l’épouse (K. Zaher, Plaidoyer pour la reconnaissance des divorces marocains ; à propos de l'arrêt de la première chambre civile du 4 novembre 2009 : Rev. crit. DIP 2010 p. 313). Un arrêt a ainsi admis la transcription sur les registres d'état civil français d'un « divorce pour discorde » marocain prononcé à l’initiative du mari, dans la mesure où il ne s'agissait pas d'une répudiation unilatérale (Cass. 1e civ. 23-2-2011 n° 10-14.760, Diffoullous : BPAT 2/11 inf. 121). De même, la Cour de cassation paraît soucieuse d'éviter la confusion entre les différentes procédures de divorce existant en droit marocain, certaines paraissant inégalitaires tandis que d'autres, tel le divorce consensuel auquel les époux consentent d'un commun accord ne paraissent pas encourir ce reproche (Cass. 1e civ. 24-9-2014 nos 13-20.049 et Cass. 1e civ. 24-9-2014 n° 13-25.556).
Le Code du statut personnel tunisien, en cause dans l’arrêt commenté, paraît quant à lui parfaitement égalitaire, quelle que soit la procédure de divorce, en ce qu’il ouvre une procédure de répudiation unilatérale aux deux époux et n’encourt dès lors pas le reproche. Un arrêt récent, rendu à propos d’un divorce algérien dans des circonstances particulières (divorce par compensation prononcé sur volonté unilatérale de l’épouse), semblait dans certains de ses motifs, hostile au principe même de la répudiation unilatérale (Cass. 1e civ. 17-3-2021 n° 20-14.506 FS-P : SNH 12/21 inf. 6). L’arrêt commenté, se situant de manière logique sur le seul plan de l’égalité entre époux, affirme clairement qu’une telle faculté n’est pas contraire à l’ordre public international dès lors qu’elle est ouverte de manière égale aux deux époux.
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