Un homme et une femme de nationalité algérienne se marient sans contrat préalable en Algérie, en 1976, où naissent leurs trois enfants. En instance de divorce, ils s’opposent sur la loi applicable à leur régime matrimonial. La cour d’appel tranche en faveur de l’épouse et déclare la loi française applicable au régime matrimonial. Pourvoi du mari.
Cassation. Le régime matrimonial des époux mariés sans contrat, avant l'entrée en vigueur en France, le 1er septembre 1992, de la convention de la Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux, est déterminé selon la volonté qu'ils ont eue, lors du mariage, de localiser leurs intérêts pécuniaires, cette volonté devant être recherchée d'après les circonstances concomitantes ou postérieures à leur union. La règle selon laquelle cette détermination doit être faite en considération, principalement, de la fixation de leur premier domicile conjugal ne constitue qu'une présomption simple qui peut être détruite par tout autre élément de preuve pertinent. Pour dire que la loi française est applicable au régime matrimonial des époux qui sont soumis au régime de la communauté réduite aux acquêts, l'arrêt retient que le premier domicile commun des époux n'a pas été fixé en Algérie, où ceux-ci se sont mariés en 1976, mais en France, où ils se sont établis et ont cohabité dans un appartement que le mari a acquis en 1988 en vue de faire venir son épouse et ses enfants au titre du regroupement familial. En statuant ainsi, alors que ces circonstances, postérieures de plus 12 ans au mariage, étaient impropres à révéler que les époux avaient eu la volonté, au moment de leur mariage, de soumettre leur régime matrimonial à la loi française, la cour d'appel a violé l’article 3 du Code civil (lequel sert de base légale aux règles de conflits de lois d’origine jurisprudentielle, telle la règle sur les régimes matrimoniaux).
A noter :
Comme le relève David Lambert, coauteur du Mémento Successions Libéralités et du Mémento Droit de la famille, la solution donnée par cet arrêt paraît justifiée au regard des éléments de fait de l’espèce. Les époux ayant vécu dans des lieux distincts pendant 12 ans après le mariage, la présomption en faveur du premier domicile matrimonial pour déterminer la loi applicable au régime matrimonial pouvait se discuter. C’est la motivation qui surprend. La jurisprudence affirme traditionnellement que la présomption en faveur de la loi du premier domicile matrimonial n’est qu’une présomption simple, mais la preuve contraire est difficilement admise. La grande majorité des arrêts n'admet pas le renversement de cette présomption (rappelant nettement ce principe, Cass. 1e civ. 19-9-2007 n° 06-15.295 FS-PB ; voir également G. Pluyette et F. Monéger, Quelques aspects récents de la jurisprudence de la première chambre civile en matière de droit communautaire international : Mélanges Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 559 s.). Il en va notamment ainsi en cas de célébration religieuse du mariage à l'étranger selon les formes locales (le plus souvent du pays de la nationalité commune des époux) ou devant le consul d'un pays étranger en France dès lors que les époux établissent leur domicile immédiatement après le mariage en France. La Cour de cassation rejette souvent, à juste titre, cet argument (Cass. 1e civ. 22-5-2007 n° 05-20.953 FS-PB ; Cass. 1e civ. 19-9-2007 n° 06-15.295 FS-PB ; Cass. 1e civ. 22-10-2008 n° 07-16.385 F-D ; Cass. 1e civ. 26-9-2012 n° 11-20.463 F-D ; en sens contraire, Cass. 1e civ. 22-11-2005 n° 03-12.224 F-PB). Plusieurs décisions récentes ont toutefois semblé admettre assez facilement un renversement de la présomption de manière critiquable au profit de la loi de la nationalité commune des époux, à partir d'indices faibles (Cass. 1e civ. 19-10-2016 n° 15-26.767 F-D : mariage au consulat turc de Marseille, déclarations faites par les époux dans divers actes juridiques indiquant qu'ils étaient soumis au régime légal turc, déclaration de l'épouse dans un acte de caution indiquant qu'elle était soumise au régime matrimonial de la séparation de biens ; Cass. 1e civ. 24-5-2018 n° 17-20.110 D : époux maliens mariés au consulat du Mali en France ; bien que leur premier domicile conjugal soit en France, l'épouse a fait valoir qu'ils s'étaient mariés sous le régime légal malien à l'occasion de la liquidation de leurs biens immobiliers au Mali : la solution semble être une sanction de l'attitude de l'épouse). L’arrêt commenté s’inscrit dans cette tendance en affirmant nettement que la présomption « peut être détruite par tout autre élément de preuve pertinent ». Il nous semble néanmoins que la solution classique est pleinement justifiée et il faut espérer qu’il ne s’agit que d’un arrêt d’espèce.
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