Saisi par des députés le 21 février dernier, le Conseil constitutionnel vient de rendre sa décision, en validant l’essentiel de la réforme du Code du travail.
Avant d’examiner en détail la teneur de sa décision, on notera d’emblée qu’il n’a soulevé d’office aucune autre question de conformité à la Constitution et qu’il ne s’est donc pas prononcé sur la Constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans sa décision du 21 mars.
Négociation collective
Recours contre les conventions et accords collectifs
Le Conseil constitutionnel décide que l’article L 2262-14 du Code du travail dans sa rédaction issue de l’ordonnance 2017-1385 du 22 septembre 2017, en fixant à 2 mois le délai de recours de l'action en nullité des accords collectifs, permet de garantir leur sécurité juridique en évitant qu'ils puissent être contestés longtemps après leur conclusion. Il relève que ce texte ne prive pas les salariés de la possibilité de contester, sans condition de délai, par la voie de l'exception, l'illégalité d'une clause de convention ou d'accord collectif, à l'occasion d'un litige individuel la mettant en œuvre.
Le Conseil constitutionnel émet une réserve d’interprétation s’agissant du 2° de l’article L 2262-14 précité, en précisant que le délai de recours contre un accord dont certains passages n’ont pas été publiés dans la base de données nationales en application de l’article L 2231-5-1 du Code du travail ne saurait, sans méconnaître le droit à un recours juridictionnel effectif, courir à l'encontre des personnes autres que les syndicats disposant d’une section syndicale dans l’entreprise qu'à compter du moment où elles en ont valablement eu connaissance (paragraphe 35).
Projets d’accord dans les entreprises de moins de 11 salariés (ou de moins de 20 sans élus)
Le Conseil constitutionnel écarte les reproches de méconnaissance du principe de participation des travailleurs et de la liberté syndicale que le recours adressait aux articles L 2232-21 et L 2232-23 tels qu'issus de l'ordonnance 2017-1385 du 22 septembre 2017, lesquels permettent à l'employeur, dans une entreprise comptant moins de 20 salariés, de soumettre à la consultation des salariés un projet d'accord ou un avenant de révision portant sur les thèmes ouverts à la négociation collective d'entreprise.
Négociation dans les entreprises de 11 à moins de 50 salariés
Les dispositions légales permettant, dans les entreprises de 11 à moins de 50 salariés sans délégué syndical, à l’employeur de choisir unilatéralement son interlocuteur pour négocier un accord d’entreprise (C. trav. art. L 2232-23-1 résultant de l’article 2 de la loi de ratification) ne méconnaissent pas le principe de participation et de la liberté syndicale car elles n’ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à l’intervention des syndicats représentatifs dans la détermination collective des conditions de travail.
Blocs de la négociation collective
Les Sages valident les articles L 2253-1, L 2253-2 et L 2253-3 répartissant en trois blocs les thèmes de la négociation collective et l’article 16, I, II et IV de l’ordonnance 2017-1385 fixant les règles d’entrée en vigueur de ces dispositions.
Accords de performance collective
Le Conseil constitutionnel juge conformes à la Constitution certaines dispositions de l'article L 2254-2 du Code du travail, dans sa rédaction résultant de l'article 2 de la loi déférée, définissant les conditions dans lesquelles un accord de performance collective peut modifier certains éléments de l'organisation du travail, de la rémunération des salariés ou de leur mobilité géographique ou professionnelle afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ou en vue de préserver ou de développer l'emploi. Il juge que le législateur a opéré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre d’une part, les exigences qui découlent de la liberté contractuelle et du droit d’obtenir un emploi et d’autre part, la liberté d’entreprendre.
Comité social et économique
Elections partielles au CSE
Le Conseil constitutionnel censure l’article 6, 9° de la loi qui visait à introduire une dérogation aux règles de droit commun en matière d'élections partielles organisées par l'employeur afin de pourvoir les sièges vacants au sein de la délégation du personnel du CSE. L'employeur aurait, en application de l’article L 2314-10 modifié, été dispensé d'en organiser lorsque les vacances résultaient de l'annulation, par le juge, de l'élection de membres de ce comité en raison de la méconnaissance des règles tendant à une représentation équilibrée des femmes et des hommes.
Pouvant aboutir à ce que plusieurs sièges demeurent vacants au sein de la délégation du personnel du comité pour une période pouvant aller jusqu’à 4 ans, y compris quand un collège électoral n’est plus représenté au sein du CSE et quand le nombre des élus titulaires a été réduit de moitié ou plus, ces dispositions portaient selon les Sages une atteinte manifestement disproportionnée au principe de participation des travailleurs.
Commission santé, sécurité et conditions de travail
Les dispositions légales (C. trav. art. L 2312-8) réservant la présence d’une commission santé, sécurité et conditions de travail du CSE aux entreprises d’au moins 300 salariés et à celles, plus petites, où cette mesure est nécessaire, notamment en raison de la nature des activités et de l’équipement des locaux, ne méconnaissent pas le droit à la protection de la santé, juge le Conseil constitutionnel.
Négociation du protocole préelectoral
Le Conseil constitutionnel valide la disposition légale dispensant l’employeur dans les entreprises de 11 à 20 salariés de mettre en œuvre le processus électoral et de négocier le protocole préélectoral lorsqu’aucun salarié ne s’est porté candidat (C. trav. art. L 2314-5).
Heures de délégation
Relevant que les dispositions des articles L 2315-7 et L 2315-11, relatifs aux heures de délégation, sont assorties des garanties nécessaires pour assurer le respect du principe de participation des travailleurs, les Sages les jugent conformes à la Constitution.
Recours aux expertises
Sont validées les règles légales relatives au financement de l’expertise du CSE (C. trav. art. L 2315-80). Le juge constitutionnel relève notamment qu’en prévoyant un financement partiel par le CSE de certaines expertises, le législateur a entendu souligner la responsabilité du CSE en matière de recours à l’expertise et que le cofinancement est expressément exclu pour certaines expertises et, en dehors de ces cas, lorsque le budget de fonctionnement du comité est insuffisant.
Réseaux de franchise
Les juges de la Constitution valident la suppression de l’instance de dialogue social, opérée par l’article 7 de la loi de ratification. En réponse à la saisine des députés, qui faisaient valoir que ce texte excédait le champ de l’habilitation conférée par la loi du 15 septembre 2017, les Sages rappellent que le champ d’une loi d’habilitation ne s’impose pas au législateur lors de l’adoption d’une loi de ratification. Il juge par ailleurs que, la représentation du personnel de droit commun n’étant pas affectée, le principe de participation n’est pas méconnu.
Rupture du contrat de travail
Licenciements pour motif économique
Pour le Conseil constitutionnel, en prévoyant que la cause économique d'un licenciement dans une entreprise appartenant à un groupe peut être appréciée au niveau des entreprises appartenant au même groupe, situées seulement sur le territoire national et relevant du même secteur d'activité (C. trav. art. L 1233-3), le législateur n'a pas méconnu le droit à l'emploi, c’est-à-dire son obligation de poser les règles propres à assurer le droit pour chacun d’obtenir un emploi tout en permettant l’exercice de ce droit par le plus grand nombre. En outre, il résulte selon lui des termes mêmes de la loi que cette appréciation cantonnée au territoire national ne s'applique pas en cas de fraude, quelle qu'en soit la forme, notamment par l'organisation artificielle de difficultés économiques au sein d'une filiale.
Barème d’indemnisation en cas de licenciement abusif
Les Sages relèvent qu’en fixant un référentiel obligatoire pour les dommages intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le législateur a poursuivi un objectif d’intérêt général, en renforçant la prévisibilité des conséquences de la rupture du contrat de travail. Il ajoute que la dérogation au droit commun de la responsabilité pour faute (qui consiste à limiter ou exclure les cas dans lesquels la responsabilité est engagée), n’institue pas de restrictions disproportionnées par rapport à l’objectif d’intérêt général poursuivi.
S’agissant du montant maximal de l’indemnisation, qui prend en compte l’ancienneté du salarié, le Conseil remarque que le législateur n’était pas tenu de fixer un barème prenant en compte l’ensemble des critères déterminant le préjudice subi par le salarié licencié. Le juge doit en revanche, précise-t-il, dans les bornes de ce barème, prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié lorsqu’il fixe le montant de l’indemnité due par l’employeur.
CDD et contrats de mission
En renvoyant aux accords de branche étendus le soin de fixer la durée totale de ces contrats et le nombre maximal de leurs renouvellements (C. trav. art. L 1242-8, L 1242-13, L 1251-12 et L 1251-35), le législateur a seulement confié à ces accords le soin de préciser les modalités concrètes d’application des principes fondamentaux du droit du travail, n’encourant ainsi aucune censure.
Travail de nuit
Les dispositions légales instituant en faveur des accords collectifs mettant en place le travail de nuit une présomption de conformité aux conditions de recours à cette forme de travail ne méconnaissent pas le droit à la santé, dans la mesure où il s’agit, précise le Conseil constitutionnel, d’une présomption simple, qui peut être renversée.
Compte professionnel de prévention (C2P)
Les Sages écartent le grief de méconnaissance du droit à la protection de la santé formé par les auteurs de la saisine à l’encontre de l’exclusion de 4 facteurs de risques professionnels du bénéfice du dispositif préventif (C. trav. art. L 4163-5). Le juge constitutionnel rappelle en effet qu’il ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Ainsi, il ne lui appartient pas de remettre en cause l'appréciation portée par le législateur sur les facteurs de risques professionnels susceptibles d'être retenus dans le cadre d'un dispositif de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, ainsi que sur les modalités de cette prise en compte, dès lors que ceux-ci ne sont pas manifestement inappropriés à l'objectif visé.
La disposition permettant le financement des dépenses engendrées par le C2P par la brancheaccidents du travail de la sécurité sociale (C. trav. art. L 4163-21) n’est pas contraire à la Constitution. Tout en jugeant que le droit à la protection de la santé n’impose pas un financement selon un mécanisme incitatif, les Sages relèvent que ce caractère incitatif est préservé en l’espèce puisque le taux de la cotisation majorée est fonction du nombre d’AT/MP.
Dispositions censurées pour non-respect de la procédure législative
Sont censurés comme adoptés selon une procédure irrégulière car dénués de lien direct ou indirect avec le projet de loi initial les articles suivants de la loi déférée, résultant d’amendements en première lecture :
- l’article 9, sur le siège de deux députés au conseil d’orientation de la participation ;
- l’article 12 sur le bonus perçu par les preneurs de risques des établissements financiers et le calcul de leurs indemnités en cas de licenciement irrégulier ;
- l’article 14 relatif à la limite d’âge des médecins de l’OFII ;
- l’article 20 retenant l’attribution des crédits du fonds paritaire de financement du dialogue social à l’UNAPL.
Pour en savoir plus sur la réforme du Code du travail : voir les numéros spéciaux du Feuillet Rapide Social (FRS) nos 19/17 et 3/18, relatifs aux ordonnances et aux décrets d'application, ainsi que FRS 5/18 inf. n° 11 (adoption de la loi de ratification des ordonnances) et FRS 6/18 inf. n° 1 (saisine du Conseil constitutionnel d'un recours visant la loi de ratification des ordonnances).