Une société achète une parcelle à Saint-Denis de la Réunion et y réalise deux séries de 21 constructions d'une surface totale de plus de 4 000 m2 à compter de 2008. La première est destinée à la réception d'événements (accueil, loisirs et restauration de groupe), la seconde constitue des hébergements. La parcelle étant située dans une zone inconstructible en raison de risques d'inondations et aucun permis de construire n'ayant été demandé, le procureur est saisi en octobre 2013. Les travaux se poursuivent malgré le refus du maire de délivrer un permis de régularisation en 2014 et 2016 et un arrêté préfectoral d'interruption des travaux en 2016.
Le tribunal correctionnel puis la cour d'appel condamnent la société et son dirigeant à une amende et à la démolition de toutes les constructions. L'exception de prescription est écartée par les juges, le délai n'ayant pas commencé à courir au jour de la saisine du tribunal puisque les travaux étaient encore en cours. En effet, si les travaux ont été réalisés par actes successifs, les constructions relèvent d'une entreprise unique et forment un tout indivisible, dont l'édification s'est poursuivie depuis l'acquisition de la parcelle en 2008 jusqu'au dernier procès-verbal de constatation de septembre 2017.
Dans leur pourvoi, les prévenus font valoir un argument différent : les travaux ont été réalisés en deux phases successives, les installations destinées à la réception d'événements étant achevées bien avant la construction des hébergements. L'ensemble ne peut donc pas être qualifié de tout indivisible pour l'écoulement du délai de prescription pénale.
En vain. La Cour de cassation décide que la qualification de tout indivisible relève du pouvoir souverain d'appréciation de la cour d'appel. Et rappelle qu'en matière d'urbanisme la prescription ne commence à courir qu'à compter de l'achèvement d'un ensemble de travaux relevant d'une entreprise unique.
A noter :
Cette décision fournit une nouvelle illustration d'un principe déjà affirmé plusieurs fois par la Cour de cassation. Le délai de prescription du délit de construction sans permis commence à courir à compter de l'achèvement de l'ensemble des travaux constituant un tout indivisible, dont la qualification relève de l'appréciation souveraine des juges du fond.
Que faut-il entendre par « tout indivisible » ? Il s'agit de travaux indissociables entre eux, qui ne peuvent être accomplis les uns sans les autres pour des raisons matérielles ou fonctionnelles (C. de Jacobet de Nombel, « L'indivisibilité des travaux et le point de départ du délai de prescription » : RDI 2020 p. 147). La qualification a ainsi été écartée pour la construction de 5 immeubles de bureaux dans une ZAC (Cass. crim. 23-4-2013 n° 12-85.352 F-D) ou celle d'un mur de soutien et d'un mur de clôture extérieur destiné à parquer les animaux d'une bergerie qui, elle, était achevée (Cass. crim. 13-11-2013 n° 12-85.486 F-D). En revanche, constitue un tout indissociable la construction de plusieurs cabanons reliés entre eux par un auvent (Cass. crim. 18-5-2005 n° 04-86.697 F-D).
Pour les prévenus, l'enjeu est d'importance puisque les constructions couvertes par la prescription ne pourront pas faire l'objet d'une mesure de démolition. Le caractère indissociable ou non des constructions devrait par conséquent donner lieu à de nombreux recours.