Le propriétaire du lot n° 14 assigne le propriétaire d’autres lots, dont le lot n° 160 constituant une cage d’escalier, en reconnaissance de l’existence d’une servitude de passage acquise par destination du père de famille.
La cour d’appel accueille la demande au motif que les fonds divisés ont appartenu au même propriétaire, et que la boîte aux lettres et le compteur d’électricité destiné à alimenter le lot n° 14 se trouvent installés au 1er étage de la cage d’escalier, constituant des signes apparents de servitude.
L’arrêt est cassé au visa de l’article 694 du Code civil : la cour d’appel aurait dû rechercher si l’acte par lequel s’était opérée la séparation des deux lots ne contenait aucune disposition contraire à l’existence de la servitude.
A noter :
Confirmation de jurisprudence. Il est admis de longue date que le statut de la copropriété n’est pas incompatible avec la constitution de servitudes entre les parties privatives de deux lots, ces héritages appartenant à des propriétaires distincts (Cass. 3e civ. 30-6-2004 n° 03-11.562 FP-PBRI : BPIM 5/04 inf. 278 ; Cass. 3e civ. 13-9-2005 n° 04-15.742 F-D ; Cass. 3e civ. 1-7-2009 n° 08-14.963 FS-PB : BPIM 5/09 inf. 371). Il en est, notamment, ainsi de la reconnaissance de l’existence d’une servitude de passage pour cause d’enclave (Cass. 3e civ. 14-1-2009 n° 07-16.410 FS-D ; Cass. 3e civ. 19-1-2010 n° 09-12.522 F-D). La question de la reconnaissance de l’existence d’une servitude se posait en l’espèce puisque l’un des copropriétaires revendiquait une servitude de passage par destination du père de famille sur un escalier, partie privative d’un lot, en haut duquel se trouvaient sa boîte à lettres et son compteur électrique.
Il y a destination du père de famille lorsqu’il est prouvé que les deux fonds divisés ont appartenu au même propriétaire et que c’est par lui que les choses ont été mises dans l’état duquel résulte la servitude (C. civ. art. 693).
C’est un cas particulier d’acquisition de servitude reposant sur l’idée que, si, au moment de la division, les propriétaires n’ont pas exprimé la volonté de modifier l’état des choses, ils sont présumés avoir entendu le maintenir ; c’est donc en réalité la convention tacite des intéressés de maintenir l’état de fait qui en constitue le fondement (F. Terré et P. Simler : « Les biens » , Précis Dalloz 9e éd. 2014, n° 900). Une servitude ne peut donc être acquise par destination du père de famille que lorsqu'elle est apparente au moment de la division du fonds (Cass. 3e civ. 11-6-1992 n° 90-16.144 P : Bull. civ. III n° 201 ; Cass. 3e civ. 10-1-1996 n° 94-13.194 P : Bull. civ. III n° 11 ; Cass. 3e civ. 14-2-2012 n° 10-28.305 F-D ; Cass. 3e civ. 9-9-2014 n° 13-16.786 F-D). En revanche, il convient de distinguer les servitudes continues de celles qui sont discontinues. Pour les servitudes apparentes et continues, l’article 692 du Code civil dispose que la destination du père de famille vaut titre. Néanmoins, s’il s’agit d’une servitude apparente mais discontinue, la destination du père de famille vaut titre si non seulement il existe des signes apparents de la servitude mais qu’en plus l’acte par lequel s’est opérée la séparation des deux héritages ne contient aucune disposition contraire à l’existence de la servitude, conformément aux dispositions de l’article 694 du Code civil. Celui qui invoque la servitude devra donc produire l’acte de division afin que le juge puisse vérifier qu’il ne contient aucune stipulation contraire au maintien de la servitude (Cass. 3e civ. 24-11-2004 n° 03-16.366 FS-PB ; Cass. 3e civ. 16-9-2009 n° 08-16.238 FS-PB ; Cass. 3e civ. 8-6-2017 n° 16-16.402 F-D). Les juges du fond ne peuvent donc retenir l’existence d’une servitude de passage – servitude discontinue – par destination du père de famille sans relever, à la date de division du fonds, des signes apparents de servitude non contredits par l’acte de division (Cass. 3e civ. 7-9-2017 n° 16-19.828 F-D ; Cass. 3e civ. 28-1-2021 n° 19-24.254 F-D). En l’espèce, la cour d’appel a bien relevé des signes apparents de servitude puisque l’accès à la boîte aux lettres et au compteur ne pouvait se faire que par cet escalier. En revanche, elle n’a pas recherché si l’acte par lequel s’était opérée la séparation des deux lots ne contenait aucune disposition contraire à l’existence de la servitude. L’arrêt a donc été cassé.