Cette loi vient étendre le champ d'application de l'ordonnance du 21 avril 1945 qui avait fixé les premières modalités de restitution consécutives aux actes spoliateurs intervenus en France pendant l'occupation nazie suite notamment aux lois d'aryanisation. Cette ordonnance reprend le principe fixé, très tôt, par les ordonnances des 12 novembre 1943 et 9 août 1944 de la nullité des actes de spoliation accomplis directement par l'ennemi ou « sur son ordre ou sous son inspiration » au préjudice de de la population notamment d'origine juive et ce quelle que soit la nature des biens concernés, meubles, immeubles, droits ou intérêts ; l'acquéreur ou les acquéreurs successifs du bien spolié étant considéré comme possesseur de mauvaise foi au regard du propriétaire dépossédé.
1/ L'article un de l'ordonnance du 21 avril 1945 dispose en effet que « Les personnes physiques ou morales ou leurs ayants cause dont les biens, droits ou intérêts ont été l'objet, même avec leur concours matériel, d'actes de disposition accomplis en conséquence de mesure de séquestre, d'administration provisoire, de gestion, de liquidation, de confiscation ou de toutes autres mesures exorbitantes du droit commun en vigueur au 16 juin 1940 et accomplis, soit en vertu des prétendus lois, décrets et arrêtés, règlements ou décisions de l'autorité de fait se disant gouvernement de l'État français, soit par l'ennemi, sur son ordre ou sous son inspiration, pourront sur le fondement, tant de l'ordonnance du 12 novembre 1943 relative à la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son contrôle, que de l'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, en faire constater la nullité . L'article 11 de l'ordonnance rappelle en outre que le consentement de la victime de la spoliation ne saurait faire obstacle à la reconnaissance de la nullité de l'acte s'il a été extorqué ou contraint.
Cette ordonnance est toujours applicable à ce jour dès lors qu'elle prévoit que le requérant peut demander à être relevé de la forclusion s’il démontre qu'il était dans l'impossibilité d'agir dans le délai fixé au plus tard avant le 31 décembre 1951 compte tenu des prorogations successives. Cette ordonnance ne s'applique cependant qu’aux actes spoliateurs intervenus en France pendant l'Occupation et ne s’applique pas aux actes intervenus à l'étranger ou avant juin 1940.
Il est donc toujours possible aux familles spoliées d'agir en justice sur le fondement de ce texte pour tenter d’obtenir la restitution des biens, meubles ou immeubles, droits ou intérêts qui leur ont été retirés par la force pendant la période d'occupation française.
2/ La restitution des biens culturels spoliés durant la période nazie présentait cependant une difficulté particulière lorsque les œuvres confisquées avaient été intégrées aux collections publiques françaises et ce en raison du principe d'inaliénabilité des biens relevant du domaine public mobilier. C'est ainsi que le gouvernement français avait été contraint le 21 février 2022 de faire voter une loi pour permettre la sortie de quinze œuvres des collections publiques de musées nationaux (et d’un musée territorial) afin qu'elles soient restituées aux ayants droit des propriétaires dépossédés. A cette occasion, le Conseil d’Etat avait recommandé l’élaboration d’une loi-cadre organisant une procédure administrative de sortie des collections publiques en réparation des spoliations perpétrées dans le cadre des persécutions antisémites afin « d'éviter la multiplication de lois particulières et permettre d'accélérer les restitutions ».
C'est donc chose faite avec la loi du 22 juillet 2023 qui institue une dérogation au principe d'inaliénabilité des biens relevant du domaine public tel qu’inscrit à l'article L3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, permettant ainsi à celles-ci d'autoriser la sortie des biens avérés spoliés de leurs collections après avis favorable d'une commission attestant de l'existence d'une spoliation originelle. Il s’agit là d’un vrai changement de paradigme, témoin d’un changement de mentalité, dès lors que la loi permet désormais à la puissance publique de prendre l’initiative de la restitution alors que l’ordonnance du 21 avril 1945 repose sur la démarche de la victime ou de ses ayants-droits.
3/ La nouvelle loi complète par ailleurs le régime de restitution instauré par l'ordonnance du 21 avril 1945 et permet la restitution des biens culturels ayant fait l'objet d'une spoliation entre le 30 janvier 1933 (date de la prise de pouvoir d'Hitler) et le 8 mai 1945 (jour de la capitulation allemande) soit une période plus large que celle visée par l'ordonnance précitée qui ne concernait que les spoliations intervenues « postérieurement au 16 juin 1940 ». Le texte de loi s'étend également aux spoliations intervenues hors de France dès lors que les biens spoliés ont été incorporés dans les collections publiques françaises alors que l’ordonnance antérieure n’est applicable qu’aux spoliations intervenues sur le territoire français pendant la période d’occupation nazie.
La loi dispose également que la personne publique et le propriétaire ou ses ayants droit peuvent définir d'autres modalités de réparation que la restitution et décider, par exemple, de maintenir l'œuvre spoliée dans les collections publiques en contrepartie d'une transaction financière. Le texte prévoit enfin que la décision de sortie d’œuvres du domaine public par une personne publique ne peut intervenir qu’après avis d'une commission administrative spécialement chargée de la réparation des spoliations consécutives aux persécutions antisémites soit en l'espèce par la CIVS (commission pour l'indemnisation des victimes de spoliation) placée sous la responsabilité de la Première ministre. Cette commission, assistée du M2RS (commission de recherche et restitution des biens spoliés entre 1933 et 1945 créée au sein du ministère de la Culture) sera désormais chargée d'examiner l'ensemble des dossiers de restitution relevant de sa compétence ; un décret en Conseil d'état étant appelé à fixer les règles relatives à la compétence et l'organisation de la commission ainsi que les modalités suivant lesquelles une réparation financière pourrait être proposée aux victimes plutôt qu'une restitution physique.
4/ La France fait preuve par la promulgation de cette loi d'une grande résilience et d'une volonté claire d'accélérer la restitution des œuvres spoliées pendant la deuxième guerre mondiale dont un grand nombre circule encore sur le marché de l’art ou demeure entre les mains du MNR (musées nationaux de récupération) créé après la guerre et chargé alors du rapatriement des œuvres spoliés retrouvées en Allemagne ou dans les territoires occupés.
Cette loi, même si elle doit être saluée, ne permet cependant pas de tout résoudre notamment lorsque les œuvres spoliées se retrouvent entre les mains non pas de musées nationaux français mais de musées étrangers ou de collectionneurs privés, a fortiori lorsque ceux-ci demeurent à l'étranger car en dépit d'un certain nombre de déclarations publiques d'intention, certes louables mais sans effet contraignant (conférence de Washington du 3 décembre 1998, déclaration de Vilnius du 5 octobre 2000, déclaration de Terezin du 30 juin 2009), seuls l'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas et le Royaume-Uni se sont dotés de commissions nationales chargées d'étudier les demandes de restitution d'œuvres d'art spoliées sans pour autant nécessairement s'entourer d’un véritable corpus législatif.
L’Union européenne s’est montrée tout aussi timorée et n'a pas mis en place d'instruments spécifiques concernant les restitutions d'œuvres d'art consécutives aux spoliations antisémites nazies qui restent une compétence relevant des États membres et de leur droit interne même si le Parlement européen a adopté en 2019 une Résolution sur les demandes transfrontalières de restitution des œuvres d’art et des biens culturels volés au cours des pillages perpétrés en période de conflit armé et de guerre et a invité la commission européenne à s’en préoccuper.
Or on sait qu'une œuvre d'art est volatile et se transporte facilement d'un lieu à un autre et que la certification de l'origine d'une œuvre est un exercice qui commence seulement à être abordé sérieusement par les marchands d'art, les maisons de vente et les musées et bibliothèques. Souhaitons que la loi du 22 juillet 2023 bien que ne concernant que les biens culturels détenus par les musées nationaux français, permette une prise de conscience générale du monde de l’art et contribue à faciliter les restitutions en ce compris des œuvres d’art qui auraient été intégrées à des collections privées internationales »