Une entreprise, à laquelle une société a confié des travaux de construction, en sous-traite une partie à une autre entreprise, qui elle-même sous-traite la fourniture des menuiseries à une troisième entreprise. Le sous-traitant de premier rang délègue l’entreprise principale dans le paiement du sous-traitant de second rang, l’entreprise principale s’engageant irrévocablement en qualité de maître d'ouvrage à payer directement le second sous-traitant sur factures acceptées par le premier. Après la mise en liquidation judiciaire du sous-traitant de premier rang, celui de second rang réclame le paiement de ses travaux à l’entreprise principale. Cette dernière refuse car les factures en cause n’ont pas été validées par le sous-traitant de premier rang et elle a émis des réserves sur les menuiseries livrées. Le sous-traitant de second rang conteste : l’entreprise principale s’étant engagée en tant que maître de l’ouvrage, la délégation de paiement relève de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, de sorte que l’entreprise principale déléguée ne peut lui opposer aucune exception issue de ses rapports avec le sous-traitant de premier rang ou des rapports entre ce dernier et le sous-traitant de second rang.
La Cour de cassation rejette la contestation et la demande en paiement du sous-traitant de second rang.
Pour l'application des dispositions de la loi 75-1334 du 31 décembre 1975, le maître de l'ouvrage est celui qui conclut le contrat d'entreprise ou le marché public avec l'entrepreneur principal, y compris à l'égard des sous-traitants de cet entrepreneur, quel que soit leur rang. Dès lors, la convention par laquelle le sous-traitant de premier rang délègue au sous-traitant de second rang, non pas le maître de l'ouvrage, comme le prescrit l'article 14 de la loi précitée, mais l'entreprise principale, ne constitue pas la délégation de paiement au sens de ce texte.
La délégation de l'entreprise principale au paiement du sous-traitant est en conséquence soumise aux seules dispositions supplétives de l'article 1275 (désormais art. 1338) du Code civil, de sorte que les parties peuvent déroger à l'interdiction faite au délégué d'opposer au délégataire les exceptions tirées des rapports entre le délégant et le délégataire.
En l’espèce, le maître de l'ouvrage était la société qui avait confié les travaux de construction à l’entreprise principale et non cette dernière, peu important la dénomination retenue dans l'acte de délégation. Les conditions prévues par la convention de délégation pour le paiement du délégataire n'étaient pas réunies et le délégué ne s'était pas engagé à payer les factures qui lui seraient adressées directement par le délégataire.
A noter :
La loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance prévoit plusieurs mécanismes destinés à garantir au sous-traitant le paiement de ses travaux : notamment, obligation pour l’entrepreneur principal d’être cautionné par un établissement agréé ou de déléguer le maître de l’ouvrage au sous-traitant à concurrence du montant des prestations exécutées par celui-ci (art. 14) ; nullité des clauses et arrangements ayant pour effet de faire échec à cette protection (art. 15).
En cas de sous-traitances en cascade, si le sous-traitant est considéré comme l’entrepreneur principal au regard de ses propres sous-traitants (Loi de 1975 art. 2), le maître de l’ouvrage reste toujours le même (Cass. 3e civ. 15-1-2003 n° 01-02.967 FS-PB : RJDA 7/03 n° 718).
L’article 14 de la loi de 1975 ne s’applique qu’en présence d’une délégation consentie par le maître de l’ouvrage lui-même. En dehors de ce cas, comme en l’espèce, les parties peuvent déroger à l’interdiction faite au délégué d’opposer au délégataire les exceptions tirées des rapports entre le délégant et le délégataire et, notamment, prévoir que la créance du délégataire sera soumise à l’approbation du délégant. Leurs relations contractuelles ne sont pas soumises à l’article 15 précité de la loi de 1975.
La chambre commerciale de la Cour de cassation avait déjà admis, dans le cadre d’une relation contractuelle non soumise à la loi de 1975, que la délégation pouvait imposer l’accord du délégant pour le paiement des factures au délégataire (en l’espèce, un fournisseur) et que cet accord faisait la loi des parties (Cass. com. 23-6-2021 n° 19-22.972 F-D : BRDA 19/21 inf. 10). La troisième chambre civile se rallie à cette solution.
Documents et liens associés :
Cass. 3e civ. 23-11-2023 n° 22-17.027 FS-B, Sté Alf productions c/ Sté Spie Batignolles Grand-Ouest
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