Une société spécialisée dans la mise à la disposition du grand public de contenus numériques fait l'objet d'une plainte pour abus de confiance déposée par le gérant d'une société partenaire commerciale. Dans un article de presse intitulé « Accusation d’arnaques aux connexions », publié dans les versions papier et internet du journal, le gérant explique les agissements qui ont conduit à sa plainte : il indique s'être aperçu rapidement que tout l’argent qui lui était dû ne lui avait pas été reversé, estime son préjudice à plus de 500 000 € sur deux ans, et affirme ne pas être la seule victime « puisque pour certains c’étaient des millions d’euros ». La société visée engage alors contre le gérant une action en réparation de son préjudice résultant de la publicité donnée à une enquête pénale en cours, sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle (C. civ. art. 1382 devenu art. 1240).
La Cour de cassation rejette cette demande. La liberté d’expression est un droit dont l’exercice, sauf dénigrement de produits ou services, ne peut pas être contesté sur le fondement de l’ancien article 1382 du Code civil. En l'espèce, les imputations litigieuses, qui portaient sur des faits constitutifs d’infractions pénales, visaient uniquement la société, personne morale, à l’exclusion de ses produits ou services. Le passage incriminé de l'article constituait l'imputation de faits précis et déterminés de malversations portant atteinte à l'honneur et à la considération de la société concernée. Cette atteinte s’analysait donc en une diffamation dont la réparation ne peut être poursuivie que sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881.
A noter : La présente affaire est l'occasion de rappeler le champ d'application respectif de la diffamation et de la concurrence déloyale par dénigrement, laquelle relève de la responsabilité extracontractuelle de droit commun.
La diffamation dans la presse, qui est une infraction pénale, est constituée par toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur et à la considération d'une personne (Loi du 29-7-1881 sur la liberté de la presse art. 29). L'action en diffamation est possible lorsque celle-ci a visé une personne physique ou morale (Cass. crim. 12-10-1976 n° 75-90.239 : Bull. crim. n° 287).
Il n'y a pas diffamation lorsque les appréciations, même excessives, touchent uniquement des produits ou des services d'une entreprise (Cass. crim. 8-2-1994 n° 90-85.699 PF : RJDA 10/94 n° 1077 ; Cass. 2e civ. 5-7-2000 n° 98-14.255 FS-PB : RJDA 2/01 n° 239 ; Cass. crim. 10-9-2013 n° 11-86.311 FS-PB : RJDA 2/14 n° 195). Dans ce dernier cas, c'est une action fondée sur la responsabilité extracontractuelle de droit commun qui doit être engagée.
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Concurrence consommation n° 6583