Une décision récente de la Cour de cassation met un point final au feuilleton relatif à la mise en œuvre des clauses de non-concurrence au sein d'un groupe. C'est en effet la troisième fois que ce litige venait devant la chambre sociale.
Une jurisprudence critiquée
Dans le cadre d'un protocole d'accord, un salarié cesse ses relations contractuelles avec une entreprise afin d'être engagé dans unesociété du même groupe. Il y exercependant plus de 2 ans une activité puis la quitte après avoir conclu une rupture conventionnelle homologuée.
Or, son premier contrat de travail contenait une clause de non-concurrence lui interdisant pendant 2 ans d'exercer une activité dans une société concurrente, clause à laquelle son premier employeur n'avait pas renoncé. Le salarié demande donc en justice le paiement de l'indemnité de non-concurrence prévue par la clause en contrepartie de la limitation de sa liberté d'exercer une activité professionnelle.
Selon lui, l'application de la clause a été suspendue pendant la durée de sa relation contractuelle avec la deuxième entreprise, en l'absence de concurrence entre ses deux employeurs successifs. Le délai de 2 ans aurait donc commencé à courir à compter de la rupture de son contrat de travail le liant à son deuxième employeur.
La demande du salarié pouvait s'appuyer sur un précédent. La Cour de cassation a en effet jugé en 1997 que la clause de non-concurrence ne s'applique pas lorsqu'un salarié quitte une entreprise pour entrer dans une autre exerçant une activité similaire, dès lors que les deux sociétés appartiennent au même groupe économique et que le passage du salarié de l'une à l'autre est le résultat d'une entente entre lui et ses deux employeurs successifs. Toutefois, la clause reprend ses effets normaux dès la fin des relations contractuelles entre le salarié et le second employeur (Cass. soc. 3-6-1997 n° 94-44.848 P).
Saisie une première fois du présent litige en 2014, la Cour de cassation a donné raison au salarié en censurant la décision des juges du fond, qui l'avaient débouté de sa demande en paiement de la contrepartie financière de la clause dirigée contre la première société employeur (Cass. soc. 29-1-2014 n° 12-22.116 FS-PB).
L'affaire est revenue en 2016 devant la chambre sociale mais la décision des juges du fond a de nouveau été censurée pour des raisons de procédure (Cass. soc. 31-3-2016 n° 15-11.395 F-D).
L'arrêt de 2014, en admettant la suspension de la clause de non-concurrence dans une telle situation plutôt que sa caducité, a suscité la critique. La solution retenue aboutissait en effet à une application différée de la clause, au moment de la rupture du contrat de travail conclu avec le second employeur, ce qui présente plusieurs inconvénients. La renonciation à la clause par le premier employeur n'est plus possible, le contrat de travail ayant déjà été rompu. Le risque de concurrence est généralement bien moindre, voire inexistant. Enfin, si la seconde société a également conclu une clause de non-concurrence avec le salarié, celui-ci peut être amené à cumuler deux indemnités de non-concurrence et à subir deux restrictions à sa liberté de travailler (voir, notamment, Dr. soc. 2014. 174, obs. J. Mouly).
Un net infléchissement de la jurisprudence
L'affaire a été renvoyée devant une cour d'appel. Sa décision de rejet de la demande du salarié est approuvée par la Cour de cassation, dans une décision de principe qui atténue très nettement la portée de l'arrêt de 2014.
L'application de la clause de non-concurrence peut être écartée…
La Cour de cassation confirme, en premier lieu, qu'en cas de succession de contrats de travail conclus avec des sociétés exerçant des activités similaires mais appartenant au même groupe économique, la clause de non-concurrence ne s'applique pas durant la période au cours de laquelle le salarié a exercé son activité au sein de la deuxième entreprise. Elle relève deux élémentsconditionnant la mise à l'écart de la clause :
- l'activité des deux entreprises est certes similaire mais elles ne sont pas en situation de réelle concurrence puisqu'elles appartiennent au même groupe économique ;
- le passage du salarié de l'une à l'autre est le résultat d'une entente entre lui et ses deux employeurs.
Les termes retenus dans les précédents du 3 juin 1997 et du 29 janvier 2014 sont ainsi repris quasiment à l'identique.
A notre avis : L'inapplication de la clause nécessite, selon nous, la réunion de ces deuxéléments. En effet, la Cour de cassation a déjà jugé, à propos d'un salarié ayant rejoint un autre magasin appartenant au même réseau de distribution, que cette situation n'exclut pas en elle-même l'existence d'un état de concurrence entre les deux entreprises (Cass. soc. 16-5-2012 n° 11-10.712 FS-PB). Dans cette hypothèse, il n'y avait pas eu entente entre les deux employeurs successifs.
… sans que sa durée soit allongée ou reportée à la rupture du second contrat
La Cour de cassation précise ensuite que la clause reprend ses effets normaux à partir du moment où le contrat de travail avec le second employeur est rompu, sans que le délai soit allongé ou reporté. Elle écarte donc la suspension de la clause de non-concurrence pendant la période au cours de laquelle elle n'était pas applicable.
Dès lors que le salarié était, en l'espèce, resté plus de 2 ans au service de la seconde entreprise, il ne pouvait donc pas obtenir le versement de l'indemnité de non-concurrence en application d'une clause limitant pendant 2 ans sa liberté d'exercice d'une activité professionnelle.
A noter : Il résulte des termes de la décision du 12 septembre 2018 qu'il en aurait été autrement si la clause de non-concurrence avait prévu une durée d'application plus longue. Le salarié aurait alors été tenu de respecter son obligation de non-concurrence à l'égard du premier employeur pour la période d'application de la clause restant à courir à compter de la rupture de son second contrat, en contrepartie du versement de l'indemnité réduite, selon nous, au prorata de la période restante.
Pour en savoir plus sur la clause de non-concurrence : Voir Mémento Social n°s 69625 s.