1. Adoptée formellement le 12 juillet 2016 par le Conseil Ecofin, la directive établissant des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur, dite « directive Atad » (Anti Tax Avoidance Directive) a été publiée au JOUE le 19 juillet 2016.
La directive prévoit cinq mesures anti-évasion : une limitation des surcoûts d’emprunt, une exit tax sur les plus-values latentes d’actifs transférés, une clause anti-abus générale, des règles sur les sociétés étrangères contrôlées et une mesure de lutte contre les dispositifs hybrides.
A l’exception de la limitation des surcoûts d’emprunt et de l’exit tax, les Etats membres devront transposer ces mesures au plus tard le 31 décembre 2018, avec la référence à la directive, pour une application dès le 1er janvier 2019.
2. Trois mesures anti-évitement figurant dans cette directive visent les principales formes d’évasion fiscale pratiquées par les grandes multinationales et se fondent sur les normes mondiales élaborées l’année dernière par l’OCDE en ce qui concerne l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (Beps), les deux autres se rapportent au volet Beps de la proposition « Accis ».
Ces mesures constituent un socle minimum : elles n’interdisent pas l’application de dispositions nationales ou conventionnelles visant à préserver un niveau plus élevé de protection des bases d’imposition nationales (art. 3).
Nous nous intéressons ci-dessous aux règles visant les sociétés étrangères contrôlées.
Notons que le projet de directive présenté le 28 janvier 2016 (proposition COM/2016/26) comportait à l’origine six mesures visant à empêcher l’évasion fiscale (FR 6/16 [1] p. 3). L’une d’entre elles, la clause de « switch over », permettant le passage de l’exonération au crédit d’impôt pour éviter la double non-imposition de certains revenus provenant d’Etats tiers dans lesquels ils sont imposés à taux faible ou nul, n’a finalement pas été adoptée.
Champ d’application de la directive
3. La directive s’applique aux entreprises contribuables soumises à l’IS dans un ou plusieurs Etats membres, ainsi qu’aux établissements stables, situés dans un ou plusieurs Etats membres, d’entreprises contribuables de l’UE ou d’entités ayant leur résidence fiscale dans un pays tiers.
L’entreprise contribuable peut avoir sa résidence fiscale dans un Etat membre ou être constituée en vertu de la législation d’un Etat membre (considérant 4).
Les entités non soumises à l’IS, notamment les entités transparentes, ne sont pas concernées.
Règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées
4. Les règles d’imposition des sociétés étrangères contrôlées (SEC), prévues par les articles 7 et 8 de la directive, visent à lutter contre la délocalisation des bénéfices vers des pays au faible taux d’imposition où l’entreprise n’exerce aucune activité économique authentique. En pratique, ces règles ont pour effet de réattribuer les revenus d’une filiale étrangère contrôlée soumise à une faible imposition à sa société mère. Cette mesure correspond à l’action 3 du plan Beps.
5. La directive prévoit que l’Etat membre d’un contribuable peut considérer comme une société étrangère contrôlée :
– un établissement stable dont les bénéfices ne sont pas imposables ou sont exonérés d’impôts dans cet Etat membre ;
– une entité dont le contribuable, à lui seul ou avec ses entreprises associées, soit détient une participation directe ou indirecte de plus de 50 % des droits de vote, soit possède, directement ou indirectement, plus de 50% du capital, soit est en droit de recevoir plus de 50%des bénéfices de l’entité.
Dans ces deux cas, pour que la réaffectation des revenus de la SEC s’applique, l’impôt réel sur les sociétés que l’entité ou l’établissement stable paye sur ses bénéfices doit être inférieur à la différence entre l’impôt sur les sociétés qui aurait été supporté par l’entité ou l’établissement stable dans l’Etat membre du contribuable et l’impôt réel sur les sociétés que l’entité ou l’établissement stable paye sur ses bénéfices.
En pratique, la SEC doit être soumise à un taux d’imposition effectif inférieur à 50 % du taux d’imposition qui lui aurait été appliqué dans l’Etat du contribuable.
6. S’agissant des revenus des SEC à imposer entre les mains de la société mère, la directive offre un choix aux Etats membres : retenir certains revenus passifs de la SEC ou ne prendre en compte que les revenus provenant de montages non authentiques.
7. Quelle que soit l’option retenue par les Etats pour la prise en compte des revenus des SEC, les revenus sont retenus au prorata de la participation du contribuable dans l’entité et inclus dans la période d’imposition du contribuable au cours de laquelle l’exercice fiscal de l’entité prend fin (art. 8, 3 et 4).
Première option : revenus passifs
8. La liste (exhaustive) des revenus non distribués de l’entité ou de l’établissement stable susceptibles d’être pris en compte est fixée par la directive : revenus d’actifs financiers ou de crédit-bail, revenus de la propriété industrielle, dividendes et revenus provenant de la cession d’actions, revenus provenant d’activités d’assurance, d’activités bancaires ou d’autres activités financières et revenus provenant de certaines sociétés de facturation.
9. Les revenus à inclure dans la base d’imposition du contribuable sont calculés selon les règles du droit régissant l’impôt sur les sociétés de l’Etat membre de résidence fiscale ou de situation du contribuable.
Les pertes subies par l’entité ou l’établissement stable ne sont pas incluses dans la base d’imposition mais peuvent être reportées, conformément au droit national, et prises en considération au cours des périodes fiscales ultérieures.
10. La directive prévoit une clause de sauvegarde, obligatoire lorsque la SEC est située dans un autre Etat membre ou dans un Etat partie à l’EEE, facultative dans les autres cas : la règle de réaffectation des revenus ne s’applique pas lorsque la société étrangère contrôlée exerce une activité économique substantielle au moyen de personnel, d’équipements, de biens et de locaux, corroborée par des faits et des circonstances pertinents.
A noter que la directive prévoit deux autres clauses de sauvegarde facultatives :
– l’Etat membre peut choisir de ne pas considérer une entité ou un établissement stable comme une société étrangère contrôlée si un tiers ou une proportion moins élevée des revenus générés par l’entité ou l’établissement stable relève des catégories de revenus passifs visés ci-dessus ;
– l’Etat membre peut choisir de ne pas considérer les entreprises financières comme des sociétés étrangères contrôlées si un tiers ou une proportion moins élevée des revenus passifs de l’entité provient d’opérations effectuées avec le contribuable ou ses entreprises associées.
Deuxième option : revenus provenant de montages non authentiques
11. La deuxième option prévue par la directive autorise les Etats à prendre en compte les revenus non distribués de l’entité ou de l’établissement stable provenant de montages non authentiques mis en place essentiellement dans le but d’obtenir un avantage fiscal.
La directive précise qu’un montage, ou une série de montages, est considéré comme non authentique lorsque l’entité ou l’établissement stable ne posséderait pas les actifs qui sont la source de tout ou partie de ses revenus ni n’aurait pris les risques qui y sont associés si elle ou il n’était pas contrôlé(e) par une société où les fonctions importantes liées à ces actifs et risques sont assurées et jouent un rôle essentiel dans la création des revenus de la société contrôlée (art. 7, 2-b).
12. Les revenus à inclure dans la base d’imposition du contribuable sont limités aux montants générés par les actifs et les risques liés aux fonctions importantes assumées par la société exerçant le contrôle. L’affectation des revenus d’une société étrangère contrôlée est calculée selon le principe de pleine concurrence.
13. A des fins de simplification administrative, la directive autorise les Etats membres à exclure du champ des SEC les entités et établissements stables dont les bénéfices comptables ne sont pas supérieurs à 750 000 euros et dont les revenus non commerciaux ne sont pas supérieurs à 75 000 euros ou ceux dont les bénéfices comptables ne dépassent pas 10% des coûts de fonctionnement pendant la période d’imposition. Dans ce dernier cas, les coûts de fonctionnement ne peuvent pas inclure le coût des biens vendus en dehors du pays, dans lequel l’entité a sa résidence, ou dans lequel l’établissement stable est situé, à des fins fiscales, ni les paiements aux entreprises associées.
Prévention de la double imposition
14. La directive prévoit enfin des règles préventives de double imposition :
– en cas de distribution de bénéfices au contribuable : les montants des revenus précédemment inclus dans la base d’imposition du contribuable sont déduits de la base d’imposition lors du calcul du montant de l’impôt dû sur les bénéfices distribués ;
– en cas de cession de participation dans l’entité ou l’activité exercée par l’établissement stable : lorsque la part du produit afférent à cette cession a été incluse précédemment dans la base d’imposition du contribuable, ce montant est déduit de la base d’imposition lors du calcul du montant de l’impôt dû sur ce produit afin de garantir l’absence de double imposition.
En outre, l’Etat membre du contribuable doit autoriser ce dernier à déduire l’impôt payé par l’entité ou l’établissement stable de la charge fiscale qu’il supporte dans l’Etat de sa résidence fiscale ou de sa situation. La déduction est calculée conformément au droit national.
15. En l’absence de règle particulière, les Etats doivent transposer cette mesure au plus tard le 31 décembre 2018, pour une application dès le 1er janvier 2019.
Dominique GAILLARD