Le 15 janvier 2003, un père fait donation à ses trois enfants de la nue-propriété de titres dont il conserve l’usufruit. Deux jours plus tard, les titres sont cédés en pleine propriété à un tiers, pour un prix égal à la valeur retenue dans l’acte de donation.
Invoquant l’abus de droit, l’administration exige le paiement de l’impôt sur la plus-value comme si la donation n’avait pas eu lieu. A l’appui de sa position, elle fait valoir, outre le très bref délai entre la donation et la cession, l’absence de véritable intention libérale du donateur qu’elle déduit des clauses particulières de la donation. Elle relève à cet égard que l’acte de donation comporte, en plus d’une clause d’interdiction d’aliéner les droits donnés du vivant du donateur, une clause prévoyant, en cas de vente concomitante des droits démembrés, le remploi d’une partie du prix de vente dans l’acquisition d’autres titres eux-mêmes démembrés et l’attribution du surplus à l’usufruitier dans le cadre d’une convention de quasi-usufruit, le donateur étant dispensé de fournir une sûreté pour garantir la créance de restitution résultant de ce quasi-usufruit.
L’argumentation développée par le fisc convainc les premiers juges, qui estiment l’abus de droit établi. La cour administrative d’appel de Lyon considère au contraire que ni le délai très court qui s'est écoulé entre l'acte de donation et la cession des titres, ni les restrictions apportées à l'exercice du droit de propriété des donataires - résultant notamment de l'interdiction d'aliéner ou de nantir les titres donnés pendant la vie des donateurs - ni le remploi d’une partie du prix de vente des titres en l'acquisition d’autres titres au sein d’une société civile de gestion patrimoniale réservant au donateur des pouvoirs étendus de décision ne sont de nature à établir le caractère fictif de la donation (CAA Lyon 16-12-2014 no 13LY02119). La cour omet toutefois de reprendre dans ses considérants le moyen lié à la présence dans l’acte de donation de la clause de quasi-usufruit avec dispense de garantie de la créance de restitution.
Saisi à son tour, le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la cour pour insuffisance de motivation et règle l’affaire au fond. Il relève qu’aux termes des articles 587 et 601 du Code civil, une donation peut valablement contenir une clause de quasi-usufruit non assortie d’une caution : la dispense de garantie, expressément autorisée par la loi, ne décharge pas le quasi-usufruitier de son obligation de restitution en fin d’usufruit. Dès lors qu’il reste redevable, à l’égard des donataires nus-propriétaires, de cette obligation de restitution, le donateur devenu quasi-usufruitier doit être regardé comme s’étant effectivement et irrévocablement dessaisi des biens donnés. Par suite, son intention libérale ne saurait être remise en cause et la donation ne peut être considérée comme fictive.
En pratique : cet arrêt était très attendu par la pratique. On rappelle que dans une précédente affaire, le Conseil d’Etat avait jugé que la conclusion d’une convention de quasi-usufruit postérieurement à la cession des titres et au mépris de la clause de remploi figurant dans l’acte de donation initial avait permis au donateur d’appréhender le prix de cession, ce qui démontrait l’abus de droit (CE 14-10-2015 no 374440 : Sol. Not. 1/16 inf. 12). Dans cette affaire, le Conseil d’Etat n’avait pas entendu remettre en cause la technique même du quasi-usufruit, mais bien plutôt un mauvais usage de cette technique. Dès lors que le quasi-usufruit est bien prévu dans l’acte de donation initial et que les parties à la donation en respectent toutes les clauses, l’opération ne peut être remise en cause.
Sophie DIDIER
Pour en savoir plus sur l’intérêt des opérations de donation avant cession et les précautions à prendre : voir Mémento Patrimoine nos 3700 s.