Dans le respect des principes de la responsabilité civile, appliqués au monde du travail, un même préjudice ne peut pas être réparé deux fois. Pour autant, le préjudice doit être intégralement réparé. Au nom de ces principes, il est admis par la jurisprudence que deux préjudices distincts peuvent donner lieu à un cumul d’indemnisation.
En matière de harcèlement moral, la Cour de cassation a déterminé, au gré de ses décisions, les préjudices pour lesquels elle admet un cumul de réparations.
Ainsi, l’indemnisation du préjudice résultant d’un harcèlement moral est cumulable avec la réparation liée :
au manquement de l’employeur à son obligation de prévention du harcèlement (Cass. soc. 6-6-2012 n° 10-27.694 F-PB) ;
au manquement de l’employeur à son obligation générale de prévention des risques professionnels énoncée aux articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail (Cass. soc. 27-11-2019 n° 18-10.551 FP-PB) ;
à l’interdiction des discriminations (Cass. soc. 3-3-2015 n° 13-23.521 FS-PB) ;
à un licenciement sans cause réelle et sérieuse en lien avec un harcèlement (Cass. soc. 19-1-2012 n° 10-30.483 F-D).
A noter :
De manière similaire, la réparation du préjudice résultant d’un harcèlement sexuel est cumulable avec des dommages-intérêts réparant le manquement de l’employeur à son obligation de prévention du harcèlement (Cass. soc. 17-5-2017 n° 15-19.300 FS-PB) et à l’obligation générale de prévention des risques professionnels (Cass. soc. 8-7-2020 n° 18-24.320 FS-PB).
Cette fois, la Haute Juridiction était interrogée sur la possibilité de cumuler :
des dommages-intérêts pour des agissements de harcèlement moral ;
et la réparation du préjudice causé par la nullité du licenciement en lien avec ce harcèlement moral.
Un salarié harcelé est licencié
Moins de 4 ans après avoir été engagé en qualité de responsable de la logistique et du service qualité, un salarié est licencié par son employeur. Il estime avoir été victime de faits de harcèlement moral et saisit la juridiction prud’homale. Il réclame diverses sommes au titre de la rupture de son contrat de travail et des dommages-intérêts pour harcèlement moral.
Les juges du fond reconnaissent que l’employeur a fait subir au salarié des agissements répétés constitutifs d’un harcèlement moral et ayant porté atteinte à ses droits et à sa dignité, et valident l’existence d’un lien entre le harcèlement subi et le licenciement du salarié. La cour d’appel prononce donc la nullité du licenciement.
En revanche, elle déboute le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral, au motif qu'elle se confond avec celle réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement. Pour la cour, le salarié ne peut pas obtenir une indemnité pour harcèlement moral et une indemnité pour licenciement nul.
Quel est le cadre légal ?
Selon l’article L 1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral, qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel. Le salarié reconnu victime d’un tel harcèlement subit un préjudice qui peut être réparé par l’octroi de dommages-intérêts (par exemple : Cass. soc. 30-3-2011 n° 09-41.583 FS-PB).
Par ailleurs, l’article L 1152-3 du Code du travail prévoit notamment que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance de l’article L 1152-1, toute disposition ou tout acte contraire est nul. En conséquence, le licenciement prononcé à l'encontre d'un salarié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral est nul (Cass. soc. 29-6-2011 n° 09-69.444 FS-PB ; Cass. soc. 11-2-2015 n° 13-26.198 F-D). Il peut ouvrir droit à une indemnité à la charge de l’employeur qui ne peut pas être inférieure aux salaires des 6 derniers mois (C. trav. art. L 1235-3-1 ; L 1235-3 à l’époque des faits).
Ce sont ces deux types d’indemnisation que la cour d’appel a refusé de cumuler, jugeant que les préjudices se confondaient.
Le cumul des dommages est-il possible ?
Pour la Cour de cassation au contraire, l'octroi de dommages-intérêts pour licenciement nul en lien avec des faits de harcèlement moral ne fait pas obstacle à une demande distincte de dommages-intérêts pour harcèlement moral.
Elle censure donc la décision de la cour d’appel et renvoie l’affaire devant les juges du fond.
A noter :
La solution proposée par la Cour de cassation s’intègre pleinement dans la continuité de la jurisprudence antérieure. Et confirme une solution déjà énoncée dans le passé (Cass. soc. 2-2-2017 n° 15-26.892 F-D). La Haute Juridiction a toutefois souhaité lui donner un écho plus important puisque la décision est publiée au bulletin de ses chambres civiles.
Si l’affirmation de ce principe ne semble donc pas surprenante, on peut se poser la question : est-ce que le salarié doit prouver son préjudice, ou est-ce que celui-ci résulte nécessairement du harcèlement qu’il a subi ? On peut en effet imaginer que la jurisprudence soit amenée un jour à juger qu'un harcèlement moral avéré ouvre droit à réparation, comme elle l'a fait en matière de dépassement de la durée maximale hebdomadaire et quotidienne du travail, au visa de la directive 2003/88/CE et en considération de l'interprétation de la CJUE, déduisant l'existence d'un préjudice d'une atteinte à la sécurité et à la santé du salarié (Cass. soc. 26-1-2022 n° 20-21.636 FS-B ; Cass. soc. 11-5-2023 n° 21-22.281 FS-B).
Il nous semble par ailleurs que cette solution pourra être transposée aux situations de harcèlement sexuel.
Documents et liens associés
Cass. soc. 1-6-2023 n° 21-23.438 F-B, R. c/ Sté Seprodom Antilles
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