En application de l’article 7 de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juillet 2005 sur le télétravail, l’employeur prend en charge, dans tous les cas, les coûts directement engendrés par ce travail, en particulier ceux liés aux communications. De même, l’article 3.1.5 de l’ANI du 26 novembre 2020 relatif à la mise en œuvre réussie du télétravail, également applicable en cas de circonstances exceptionnelles ou cas de force majeure en application de l’article 7.4.1 du même accord, précise que le principe selon lequel les frais engagés par un salarié dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail doivent être supportés par l'employeur s'applique à l'ensemble des situations de travail. À ce titre, il appartient ainsi à l'entreprise de prendre en charge les dépenses qui sont engagées par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'entreprise, après validation de l'employeur. Le choix des modalités de prise en charge éventuelle des frais professionnels peut être, le cas échéant, un sujet de dialogue social au sein de l'entreprise.
En l’espèce, les salariés d’une société ont été placés en télétravail à compter du 15 mars 2020 en raison de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 avant l’ouverture, fin 2020, de négociations avec les organisations syndicales en vue de la signature d’un accord encadrant le télétravail. Ces négociations n’ayant pas abouti, une charte relative au télétravail a été établie unilatéralement par l’employeur. Celle-ci, applicable à compter du 1er janvier 2022, prévoit l’allocation d’une indemnité d’un montant de 2,50 € par jour télétravaillé plafonnée à 20 € par mois afin de compenser les frais exposés par les salariés en télétravail sans aucune rétroactivité.
Entre-temps, le comité social et économique (CSE) de la société et un syndicat ont saisi le tribunal judiciaire afin que celle-ci soit condamnée à régulariser les droits des salariés en télétravail contraint depuis le 17 mars 2020 en leur versant une indemnité de 2,50 € brute par jour de télétravail.
À l’appui de leur demande, ils font valoir que le principe de prise en charge des frais exposés par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’employeur s’impose à ce dernier, y compris lorsque le salarié est en situation de télétravail en raison de circonstances exceptionnelles comme la survenance de la crise sanitaire due à la Covid-19.
Pour sa défense, la société fait valoir que la question ne se pose que pour le passé, la demande portant pour l’avenir étant devenue sans objet puisque la charte relative au télétravail établie par la société et applicable depuis le 1er janvier 2022 prévoit justement l’octroi d’une indemnité de 2,50 € par jour de télétravail. Pour la période antérieure à la charte, elle considère qu’il n’existe aucune obligation de prise en charge par l’employeur des frais exposés par son salarié en télétravail.
Les frais professionnels liés au télétravail sont obligatoirement pris en charge par l’employeur…
La société argue en premier lieu que les frais professionnels liés au télétravail ne doivent pas obligatoirement être pris en charge, dans la mesure où tant le Code du travail que l’ANI du 26 novembre 2020 renvoient à la négociation collective sur ce point.
Le tribunal judiciaire ne partage pas cette analyse. Après avoir rappelé les dispositions des articles 3.1.5 et 7.4.1 de l’ANI de 2020, il juge qu’il n’est renvoyé à la négociation collective, le cas échéant, que pour les modalités de prise en charge et non sur le principe qui s’impose à l’employeur. Il ajoute que l’ANI de 2020 ne remet pas en cause l’ANI de 2005, qui obligeait déjà l’employeur à rembourser les frais professionnels liés au télétravail. Dans ces conditions, et contrairement à ce que soutient la société, la prise en charge des frais exposés dans le cadre du télétravail, y compris en cas de circonstances exceptionnelles comparables à la crise sanitaire liée à la Covid-19, est obligatoire pour l’employeur.
… et peuvent faire l’objet d’une indemnisation au réel ou forfaitaire
En deuxième lieu, la société soutient que ni l’indemnisation forfaitaire ni l’indemnisation au réel ne sont possibles en matière de télétravail. Pour elle, un remboursement forfaitaire ne pourrait pas être fixé unilatéralement par l’employeur puisqu’il doit être supérieur aux frais réellement engagés dont il ne peut pas avoir connaissance. Il devrait en outre nécessairement se fonder sur une clause contractuelle. Quant au remboursement au réel, il ne serait pas possible non plus dans la mesure où il existerait une incertitude sur l’existence et le montant des frais réellement engagés par les salariés.
Le tribunal judiciaire rejette également ces arguments. Pour lui, une fixation forfaitaire ne requiert ni clause contractuelle ni stipulation conventionnelle et peut être mise en place unilatéralement par l’employeur.
En outre, en matière de télétravail, l’Urssaf reconnaît à l’employeur la liberté d’indemniser forfaitairement ces frais à hauteur de 2,50 € par jour de télétravail. Ainsi, depuis le 18 décembre 2019, l’Acoss (devenue Urssaf Caisse nationale) a publié une note précisant que l’employeur peut procéder au remboursement des frais de télétravail sur la base de 10 € par mois pour un jour télétravaillé par semaine et 20 € par mois pour 2 jours télétravaillés par semaine. Le BOSS a repris cette règle depuis le 1er avril 2021, en donnant une réelle liberté discrétionnaire à l’employeur entre le remboursement au réel ou forfaitaire.
Par conséquent, pour les juges du fond, l’indemnisation forfaitaire du télétravail exceptionnel depuis le début de la crise sanitaire, en mars 2020, est tout à fait ouverte à la société.
Enfin, le tribunal n’accueille pas non plus l’argument relatif à l’impossibilité de remboursement au réel, lequel conduit à faire peser sur les salariés une présomption de fraude, alors même que les dispositions du BOSS édictent au contraire une présomption selon laquelle les frais dont le montant est fixé forfaitairement sont réputés utilisés conformément à leur objet.
A noter :
On relèvera que, depuis le 1er janvier 2023, les limites d’exonération des indemnités forfaitaires de télétravail ont été revalorisées. Ainsi, dans le cas où les frais sont couverts par le versement d'une allocation forfaitaire globale par l'employeur, celle-ci est réputée utilisée conformément à son objet et exonérée de cotisations et contributions sociales dans la limite globale de 10,40 € par mois pour un salarié effectuant une journée de télétravail par semaine et de 20,80 € par mois pour 2 jours de télétravail par semaine (BOSS-FP-1810). En cas d'allocation fixée par jour, cette allocation forfaitaire bénéficie du même régime dès lors que son montant journalier n'excède pas 2,60 €, dans la limite de 57,20 € par mois (BOSS-FP-1810).
L’indemnisation s’impose si le télétravailleur expose des frais pour le compte de son employeur
La société fait valoir en dernier lieu que seul un surplus de dépense subie par le salarié du fait de son activité en télétravail peut donner lieu à la prise en charge au titre des frais professionnels.
Cet argument ne convainc pas davantage le tribunal, qui estime que la question n’est pas de savoir si la crise sanitaire a généré pour les salariés des frais en plus de leurs dépenses quotidiennes, mais s’ils ont exposé des frais pour le compte de leur employeur parce que le télétravail leur a imposé une sujétion nouvelle.
En effet, le seul principe dégagé par la Cour de cassation est le fait que les frais exposés par un salarié pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’employeur doivent lui être remboursés sans qu’ils ne puissent être imputés sur la rémunération (Cass. soc. 25-3-2010 n° 08-43.156 F-P ; Cass. soc. 20-6-2013 n° 11-23.071 FS-PB).
Il est constant que pendant toute la crise sanitaire les salariés ont occupé leur domicile à des fins professionnelles, dans l’intérêt de leur employeur, en ce compris toutes les dépenses annexes telles que le loyer, l’assurance, les impôts, l’électricité et le gaz, internet, etc.
Dans ces conditions, le tribunal judiciaire ne peut que faire droit à la demande du CSE et du syndicat et condamner la société à prendre en charge les frais professionnels exposés par les salariés en télétravail contraint depuis le 17 mars 2020 en procédant au versement d’une indemnité de 2,50 € brute par jour de télétravail, et ce jusqu'au 31 décembre 2021, date d'application de la charte portant sur la mise en place et les mesures d'accompagnement du télétravail.
En l’espèce, le tribunal a retenu le montant de 2,50 € par jour télétravaillé dans la mesure où il correspond au plafond de prise en charge exonérée de cotisations sociales et qu’il s’agit du seul référentiel que le juge peut imposer en l’absence de fixation par l’employeur, ce d’autant plus que c’est ce même montant que la société a unilatéralement fixé à compter du 1er janvier 2022.
A notre avis :
Pour le tribunal judiciaire, il ne fait aucun doute que l’obligation de prise en charge des frais professionnels qui est prévue sans restriction par la jurisprudence de la Cour de cassation couvre les télétravailleurs. Cette décision, qui n’est pas surprenante eu égard à la généralité du principe énoncé par la Haute Juridiction, devrait inciter les employeurs qui ne le font pas déjà à indemniser leurs salariés en télétravail pour les frais qu’ils exposent à ce titre.
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