La chambre sociale de la Cour de cassation se prononce sur la réparation des dommages subis par un salarié en raison d’agissements discriminatoires commis par des tiers à l’entreprise. Adoptant une position similaire à celle déjà retenue pour les situations de harcèlement moral, elle fait peser la responsabilité de ces agissements sur l’employeur en raison de la violation de son obligation de sécurité.
Une salariée victime des agissements sexistes de bénévoles d’un club de sport
En l’espèce, une femme, employée par contrat d’aide à l’emploi en qualité d’agent polyvalent par une association (club de tennis), a été victime d’insultes à connotation sexiste (« t’en as un sac à foutre ») et de jets de détritus (salade, frites, oeufs frais) par des bénévoles à l’occasion d’une soirée organisée par l’employeur dans les cuisines du restaurant du club, sans aucune réaction de la part de son supérieur hiérarchique, également son tuteur, présent sur place. Après avoir dénoncé les faits dans un courrier adressé à son employeur, la salariée a saisi le juge d’une demande de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices moral et financier pour discrimination et violation par l’employeur de son obligation de sécurité.
La cour d’appel de Limoges ne suit pas le raisonnement de la salariée et la déboute de sa demande. Si les juges du fond reconnaissent l’existence de la discrimination, ils refusent en revanche d’en faire peser la responsabilité sur l’employeur.
Dans leur argumentation, ils retiennent ainsi que les faits dénoncés ont été commis par des bénévoles de l’association qui apportaient leur aide en cuisine à l’occasion de la soirée mais qui ne se trouvaient pas sous la subordination hiérarchique de l’employeur. Selon les juges, la responsabilité de celui-ci ne pouvait donc pas être engagée à raison de faits fautifs commis envers sa salariée par des personnes avec lesquelles il n’était lié par aucun lien de préposition. Ils relèvent en outre que l'employeur n’est pas demeuré sans réaction à la suite de cet incident puisqu’il a fait procéder à une enquête interne tout en invitant son personnel à prendre toutes les précautions nécessaires dans leurs relations avec la victime.
Autrement dit, l’employeur (ou l’un de ses subordonnés) n’étant pas l’auteur direct des actes reprochés, il ne pouvait, selon les juges du fond, être civilement condamné pour discrimination envers sa salariée.
L’employeur est responsable de la discrimination au nom de son obligation de sécurité
Ce n’est pas du tout l’avis de la chambre sociale de la Cour de cassation, qui retient la responsabilité de l’employeur dans cette affaire.
À l’appui de sa décision, elle pose le principe selon lequel l’employeur, tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, notamment en cas de discrimination, doit répondre des agissements des personnes qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés.
La Haute Juridiction casse par conséquent l’arrêt de la cour d’appel de Limoges pour ne pas avoir tiré les conséquences légales de ses constatations. Elle renvoie les parties devant la cour d’appel de Bourges.
A noter : Dans cette affaire, nous constatons une forte résistance des juges du fond. En effet, la cour d’appel de Limoges statuait déjà sur renvoi après cassation d’un premier arrêt rendu par la cour d’appel de Poitiers. À l’époque, les juges du fond avaient purement écarté l’existence de la discrimination alors même qu’ils avaient constaté que la salariée avait été victime de quolibets, de moqueries douteuses, d’insultes à caractère sexuel et de jets de divers détritus (Cass. soc. 20-5-2015 n° 14-13.357 F-D). La cour d’appel de Bourges, devant laquelle l’affaire est renvoyée, devrait sans doute suivre, cette fois-ci, la position du juge suprême et faire droit à la demande de réparation formée par la victime.
En pratique, il importe donc peu qu’il n’existe pas de relation juridique, tel un lien de subordination, entre les auteurs de la discrimination (ici des bénévoles de l’association) et la victime (ici une salariée du club). En l’espèce, l’autorité de fait exercée par les premiers sur cette dernière suffit à engager la responsabilité de l’employeur au titre de la violation de son obligation de sécurité.
Une position de la Cour de cassation similaire en matière de harcèlement moral
La Cour de cassation adopte, dans cette affaire, le même raisonnement juridique que celui retenu depuis plusieurs années en matière de harcèlement moral.
En effet, elle a déjà jugé qu’un syndic de copropriétaires pouvait être tenu pour responsable, au titre de son obligation de sécurité, des agissements de harcèlement moral commis par le président du conseil syndical à l’égard d’un concierge sur lequel il exerçait une autorité de fait (Cass. soc. 19-10-2011 n° 09-68.272 FS-PB).
Il en va de même de la responsabilité de l’employeur en cas de harcèlement moral subi par son salarié, responsable du restaurant, par un prestataire extérieur chargé, en vertu d’un contrat de licence, de mettre en place de nouveaux outils de gestion et de former l’intéressé et son équipe (Cass. soc. 1-3-2011 n° 09-69.616 F-PB).
Le champ de l’obligation de sécurité est très large
Cette affaire permet de se rendre compte que le champ d’application de l’obligation de sécurité prévue à l’article L 4121-1 du Code du travail est bien plus étendu que celui de la responsabilité du commettant vis-à-vis de ses préposés telle qu’elle résulte de l’article 1242 (ancien article 1384) du Code civil. L’employeur doit donc être vigilant dans la mise en oeuvre de son obligation de sécurité, aussi bien en cas de discrimination que de harcèlement. D’autant que les tiers susceptibles d’intervenir dans une entreprise et d’exercer une autorité de fait sur ses salariés sont très nombreux. Citons, par exemple, un fournisseur, un prestataire de service extérieur, un client ou encore un membre de la famille de l’employeur ou de l’un de ses salariés.
Guilhem POSSAMAI
Pour en savoir sur l'interdiction des discriminations : voir Mémento Social nos 32050 s.