Que se passe-t-il lorsqu'en raison de circonstances particulières, étrangères à un comportement fautif, un salarié perd un élément nécessaire à l'exécution du contrat de travail ?
Deux arrêts de la Cour de cassation du 28 novembre 2018 font le point sur de nombreuses questions soulevées dans cette situation.
Le salaire n'est pas dû
Dans la première affaire, un salarié, engagé comme distributeur de journaux, devait, en vertu d'une clause de son contrat de travail, disposer d'un véhicule personnel pour l'exécution de ses fonctions. A la suite d'une saisie-attribution, il perd celui-ci et se voit temporairement confier d'autres missions : la préparation de documents publicitaires. Son employeur lui accorde ensuite un délai de 3 mois et demi pour acquérir un nouveau véhicule et suspend dans cette attente son contrat de travail. Le délai expiré, il licencie l'intéressé.
La cour d'appel fait droit à la demande de rappel de salaire du salarié pour la période précédant le licenciement.Pour les juges du fond, il appartient en effet à l'employeur soit de lui fournir un autre travail, soit de le licencier sans attendre afin de lui permettre de bénéficier de l'assurance chômage.
La Haute Juridiction censure ce point, au motif que, lorsque le salarié est dans l'impossibilité de fournir la prestation inhérente à son contrat de travail, l'employeur n'est tenu de le rémunérer que si une disposition légale, conventionnelle ou contractuelle, l'y oblige (voir déjà en ce sens Cass. soc. 10-6-2008 n° 06-46.000 FS-PBR).
Le licenciement n'a pas à être précédé d'une recherche de reclassement
Dans la première affaire, les juges d'appel ont validé le licenciement après avoir relevé que le contrat de travail de l'intéressé lui imposait de disposer d'un véhicule et que le manquement à cette obligation rendait impossible l'exécution de son contrat de travail. Cette décision est approuvée par la Cour de cassation.
Un parallèle peut être fait avec le licenciement motivé par la suspension du permis de conduire du salarié. Une telle suspension, qui relève de la vie privée du salarié, peut justifier le licenciement si elle empêche l'intéressé d'exercer les fonctions pour lesquelles il a été engagé (Cass. soc. 15-1-2014 n° 12-22.117 F-D). En l'espèce, la possession d'un véhicule était indispensable à l'exécution du contrat de travail et il ne pouvait pas être raisonnablement exigé de l'employeur qu'il fournisse un véhicule au salarié pour lui permettre de remplir sa mission.
Dans la seconde affaire, un salarié occupant les fonctions de technicien révision moteurs en zone réservée d'un aéroport est licencié car il s'est vu retirer par arrêté préfectoral son autorisation d'accès à cette zone sécurisée. Les juges d'appel retiennent que le retrait d'une habilitation constitue une difficulté étrangère à la volonté de l'employeur qui ne l'a pas provoquée et à laquelle il doit se soumettre. Ils considèrent toutefois que l'employeur aurait dû rechercher un autre poste compatible avec les capacités de l'intéressé avant de le licencier, l'absence d'une telle recherche privant le licenciement de cause réelle et sérieuse.
À tort, pour la Cour de cassation : le retrait du titre d'accès à une zone sécurisée rendait impossible l'exécution du contrat de travail par le salarié et, dans de telles circonstances, aucune obligation légale ou conventionnelle de reclassement ne pèse sur l'employeur et la mesure de retrait constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement. La Cour de cassation confirme ainsi sa jurisprudence (Cass. soc. 19-10-2016 n° 15-23.854 F-D ; Cass soc. 25-9-2013 n° 12-14.157 F-D).
Pas d'indemnité compensatrice de préavis
Dans la seconde affaire, le salarié réclamait en outre le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis. Or, l'exécution du préavis était impossible en raison du retrait de l'habilitation. La Cour de cassation censure l'arrêt d'appel ayant fait droit à cette demande.
Ce faisant, la Cour confirme la position adoptée récemment dans une affaire où l'exécution du préavis était rendue impossible en raison de la suspension du permis de conduire du salarié chauffeur (Cass. soc. 28-2-2018 n° 17-11.334 FS-D).
Pour en savoir plus sur les motifs de licenciement : voir Mémento Social n° 47100 s.