Un homme agit en constatation de sa possession d’état de paternité à l’égard d’une jeune fille mineure placée dans un établissement social. Le tribunal relève que les faits caractérisant la possession d'état sont censés « révéler » le lien de filiation (C. civ. 311-1, al. 1). Dès lors, interroge-t-il, une filiation par possession d’état peut-elle être judiciairement établie à l'égard d'un homme qui n’est pas le père biologique de l'enfant ?
La Cour de cassation répond par l’affirmative. La possession d’état constitue un mode d’établissement de la filiation. Fondée sur l’apparence d’une réalité biologique, elle correspond à une réalité affective, matérielle et sociale. La circonstance que le demandeur à l’action ne soit pas le père biologique de l’enfant ne représente pas, en soi, un obstacle au succès de sa prétention. Il appartient au juge, en considération des éléments d’espèce, d’apprécier si les conditions de la possession d’état sont remplies.
Au préalable, les Hauts Magistrats rappellent que :
la filiation est légalement établie par l’effet de la loi, la reconnaissance volontaire, la possession d’état constatée par un acte de notoriété, la reconnaissance conjointe ou encore par jugement (C. civ. art. 310-1) ;
la possession d’état s’établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir (C. civ. art. 311-1, al. 1) ;
les principaux de ces faits sont que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu’elle-même les a traités comme son ou ses parents ; ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ; elle est considérée comme telle par l’autorité publique ; elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue (C. civ. art. 311-1, al. 2) ;
la possession d’état doit être continue, paisible, publique et non équivoque (C. civ. art. 311-2) ;
elle peut être constatée à la demande de toute personne qui y a intérêt (C. civ. art. 330).
A noter :
1. Traditionnellement, la possession d’état était un moyen de prouver une filiation biologique, souvent la paternité d’hommes décédés sans avoir pu ou voulu reconnaitre leurs enfants. Peu à peu, spécialement avec la consécration en 2005 de l’action pour la constater, elle est devenue un mode d’établissement de la filiation à part entière, ce que rappelle la Cour de cassation.
Celle-ci confirme aussi et surtout que l’action ne vise pas à établir un lien biologique. La possession d’état ne renvoie qu’à l’« apparence » d’une telle réalité tandis qu’elle consacre la réalité « affective, matérielle et sociale ». Dès lors, la certitude d’aller contre la réalité biologique n’est pas, en soi, un obstacle à l’établissement de la filiation.
Conformément à cette acceptation de l’action, il a déjà été jugé que :
- le fait que le demandeur a été débouté d'une action en recherche de paternité dans une précédente procédure n'interdit pas la constatation de sa possession d'état (Cass. 1e civ. 27-6-2000 n° 98-23.065 : RTD civ. 2001 p. 121 note J. Hauser) ;
- en matière de constatation de la possession d’état, il n’y a pas lieu de prescrire une expertise biologique (Cass. 1e civ. 16-6-2011 n° 08-20.475 FS-PBRI : BPAT 4/11 inf. 234).
La Cour de cassation, dans le présent avis, va jusqu’au bout de la logique : la certitude qu’il n’y a pas de lien biologique entre l’enfant et le parent revendiqué n’interdit pas, en soi, l’établissement de la filiation dès lors que la possession d’état alléguée remplit toutes les conditions requises.
2. Le rappel de ce que la possession d’état est fondée sur l’apparence d’une réalité biologique peut aussi être lu comme une impossibilité de recourir à cette notion pour établir une filiation de pure intention.
Seulement fondée sur une réalité affective et sociale, la possession d’état pourrait justifier un lien de filiation à l’égard de la compagne/compagnon du même sexe que le parent biologique. Les requérants pourraient ainsi échapper aux conséquences d’un précédent avis de la Cour de cassation qui a refusé que la compagne d’une mère puisse établir sa filiation maternelle par possession d’état, la préexistence de celle de la mère biologique interdisant l’inscription d’une filiation concurrente (Cass. 1e civ. avis 7-3-2018 n° 17-70.039 : SNH 10/18 inf. 6).
Les filiations décorrélées de toute apparence biologique restent limitées aux cas de reconnaissances conjointes dans le cadre d’une PMA par un couple de femmes et d’adoption dans un couple homosexuel.
3. Cette solution est d’importance pour les notaires qui sont seuls compétents pour établir les actes de notoriété constatant la possession d’état en matière de filiation (C. civ. art. 317).
L’avis, rendu dans le cadre d’une action judiciaire, est transposable : le praticien est donc autorisé à dresser un acte de notoriété même s’il ne fait aucun doute que le père désigné n’est pas le père biologique. Le notaire devra veiller aux conditions rappelées par la Cour de cassation : vérifier qu’il n’y a pas de filiation concurrente déjà établie et qualifier avec rigueur la possession d’état.
Quelle sera la valeur d’un tel acte de notoriété ? Le principe est qu’il fait foi jusqu’à preuve contraire (C. civ. art. 317). Jusqu’ici, il est admis que la preuve peut porter soit sur l’absence ou le vice de la possession d’état, soit sur la filiation biologique contredisant l’acte. Une demande d’expertise biologique est d’ailleurs recevable dans ce cadre (pour une illustration, CA Caen 9-1-2014 no 09/01687). Cette dernière preuve est-elle encore recevable dès lors que la non-conformité à la réalité biologique n’interdit pas de constater la possession d’état ? Un éclaircissement de la Cour de cassation sera bienvenu.
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