De quels outils disposent les cocontractants pour faire face aux conséquences du Covid-19 ?
Cécile Biguenet-Maurel : Plusieurs ordonnances récentes ont mis en place des mécanismes de report des délais qui arrivent à échéance pendant la période d’état d’urgence sanitaire (pour une étude complète de ces textes, voir le BRDA 8/20 entièrement consacré au Covid-19). Mais ces textes ne couvrent pas toutes les hypothèses. Si un délai quelconque n’entre dans aucun des champs d’application des ordonnances rendues en application de la loi du 23 mars 2020, celui qui n’a pas respecté le délai auquel il était soumis n’aura d’autre choix que d’invoquer le droit commun. On pense par exemple aux délais conventionnellement fixés (qui sont exclus de l’application de l’article 2 de l’ordonnance 2020-306 car non prescrits par la loi ou le règlement) et qui n’entreraient pas dans la catégorie des délais dont les effets sont paralysés par l’article 4 de l’ordonnance 2020-306 (clauses pénales, astreintes…) ou par l’article 5 de la même ordonnance (délai de résiliation ou de dénonciation d’un contrat) ou encore par une ordonnance spécifique distincte.
Pour ces délais qui n’entrent dans aucune des catégories protégées par un régime de report de plein droit, les dispositions de droit commun restent bien évidemment applicables et il peut s’avérer intéressant de les invoquer.
Beaucoup d'auteurs évoquent à ce sujet la force majeure ...
C. B-M. : En effet. Si le délai qui n’a pas été respecté n’entre dans aucune des catégories visées par des dispositions spéciales ou n’en remplit pas les conditions d’application, celui qui n’a pas été en mesure d'exécuter son obligation pourra toujours tenter de justifier cette inexécution par l’existence d’un cas de force majeure visé aux articles 1218 et 1231-1 du Code civil.
Aux termes de l'articler 1218, « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.
Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. »
Quant à l'article 1231-1, il précise : « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure. »
Ces dispositions trouvent évidemment à s’appliquer prioritairement lorsque l’une des obligations principales du contrat n’a pas été respectée dans le délai prescrit.
En effet, lorsque l’exécution du contrat a été empêchée par la force majeure, le cocontractant défaillant est exonéré de sa responsabilité contractuelle (C. civ. art. 1231-1) et le contrat peut être suspendu, voire résolu (C. civ. art. 1218). C’est donc là aussi le moyen d’échapper à l’expiration d’un délai, voire d’obtenir la résolution du contrat dans son entier, si l’empêchement est définitif.
Le Covid-19 pourrait donc constituer un cas de force majeure ?
C. B-M. : Le Covid-19 et les mesures sanitaires qu’il induit constituent incontestablement des événements qui échappent au contrôle des parties. La condition d’extériorité est donc remplie.
Selon la date du contrat, il sera également assez facilement admis que cette crise ne pouvait être raisonnablement prévue. La condition d’imprévisibilité ne posera donc sans doute guère de difficulté, sauf à avoir souscrit une obligation après l'apparition de la pandémie.
En revanche, la question de savoir si l’inexécution de l’obligation par le débiteur était inéluctable, à savoir si la condition d’irrésistibilité est remplie, ne revêt aucun caractère automatique.
La jurisprudence est d’ailleurs relativement stricte dans l’appréciation de la force majeure. Par exemple, une cour d'appel ne saurait retenir qu'un contrat d'entretien est devenu caduc après la fermeture du site d'exploitation pour lequel il a été conclu, sans rechercher si cette fermeture est imputable à un événement de force majeure, car seule la force majeure permet d’écarter le délai conventionnel (Cass. com. 3-3-2015 n° 13-22.573 : RJDA 6/15 n° 407).
La seule fermeture d’un site ne rend donc pas sans objet la poursuite d’un contrat. Et il convient d’apprécier si les circonstances dans lesquelles la fermeture est intervenue ont empêché l'entreprise de respecter le délai de préavis convenu. Pour qu'il en soit ainsi, la fermeture doit présenter les caractéristiques de la force majeure et donc être imprévisible et irrésistible (Cass. 1e civ. 30-10-2008 n° 07-17.134 : RJDA 8-9/09 n° 699 ; Cass. com. 8-3-2011 n° 10-12.807 : RJDA 4/12 n° 398 ; Cass. 3e civ. 1-6-2011 n° 09-70.502 : Bull. civ. III n° 89).
A titre d’exemple, la force majeure a été écartée pour justifier la rupture de contrats de travail sans indemnité en cas d'incendie ayant détruit les ateliers et les stocks d'une entreprise appartenant à un groupe car il n'était pas établi que la reprise de l'exploitation, après reconstruction, était impossible (Cass. soc. 7-12-2005 n° 04-42.907 : RJDA 2/06 n° 201). Jugé de même en cas de destruction partielle d'un village-hôtel occasionnée par le passage d'un cyclone n'ayant pas rendu impossible la reprise de l'exploitation de l'hôtel après remise en état et donc la poursuite du contrat de travail des salariés (Cass. soc. 12-2-2003 n° 01-40.916, 01-40.923 : RJDA 5/03 n° 469). Ne constitue pas nécessairement non plus un événement de force majeure la maladie ou le décès du chef d'entreprise (Cass. soc. 10-2-1982 n° 80-40.044 : Bull. civ. V n° 78 ; Cass. soc. 29-10-1996 n° 93-43.634 : RJDA 5/97 n° 613 ; CA Paris 29-2-1984 : BRDA 9/84 p. 15).
Le Covid-19 ne saurait donc suffire à lui seul à justifier l’inexécution d’un contrat. Encore faut-il prouver que, dans les faits, les mesures sanitaires ont empêché le débiteur de l’obligation de la réaliser, ce qui ne sera pas nécessairement le cas de celles qui peuvent être effectuées à distance, sans risque sanitaire.
Même celui qui aurait contracté le coronavirus ne pourrait invoquer la force majeure sans prouver par ailleurs que celle-ci l’a empêché d’exécuter son obligation de respecter un délai. En effet, la survenance d’une grave maladie n’est pas en soi un cas de force majeure (Cass. 3eciv. 22-1-2014 n° 12-28.246 F-PB : Bull. civ. III n° 6). Elle ne l’est que si elle présente un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible, c’est-à-dire si elle rend impossible l’exécution (Cass. ass. plén. 14-4-2006 n° 04-18.902 P : RJDA 7/06 n° 753).
C’est au cocontractant défaillant qu’il incombe de prouver que l’événement invoqué répond à ces caractéristiques (Cass. com. 17-3-1998 no 95-21.547 D : RJDA 7/98 no 753). C’est donc une appréciation au cas par cas qui sera faite par les tribunaux pour savoir si, au cas d’espèce soumis à son appréciation, l’état d’urgence sanitaire caractérise l’événement de force majeure à l’origine de l’irrespect du délai. Dès lors, il est possible qu’une société qui a poursuivi son activité en télétravail, par exemple, ait du mal à justifier l’irrespect d’un délai conventionnel ou d’une obligation quelconque, dès lors que les moyens techniques (courrier recommandé, par exemple) lui permettaient de s’y conformer.
La force majeure est-elle susceptible d'être invoquée dans tous les contrats ?
C. B-M. : Non : elle peut avoir été écartée ou aménagée par les parties. C'est la raison pour laquelle il convient avant tout de vérifier que le contrat ne contient pas de dispositions dérogatoires.
Les dispositions relatives à l'imprévision fournissent-elles également une solution dans le contexte actuel ?
C. B-M. : L’article 1195 du Code civil prévoit la possibilité d'imposer à la partie adverse l'adaptation du contrat en cas de changement imprévisible de circonstances.
Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe.
Cet article est applicable aux contrats conclus depuis le 1eroctobre 2016.
Rappelons que l'article 1195 n'est pas applicable aux obligations qui résultent d'opérations sur les titres et les contrats financiers mentionnés aux I à III de l'article L 211-1 du Code monétaire et financier (C. mon. fin. art L 211-40-1 issu de la loi 2018-287 du 20-4-2018 ; Loi précitée art. 16, I-al 1).
Une partie peut donc demander une renégociation du contrat à son cocontractant si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat lui rend l'exécution excessivement onéreuse et si elle n'a pas accepté dans le contrat d'en assumer le risque (C. civ. art. 1195, al. 1).
La force majeure et l'imprévision ont en commun l'imprévisibilité de la survenance d'un événement postérieur au contrat, mais elles se distinguent en ce que la force majeure rend impossible l'exécution du contrat tandis que l'imprévision la rend excessivement onéreuse (Rapp. Sén. n° 22 relatif à la loi 2018-287 du 20-4-2018).
Là encore, plusieurs conditions sont nécessaires pour pouvoir bénéficier de l’article 1195 du Code civil. La condition d’imprévisibilité ne fait aucun doute, sauf à ce que le contrat ait été conclu très récemment.
En revanche, il faut que le changement de circonstances rende l’exécution excessivement onéreuse. Tel n’est pas nécessairement le cas, dès lors que le contrat peut être exécuté sans un surcoût disproportionné. Car le texte exige une exécution devenue « excessivement onéreuse». Il a, par exemple, été jugé qu’un fournisseur ne rapportait pas la preuve de l'augmentation du coût de l'exécution de ses obligations au titre du contrat, ni d'une situation qui aurait altéré fondamentalement l'équilibre des prestations, dès lors qu'il invoquait une augmentation du prix des matières premières de 4 % à 16 % et qu'il évoquait la nécessité corrélative d'augmenter le prix des marchandises facturées à son cocontractant en raison de la diminution de 58 % de sa marge brute (Cass. com. 17-2-2015 n° 12-29.550, 13-18.956, 13-20.230 : RDC 2015 p. 458 obs. Laithier).
Enfin, en pratique, l’imprévision nécessite la mise en œuvre d’une procédure de révision, d’abord amiable. Si les parties n'arrivent pas à renégocier le contrat, elles peuvent d'un commun accord décider de le résoudre à la date ou aux conditions qu'elles déterminent (C. civ. art. 1195, al. 2) ou demander au juge de réviser le contrat ou d'y mettre fin (C. civ. art. 1195, al. 2). Mais il faut savoir que le demandeur à la révision doit continuer à exécuter ses obligations jusqu'à l'expiration de la négociation qu'il a provoquée (C. civ. art. 1195, al. 1), à moins bien sûr que le changement de circonstances ait rendu l'exécution du contrat impossible. Mais on est alors dans un cas qui se rapproche plus de la force majeure que de l’imprévision.
Par Cécile BIGUENET-MAUREL, Avocate au sein du Cabinet MB Justitia
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