Rappels des principes
L’accord collectif.
Il est indispensable pour conclure un forfait individuel en jours, et doit prévoir comment (C. trav. art. L 3121-63 et L 3121-64, II) :
l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;
employeur et salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, l’articulation activité professionnelle/vie personnelle, sa rémunération, et l’organisation du travail dans l’entreprise ;
le salarié peut exercer son droit à la déconnexion.
Ou sinon.
Si l’accord collectif n’est pas conforme, l’employeur peut quand même conclure un forfait jours à condition d’appliquer les dispositions légales supplétives (C. trav. art. L 3121-65, I) :
établir un document de contrôle mentionnant la date et le nombre de journées ou 1/2 journées travaillées (il peut être établi par le salarié sous la responsabilité de l’employeur) ;
s’assurer de la compatibilité de la charge de travail du salarié avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire ;
organiser un entretien annuel avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, l’organisation de son travail, l’articulation activité professionnelle/vie personnelle, et sa rémunération.
Non-respect des règles supplétives ?
Dans cette affaire, un salarié demande la nullité de son forfait jours, invoquant notamment la non-conformité à la loi de l’accord de la CCN des commerces de détail non alimentaires applicable à l’époque. Les juges font droit à sa demande, après avoir constaté (Cass. soc. 10-1-2024 n° 22-15.782) :
que le contenu de l’accord collectif n’était pas conforme à la loi (C. trav. art. L 3121-64) ;
et que l’employeur n’avait pas respecté les dispositions supplétives (C. trav. art. L 3121-65) : il n’avait pas organisé d’entretien annuel avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, et les tableaux de suivi ne reflétaient pas la réalité des jours travaillés par le salarié, peu important qu’ils aient pu être renseignés par lui dès lors qu’ils doivent être établis sous la responsabilité de l’employeur, ce qui faisait apparaître l’impossibilité pour l’employeur de s’assurer que la charge de travail était compatible avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire.
En pratique.
Jusqu’à présent il avait été jugé que le forfait jours est :
privé d’effet si l’employeur n’exécute pas les obligations conventionnelles concourant à la protection de la santé et à la sécurité du salarié (Cass. soc. 2-7-2014 n° 13-11.940) ;
nul lorsque les stipulations de l’accord collectif ne sont pas de nature à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés (Cass. soc. 24-4-2013 n° 11-28.398) ;
il est donc également nul lorsque l’employeur ne respecte pas les règles supplétives de suivi de la charge de travail.
Sans justification possible
Dans une autre affaire, se posait la question de savoir si l’employeur pouvait justifier les manquements dans le suivi régulier de sa charge de travail que le salarié lui reprochait : ce dernier avait signalé dès 2017 l’impact sérieux de sa charge de travail et le non-respect ponctuel du repos hebdomadaire, ce repos n’avait pas été respecté à plusieurs reprises en 2018, et les convocations pour l’entretien de 2018 n’avaient été adressées qu’en mars 2019. L’employeur invoque alors, pour se justifier, des contraintes internes de fonctionnement, liées à la démission de son directeur général fin 2018, et à l’arrivée d’un nouveau directeur des opérations seulement fin janvier 2019. Mais la Cour de cassation donne raison au salarié (Cass. soc. 10-1-2024 n° 22-13.200) :
des contraintes internes à l’entreprise ne peuvent justifier des manquements à l’obligation de suivi ;
et peu importe que les jours de travail supplémentaires aient été récupérés ou rémunérés « après coup », puisqu’il en résultait bien que l’employeur n’avait ni opéré le suivi régulier de la charge de travail (C. trav. art. L 3121-60), ni mis en place des mesures de nature à remédier en temps utile à la charge de travail incompatible avec une durée raisonnable de travail.