Prenant en compte le débat soulevé par le texte de l'avant-projet de loi El Khomri (La Quotidienne du 19 février 2016), le gouvernement a revu sa copie et présenté aux partenaires sociaux une version amendée de ce texte. Le dossier de presse mis en ligne sur le site www.gouvernement.fr communique sur ces réécritures. Nous listons ci-après les principaux points de cette nouvelle version du projet, avant d'y revenir en détail au moment de sa présentation en conseil des ministres le 24 mars prochain.
Indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse : le barème devient indicatif
Principal point de friction avec les syndicats, le barème des indemnités prud'homales en cas de licenciement abusif deviendrait un "référentiel national sur lequel le juge peut s'appuyer". Le Gouvernement renonce donc au plafond d'indemnisation qui, dans l'avant-projet de loi, devait s'imposer au juge.
Des restrictions sur le motif économique de licenciement
Le projet de loi maintiendrait la possibilité pour l'entreprise de licencier au motif d'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, de pertes d'exploitation ou d'une importante dégradation de l'entreprise. Les critères pris en compte pour apprécier ces difficultés économiques (par exemple, la durée des pertes d'exploitation) pourraient être fixés par accord de branche. Ce n'est qu'à défaut d'accord que les critères prévus par le Code du travail s'appliqueraient.
Pour les entreprises appartenant à un groupe et procédant à un licenciement économique, le motif de rupture s'apprécierait au niveau du secteur d'activité commun aux entreprises du groupe implantées sur le territoire national. Des garanties seraient prévues par la loi pour prévenir et sanctionner la création artificielle de difficultés économiques.
La durée légale des 35 heures ne serait pas modifiée
Le projet de loi réécrirait la totalité des dispositions du Code du travail relatives à la durée du travail, l'aménagement et la répartition des horaires, le repos quotidien, les jours fériés et les congés, dans le respect de la durée légale des 35 heures.
Afin de permettre aux entreprises de s'adapter à des pics d'activité ou de faire face à de gros projets, il serait possible, par accord d'entreprise, de moduler le temps de travail sur une période supérieure à un an, sous réserve d'un accord de branche, sans pouvoir aller au-delà de 3 ans.
Pour les TPE et PME, le projet de loi prévoit d'élargir la possibilité de négocier avec un salarié de l'entreprise mandaté par une organisation syndicale. Tel que présentée dans le dossier de presse, cette faculté serait semble-t-il réservée aux accords collectifs portant sur la durée du travail.
La négociation collective au centre du projet de loi
Une nouvelle architecture du Code du travail donnant une place centrale à la norme négociée
Le projet de loi engagerait une refondation du Code du travail qui distinguerait :
- l'ordre public, auquel aucun accord ne pourrait déroger ;
- les domaines relevant de la négociation collective, en précisant l'articulation la plus pertinente entre l'entreprise et la branche ;
- les règles supplétives applicables en l'absence d'accord.
En l'absence d'accord, il n'y aurait aucun changement pour les salariés, toutes les règles applicables en l'absence d'accord devant être écrites à droit constant. Seraient notamment concernés les congés pour événements familiaux.
La Commission de refondation du Code du travail créée par la future loi disposerait de 2 ans pour rédiger ce nouveau Code du travail.
Dans cette attente, le projet de loi prévoit déjà un certain nombre de mesures structurantes.
La légitimité des accords d'entreprise renforcée
Les accords majoritaires, c'est-à-dire signés par des organisations syndicales représentant au moins 50 % des suffrages exprimés par les électeurs, deviendraient progressivement la règle au niveau de l'entreprise.
Toutefois, les organisations syndicales représentant au moins 30 % des suffrages pourraient décider de soumettre un accord à la consultation des salariés.
Ces nouvelles règles s'appliqueraient dans un premier temps à la durée du travail avant d'être progressivement étendues au fur et à mesure des travaux de refonte prévus par le projet de loi.
En outre, lorsqu'ils visent à préserver ou à développer l'emploi, les accords collectifs pourraient, avec l'accord du salarié, se substituer au contrat de travail, sans toutefois avoir pour effet de diminuer sa rémunération mensuelle. L'objectif serait de donner plus de poids aux compromis collectifs.
Le nombre de branches drastiquement réduit
Le but serait de passer de 750 branches actuellement à 200 dans 3 ans avec une étape intermédiaire de 400 branches à la fin de l'année 2016.
Les branches auraient notamment pour rôle de définir un socle social applicable à tous les salariés et d'encadrer certaines souplesses désormais offertes aux entreprises comme la modulation du temps de travail sur une période supérieure à l'année.
En outre, elles pourraient conclure des accords-types directement applicables dans les TPE-PME.
Les règles de révision et de dénonciation réécrites
Les dispositions relatives à la révision et à la dénonciation des accords collectifs seraient rénovées.
Les accords collectifs seraient plus faciles d'accès, notamment par leur mise en ligne.
Les moyens des syndicats renforcés
Les heures de délégation des délégués syndicaux seraient augmentées de 20 %.
La formation des négociateurs serait également renforcée.
Le renforcement du compte personnel d'activité
Le compte personnel d'activité (CPA) serait effectif en janvier 2017 pour les salariés et en janvier 2018 pour les non-salariés. Outre la mobilisation du compte personnel de formation et du compte pénibilité, le CPA inclurait un "compte engagement citoyen", qui recenserait les activités bénévoles ou volontaires de son titulaire (service civique, engagement dans une réserve sanitaire, citoyenne, exercice d'une mission de maître d'apprentissage, etc.). En revanche, le CPA n'intégrerait pas le compte épargne-temps.
L'extension de la garantie jeunes
Le projet de loi prévoit la généralisation en 2017 de la "garantie jeunes", dispositif expérimental permettant à des jeunes en difficulté de cumuler des ressources d'activité et une allocation, dans la limite de 300 € nets par mois.
Une clarification sur les congés pour événements familiaux
La nouvelle version du projet de loi préciserait que les accords collectifs ne peuvent déroger à la durée des congés pour événements familiaux (mariage, naissance, décès, etc.) prévus par le Code du travail que dans un sens plus favorable au salarié.
Une révision de l'architecture du Code du travail
Comme initialement prévu, les principes essentiels du droit du travail érigés par le comité Badinter (La Quotidienne du 27 janvier 2016) seraient placés en tête du Code du travail. Une commission serait chargée de réviser l'architecture du Code en 2 ans, notamment pour donner davantage de place à la négociation collective comme indiqué ci-dessus.
Tour d'horizon des autres mesures annoncées
Parmi les autres mesures annoncées dans le dossier de presse, on peut citer particulièrement :
- la réforme du télétravail ;
- la sécurisation des nouvelles formes d'emploi avec notamment l'encadrement du portage salarial et du travail saisonnier ;
- le renforcement de la lutte contre la concurrence déloyale et le détachement illégal ;
- la réforme de la médecine du travail ;
- la création d'un droit à la déconnexion pour le salarié.