Un couple d’hommes habitant en France conclut une convention de gestation pour autrui (GPA) avec une femme, habitant également en France, aux termes de laquelle cette dernière portera contre rémunération l’enfant qu’elle concevra à l’aide du sperme de l’un ou de l’autre. Par la suite, la femme indique que l’enfant est décédé à la naissance. Elle l’a, en réalité, confié contre rémunération à un autre couple dont l’époux a reconnu l’enfant et au domicile duquel l’enfant vit depuis sa naissance. L’un des commanditaires de la GPA, père biologique de l’enfant, assigne le père déclaré et la mère porteuse en contestation de la paternité du premier et en établissement de sa propre paternité. Les juridictions du fond, approuvées par la Cour de cassation (Cass. 1e civ. 12-9-2019 n° 18-20.472 FS-PBRI : BPAT 6/19 inf. 232), déclarent ses demandes irrecevables et jugent que la réalité biologique n’apparaît pas comme une raison suffisante pour accueillir la demande au regard du vécu de l’enfant, qui vit depuis sa naissance au domicile du père déclaré. Le père biologique porte l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’Homme.
Mais la Cour de Strasbourg considère que le refus des juridictions françaises d’établir juridiquement la paternité du père biologique à l’égard de son fils ne porte pas atteinte à l’article 8 de la convention européenne des droits de l’Homme. La France est en revanche condamnée en raison des délais déraisonnables de la procédure, qui a duré six ans et demi au total, ce qui n’est pas compatible avec le devoir de diligence exceptionnelle qui s’imposait.
A noter :
Selon Alice Meier-Bourdeau, avocat au barreau, on sait depuis l’affaire Ahrens (CEDH 22-3-2012 n° 45071/09 Ahrens c/Allemagne) que la décision de savoir si un individu doit être autorisé à contester la paternité légalement établie à l’égard d’un enfant dont il pense être le père biologique tombe dans la marge d’appréciation des États. Les choix opérés par l’État n’échappent pas pour autant au contrôle de la CEDH. Il incombe à celle-ci d’examiner attentivement les arguments dont il a été tenu compte pour parvenir à la solution retenue et de rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts en présence. Elle doit prendre en considération le principe essentiel selon lequel, chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer.
C’est ainsi au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant que, dans le contexte d’un conflit triangulaire entre père social et légal, père biologique et mère d’un enfant, doivent être appréciées les demandes du père biologique tendant à l’obtention d’un droit d’information ou de contact sur l’enfant ou d’un statut juridique plein et entier de père (voir, par exemple, CEDH 3-12-2009 n° 22028/04, Zaunegger c/Allemagne, CEDH Ahrens, précité, CEDH 12-2-2013 n° 48494, Krisztián Barnabás Tóth c/Hongrie). En l’espèce, la CEDH rappelle la motivation des juridictions françaises qui ont retenu qu’il n'était pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant de voir primer la réalité biologique, et donc de voir modifier sa filiation actuelle mais plutôt de continuer de vivre au domicile de son père déclaré chez qui il vivait depuis sa naissance. La CEDH souligne encore que telle était également la position de l’administrateur ad hoc de l’enfant, qui faisait valoir, devant les juridictions françaises, que l’intérêt supérieur de l’enfant réclamait qu’il lui soit donné un statut juridique stable, que l’enfant évoluait dans de bonnes conditions auprès du père déclaré et son épouse et que, s’il avait le droit de connaître ses origines, il avait également le droit de vivre sereinement dans la famille qui l’élevait depuis sa naissance. La CEDH en déduit que les juridictions françaises ont dûment placé au cœur de leurs considérations l’intérêt supérieur de l’enfant, qu’elles ont pris soin de caractériser concrètement, tout en prenant en compte la réalité biologique dont se prévalait le père biologique. Elle en déduit que le refus opposé par les juridictions françaises à l’action du père biologique pour voir établir sa paternité ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect à la vie privée du père biologique, ni à celui de l’enfant.
En revanche, la France est condamnée en raison des délais de procédure jugés par la CEDH comme déraisonnables. Il est acquis que la CEDH vérifie si le processus décisionnel, ce qui inclut un examen de la durée de la procédure, a garanti la protection suffisante des intérêts des parties, en particulier lorsque l’affaire concerne la relation entre un individu et son enfant. Dans cette hypothèse, la CEDH impose un devoir de diligence exceptionnelle, le passage du temps étant susceptible d’aboutir à ce que la question soit tranchée par un fait accompli (voir, par exemple, s’agissant du droit au respect de la vie privée, Ahrens, précité, et, s’agissant du droit au respect de la vie familiale : CEDH 10-9-2019 n° 37283/13, Strand Lobben et autres c/Norvège). Or, en l’espèce, après avoir relevé que la procédure avait duré plus de six années, alors qu’elle avait été initiée lorsque l’enfant avait quatre mois et qu’elle s’est terminée lorsque l’enfant avait plus de six ans et demi, tout en notant que l’affaire ne présentait pas de complexité particulière, la CEDH en déduit que le délai est excessif. Elle conclut donc sur ce point à la violation de l’article 8 de la Convention en raison du manquement de la France au devoir de diligence exceptionnelle qui s’imposait à elle dans les circonstances de la cause.
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