Pression disciplinaire par l’envoi d’avertissements intempestifs, humiliation publique ou véritable mise au placard, le harcèlement moral peut revêtir de nombreuses formes flagrantes.
A l’inverse, certaines situations peuvent être exagérées par le salarié s’estimant victime de harcèlement alors qu’il ne s’agit que de l’exercice du pouvoir disciplinaire de l’employeur. Cette démarche peut par exemple être guidée par un sentiment d’incompréhension ou d’injustice générale du fait d’une absence de reconnaissance du travail.
Rappelons que pour que soit caractérisé un harcèlement moral, les agissements en cause doivent être répétés et mener à une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits de la victime, à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (C. trav. art. L 1152-1).
Il est difficile de juger d’emblée les motivations du salarié qui se considère victime du comportement du chef d’entreprise et celui-ci a un choix simple lorsque les faits reprochés lui sont imputables : à moins de faire l’autruche, soit il répond de ses actes, soit il établit que les faits invoqués ne sont pas constitutifs de harcèlement moral.
La situation est plus délicate lorsqu’un salarié de son entreprise accuse de harcèlement un autre salarié, l’auteur de ces agissements pouvant être l’employeur, un supérieur hiérarchique, un collègue, un subordonné (Cass. crim. 6-12-2011 n° 10-82.266 F-PB : RJS 3/12 n° 216) ou même un tiers à l’entreprise dès lors qu’il exerce une autorité de fait ou de droit sur ses salariés (Cass. soc. 1-3-2011 n° 09-69.616 F-PB : RJS 5/11 n° 390). Il doit alors prendre position en faveur de l’un ou de l’autre.
Le management est souvent mis en cause
Le cas le plus fréquemment rencontré dans les affaires prud’homales est celui d’un salarié qui se plaint de l’attitude de son supérieur hiérarchique direct sur lequel le chef d’entreprise n’a pas nécessairement le contrôle.
Le harcèlement peut en effet parfois être difficile à détecter lorsqu’il est le résultat de techniques de management toxiques mêlant égo surdimensionné et comportement subtilement agressif aboutissant progressivement, par le jeu de l’intimidation, à faire douter le subordonné de ses capacités et à instiller l’idée que les critiques émises sont justifiées, éludant ainsi la notion même de harcèlement.
C’est à l’employeur de prévenir l’apparition du harcèlement
C’est pour cette raison que la prévention doit être au cœur des préoccupations de l’employeur qui doit être particulièrement vigilant et désireux de former son management sur la frontière ténue entre discipline et manipulation, car le harcèlement n’implique pas nécessairement d’intention de nuire (Cass. soc. 10-11-2009 n° 08-41.497 FS-PBR : RJS 1/10 n° 7 ; 7-6-2011 n° 09-69.903 F-D : RJS 8-9/11 n° 656). C’est effectivement à l’employeur qu’incombe une obligation de sécurité de résultat vis-à-vis de son personnel (Cass. soc. 1-6-2016 n° 14-19.702 FS-PBRI : RJS 8-9/16 n° 567 ; 5-10-2016 n° 15-20.140 F-D : RJS 1/17 n° 5) et il devra en répondre, civilement et parfois même pénalement.
Il devra également s’assurer de ne pas surcharger de travail le personnel et respecter ses obligations en matière de rémunération pour établir un environnement de travail sain.
Des règles de preuve toujours contraignantes pour l’employeur
Si l’aspect préventif a échoué, en matière de preuve, il aura également fort à faire : dans la mesure où la victime doit seulement présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement (avant le 10 août 2016, elle devait établir des faits permettant de présumer le harcèlement), il incombera au chef d’entreprise de prouver que les faits avancés par celle-ci ne sont pas constitutifs de harcèlement moral (C. trav. art. L 1154-1).
Pour y voir clair et adopter une position qui ne souffre pas (ou le moins possible) la contestation, il a donc intérêt à mettre en œuvre toutes les mesures et actions possibles dès qu’il a connaissance de telles situations pour évaluer le comportement du manager mis en cause et le cas échéant prendre une sanction à son encontre pouvant aller jusqu’à son éviction de l’entreprise.
C’est d’autant plus important que, face au salarié qui conteste son licenciement motivé par des griefs de harcèlement, c’est à l’employeur d’établir les faits reprochés toutes les fois que le licenciement est notifié pour faute grave (Cass. soc. 7-2-2012 n° 10-17.393 FS-PB : RJS 4/12 n° 301).
Faire l’impasse sur l’enquête n’est pas raisonnable
En premier lieu, il doit immédiatement procéder à une enquête interne pour mesurer l’ampleur de la situation et entendre la ou les victimes. Il a tout intérêt à ce que l’enquête soit particulièrement minutieuse et complète, surtout lorsque plusieurs salariés se plaignent du comportement d’une même personne.
Dans une affaire récente, la cour d’appel de Lyon avait écarté des débats une enquête interne menée par l’employeur qu’elle considérait incomplète car seule la moitié des salariés du service avait été entendue alors que l’auteur des faits de harcèlement avait été licencié pour avoir harcelé l’ensemble du personnel du service.
La Cour de cassation a toutefois cassé l’arrêt, considérant que ces motifs étaient impropres à écarter l’enquête comme élément de preuve (Cass soc. 8-1-2020 18-20.151 F-D).
Il y a quelques mois, elle avait par ailleurs posé qu’en ne diligentant pas une enquête à la suite des alertes d’une salariée se disant victime de harcèlement de la part de son supérieur, l’employeur n’avait pas respecté son obligation de prévention des risques professionnels, et ce même si les faits de harcèlement moral n’étaient pas avérés (Cass. soc. 27-11-2019 n°18-10.551 FP-PB : RJS 2/20 n° 94).
On n’insistera donc jamais assez sur l’extrême nécessité pour le chef d’entreprise de connaître et former ses managers pour éviter, autant que possible, les situations conflictuelles avec leurs équipes, et d’agir de manière adaptée lorsqu’il est alerté de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Par Joanna FARAH, Avocat à la Cour, Cabinet Willington avocats